Opinion
Syrie : la guerre
des mots et des images
Bahar
Kimyongür
Attentat à
l'université de Damas - Photo: Sana
Jeudi 28 mars 2013
Vous ne le saviez sans doute
pas. Et pour cause. Dans ce pays-là, il
y a eu 250.000 disparitions forcées en
20 ans dont 34.467 entre 2005 et 2010.
Dans une seule fosse commune située près
d’une caserne militaire, pas moins de
2000 corps ont été retrouvés. Des
opposants politiques ont été donnés en
pâture aux caïmans, des rebelles jetés
vivants dans des fours crématoires, des
syndicalistes éliminés par milliers, des
villages bombardés par l'aviation, des
jeunes ramassés dans la rue, emmenés en
forêt, exécutés puis habillés par leurs
assassins en combattants pour faire
croire qu’ils ont été tués lors
d’accrochages militaires, des militants
des droits de l’homme dénonçant la
barbarie abattus en pleine rue, des
bourreaux du peuple bénéficiant de
l’impunité, près de 600.000 personnes
déplacées entre 2010 et 2011. Nous avons
là toutes les caractéristiques d’une
dictature qui assassine son peuple. Et
pourtant, ce régime-là n’est jamais
décrit comme tel par nos médias. Normal,
c’est l’État colombien, enfant gâté de
Washington, Paris et Tel Aviv. En somme,
un régime ami…
Pour savoir si nos médias sont
réellement libres comme ils le
prétendent, rient de tel que de comparer
le traitement médiatique des conflits
qui déchirent la Colombie, État aligné
au « monde libre » et la Syrie, vilain
petit canard de l’axe du Mal.
Quand les médias occidentaux parlent
de la Syrie, le mot « chabbiha »
désignant les forces civiles loyalistes
revient en boucle. Les chabbiha sont
accusés de crimes barbares pour le
compte de Damas.
Mais avez-vous seulement entendu
parler des Autodéfenses unies (AUC), des
« Bacrim » ou de la Force Oméga qui
sévissent quotidiennement en Colombie ?
Dans les médias occidentaux, il est
interdit de parler de « révolution » et
d’insurrection populaire en Colombie.
En revanche, les chirurgiens
esthétiques de TF1, RTL ou France 24
travaillent d’arrache-pied pour relooker
les djihadistes à l’œuvre en Syrie en
zapatistes fleur bleue.
En Colombie, les centaines de
milliers de paysans pauvres, d’indigènes
qui sont engagés à des degrés divers
dans la résistance armée n’auraient rien
à voir avec le peuple.
En revanche, l’insurrection anti-baassiste
serait la « révolution » de « tout un
peuple » et ce, malgré l’existence de
millions de citoyens syriens qui
expriment une hostilité farouche envers
l’opposition et une loyauté sans faille
envers le gouvernement.
Notre presse qualifie la révolution
colombienne de « terrorisme », de « gang
», de « maffia » ou encore de «
narco-guérilla ». Elle est pourtant plus
émancipée et moins dépravée que la
prétendue « révolution syrienne », cette
malheureuse courtisane enfermée dans le
harem des rois du Golfe.
Marie Delcas, correspondante du
quotidien Le Monde (30 mai 2012) titrait
: « La menace des FARC plane toujours ».
Imaginez-vous un seul instant que
l’Armée syrienne libre soit considérée
comme une menace ?
Lorsque la dictature colombienne
commet des crimes, elle est toujours
excusée. Dans le cas du régime
terroriste de Bogotá, il n’y a ni
indignation, ni sanction, ni résolution
du Conseil de sécurité de l’ONU, ni
menace d’intervention militaire, ni
campagne de sensibilisation en faveur
des victimes de la dictature, ni
discussion sur l’armement des rebelles,
ni fourniture de « matériel non létal ».
Ne vous risquez surtout pas à
défendre les Forces armées
révolutionnaires de Colombie (FARC),
principal mouvement de résistance contre
le régime de Bogotá, vous finiriez
derrière les barreaux pour apologie du
terrorisme et pire encore, excommuniés
par l’Inquisition bobo pour blasphème
idéologique voire hérésie stalinienne.
Par contre, défendre les égorgeurs,
les dépeceurs, les pillards, les
génocidaires d’Al Nosra ou de l’ASL qui
massacrent le peuple syrien avec l’aide
de la CIA, des monarchies obscurantistes
du Golfe et des gouvernements européens
n’ayant pas plus d’estime pour leur
propre peuple que pour le peuple syrien,
ça c’est humaniste.
Si vous parlez de résolution
politique du conflit en Colombie, vous
serez soupçonné de sympathie envers les
FARC parce que « l’on ne négocie par
avec des terroristes ». Et si vous
parlez de résolution politique du
conflit en Syrie, vous serez soupçonné
de sympathie envers le président Assad
parce que « l’on ne négocie pas avec des
dictateurs ».
Last but not least, les victimes de
la répression du régime syrien ont droit
à toutes les larmes et c’est légitime.
Mais jamais les victimes du régime
colombien. Eux n’ont ni voix, ni rêve,
ni visage.
Vous avez dit conditionnement
idéologique ?
Vous avez dit indignation sélective ?
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Publié le 29 mars 2013
Le
dossier Syrie
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