Al-Ahram Hebdo
La leçon de
Jérusalem
Anas Fawzy
Mercredi 11 novembre 2009 Pourquoi l’Etat
d’Israël s’attaque-t-il de plus en plus fréquemment à la liberté
du culte musulman à Jérusalem ?
C’est qu’un seuil vient d’être franchi :
depuis l’agression de Gaza, Israël poursuit désormais
ouvertement une politique d’expansion territoriale ayant pour
objectif l’expulsion totale des Palestiniens avec,
provisoirement, le confinement du peuple palestinien dans des
zones territorialement limitées, sous le contrôle total des
forces armées israéliennes et dans un asservissement économique
dont le seul parallèle récent ne peut être trouvé que dans les
bantoustans du régime raciste d’Afrique du Sud.
Affirmer cela n’est aucunement une
déclaration haineuse à l’égard des juifs, mais la constatation
d’un état de fait dont la confirmation vient de la bouche même
des autorités israéliennes lorsqu’elles déclarent tranquillement
que le « peuple juif » a besoin d’espace pour faire face à la «
croissance naturelle » de sa population. Israël s’attaque
désormais à l’identité palestinienne elle-même à travers ce qui
fait le fondement de la vie de tout musulman : l’islam. Pour
révoltante que soit cette stratégie, elle n’en possède pas moins
sa logique : en ôtant aux populations palestiniennes leur
identité, Israël nie leur existence et les repousse dans une
sorte de sous-humanité.
Lorsque l’on regarde une carte de Palestine,
on ne peut pas manquer d’être frappé de la lente unification
territoriale israélienne aux dépens des Palestiniens. Qui peut
affirmer aujourd’hui qu’avec le contrôle des eaux du Jourdain,
Israël ne va pas soudain « découvrir » que l’unification
territoriale totale de la Palestine passe par la «
rationalisation » des enclaves palestiniennes et une seconde
émigration forcée vers d’autres territoires ? C’est aux Etats
voisins que, tôt ou tard, la question palestinienne sera posée.
Israël proclame son acceptation d’une solution pacifique, mais
la rend concrètement impraticable : l’extraordinaire
morcellement territorial et la réduction lente mais inexorable
des surfaces enlèvent toute réalité pratique à cette solution.
Les zones palestiniennes ressemblent de plus en plus aux
réserves indiennes en Amérique du Nord : selon les besoins, les
frontières sont redessinées.
Tout ceci est sinistre mais connu, ce qui
reste obscur c’est la solution. Il faut admettre une fois pour
toutes qu’Israël a besoin de la guerre et du fantasme
terroriste, pas les peuples de la région et encore moins les
Palestiniens. Tout ce qui va dans le sens de la paix est une
arme dirigée contre Israël, et tout ce qui va dans le sens de la
guerre et de la violence est une arme qui lui est fournie.
Les Palestiniens sont supposés maintenant
posséder un Etat : aux yeux des populations palestiniennes
elles-mêmes, cela a-t-il un sens ? Du côté palestinien, les
errements du Fatah ont facilité la création de deux entités
palestiniennes qui ne se parlent que du bout des lèvres et sous
la pression permanente de l’Egypte qui a la lucidité de
comprendre qu’une Palestine à deux vitesses est la mort de
l’Etat palestinien. Un peuple n’existe que s’il poursuit une
grande idée commune : quelle est cette idée ? L’idée d’un Etat
ne suffit pas : c’est un outil politique et non une grande idée
qui concentre les énergies comme le sont l’identité ou la
liberté ou la paix.
La première clé de la question palestinienne
est en réalité le droit à une vie normale, c’est-à-dire le
développement : la division actuelle des Palestiniens empêche
toute idée d’un grand plan international de développement de la
Palestine. Aucun financier n’accepte l’incompétence et la
corruption, aucun financier n’accepte les gesticulations
héroïques de certaines organisations dont l’impact négatif sur
les opinions publiques de pays pourtant souvent favorables est
un immense désastre. Le développement a besoin de stabilité, de
confiance et de constance. Il a aussi besoin de nombreux amis.
La tragédie actuelle vient non seulement des criminelles
agressions israéliennes, mais aussi de l’attitude des dirigeants
palestiniens plus préoccupés d’occuper le pouvoir que de gérer
un pays. Les dirigeants palestiniens sont incapables de soutenir
leur droit par des faits : lorsque des milices servent de forces
de l’ordre, il n’y a ni droit ni ordre. Il ne s’agit pas de
faire porter au peuple palestinien la responsabilité de ce qui
lui arrive, mais de questionner avec force la capacité de ses
dirigeants actuels de ne plus être des chefs de bande, mais de
devenir des chefs d’Etat. C’est ce que le reste du monde attend.
La seconde clé de la question palestinienne
est d’accepter comme une donnée de fait qu’il y a un problème
intérieur et extérieur, et que dans les deux cas, des ponts
doivent être jetés. C’est ce qu’a compris l’Egypte, l’un des
très rares pays arabes à entretenir des relations diplomatiques
avec Israël. Prenons un exemple concret. Nous assistons tous les
jours à des violences à Jérusalem : où est la voix des pays
arabes pour y imposer une force internationale, ce à quoi
l’opinion publique internationale et l’Europe sont prêtes ? En
cas de guerre, les négociations ne peuvent se passer qu’entre
Etats, comment en refusant de reconnaître Israël les Etats
arabes comptent-ils faire entendre leur voix ? L’Arabie saoudite
a fait des propositions dans le sens de la reconnaissance, en
les assortissant de conditions pour sortir de cette impasse. Si
Israël les a repoussées sans même les examiner sérieusement,
c’est que ce qu’il perd en devenant un Etat reconnu par ses
voisins est supérieur à ce qu’il gagne en restant un Etat hors
la loi dans la région. Israël ne veut, en aucun cas, d’un
dialogue avec les pays arabes : il compte sur la supposée
faiblesse de ces Etats pour grignoter tranquillement des
territoires nouveaux, le temps lui semble jouer en sa faveur. On
comprend la difficulté qu’auraient les Etats arabes à
reconnaître Israël, il faut cependant, à tout prix, et en se
bouchant le nez s’il le faut, que les pays arabes ouvrent un
pont.
Le seul moyen pour les Etats arabes de peser
sur l’avenir de la région c’est de s’inscrire dans un cercle de
plus en plus large d’amitiés et de confiance à défaut d’avoir
les moyens militaires d’une autre politique.
Nous devons nous convaincre que si c’est le
droit le plus absolu des musulmans de Palestine — et d’ailleurs
— d’aller prier dans leurs lieux saints, ce droit ne peut pas
être exercé si on n’a pas la force de le faire respecter.
Telle est la leçon que nous fait entendre
Jérusalem. L’histoire de la ville sainte est très tourmentée,
mais ce qui la caractérise principalement c’est que les périodes
de calme et de tolérance les plus longues sont celles qui se
situent sous la domination musulmane. Il est extraordinaire que
cette vérité ne soit pas plus largement connue et ne nourrisse
pas la réflexion sur le sort de Jérusalem à l’échelle
internationale. Cette longue période de tolérance ne serait-elle
pas le fait de la sagesse de nos ancêtres qui montraient
manifestement plus de goût pour la vie que pour le martyre ?
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AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 13 novembre 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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