Carnets du diplo
Guerre
d’Irak, comment en sortir ?
Alain Gresh
15 janvier 2008
L’International Herald Tribune du 14 janvier 2008
reproduit une enquête réalisée pour le New York Times
par Deborah Sontag et Lizette Alvarez intitulée « Iraq
veterans leave a trail of death and heartbreak in U.S. ».
Les journalistes ont dénombré 121 incidents au cours
desquels des vétérans des guerres d’Afghanistan ou d’Irak
ont tué quelqu’un aux Etats-Unis ou sont accusés de l’avoir
fait. « Dans beaucoup de ces cas, les traumatismes des
combats et le stress dû au déploiement (dans les zones de
combat) – parallèlement à l’abus d’alcool, aux discordes
familiales et autres problèmes – semblent avoir permis de
telles tragédies. »
La diminution des morts américains en Irak a eu des conséquences
sur la campagne électorale aux Etats-Unis : la plupart des
candidats ignorent maintenant le problème et préfèrent se
concentrer sur l’économie ou le social.
Dans un passionnant article publié par The
New York Review of Books du 17 janvier, « As
Iraqis See It », Michael Massing raconte comment le groupe
de presse McClatchy a mis en place un bureau à Bagdad et créé
un blog intitulé « Inside
Iraq » pour faire parler des Irakiens ordinaires
(Irakiens auxquels, souligne-t-il, la presse américaine ne
s’intéresse pas vraiment). Les témoignages sont très riches
et, même si tout le monde semble divisé sur la question du
retrait des troupes américaines, la conclusion de l’article est
sans appel :
« Quel que soit leur point de vue, un sentiment domine
chez les Irakiens, l’humiliation. La responsable du site Leila
Fadel explique que c’est ce qu’on lui rappelle sans arrêt.
"Les Américains croient que leurs soldats agissent pour le
bien. Les Irakiens ne le voient pas comme cela. Ils voient des
gens qui sont là pour défendre leurs propres intérêts – et
qui roulent du mauvais côté de la route, arrêtent le trafic
quand ils le veulent, dont il vaut mieux ne pas trop s’approcher
pour ne pas être abattu." »
Un des participants au blog racontait la descente de soldats américains
dans une école, comment un enfant avait jeté une pierre contre
eux et comment il s’était fait tabasser. Fadel demande au rédacteur
de cet envoi pourquoi l’enfant a jeté cette pierre et la réponse
fuse : « C’étaient des soldats étrangers. Nous
vivons sous occupation. » C’est un sentiment largement
partagé parmi les Irakiens, explique Fadel : « Tous
ceux à qui j’ai parlé pensent de même. Ils ne disposent pas
du pouvoir dans leur propre pays. »
On est très loin de illusions suscités par la « libération »
de l’Irak en 2003.
Dans un éditorial du 14 janvier intitulé « Republicans,
Democrats and the War in Iraq », l’International
Herald Tribune revient longuement sur la place de l’Irak
dans le débat électoral.
« L’Irak sera un défi central – peut-être le
défi central – pour celui qui succèdera à George W. Bush.
Il devra réparer les profonds dommages que le président aura
provoqués avec cette guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu
et qu’il a gérée de manière si inepte. Les candidats doivent
davantage s’adresser au peuple américain pour lui dire quand et
comment les troupes seront retirées d’Irak, et aussi comment
les Etats-Unis gèreront leurs relations avec l’Irak et la région. »
(...)
« La confusion règne chez les Républicains sur la définition
d’un succès suffisant pour justifier le retour des troupes. Aucun
Républicain n’a défini ce qu’il entendait par victoire, ni n’a
la moindre idée sur la manière d’y parvenir. »
« Tous les candidats démocrates veulent la fin de la
guerre, même si la question n’est plus un élément essentiel de
leur campagne parce que les pertes américaines ont diminué, parce
que l’administration actuelle a un peu réduit le niveau des troupes
en Irak et parce que l’économie est au bord de la récession. Le
message démocrate a été obscurci par les échecs répétés du
parti à faire passer des résolutions qui demandent au président
Bush de revoir sa politique irakienne. »
Sur cette incapacité, on pourra lire dans le numéro de janvier
du Monde diplomatique (en kiosque) l’article de Ryan C.
Hendrickson, « Quand le Congrès arrêtera-t-il la guerre d’Irak ? »
Sur la persistance des groupes médiatiques américains à expliquer
que l’on en peut pas changer la politique en Irak, lire « Turning
‘Won’t’ Into ‘Can’t’ » de Jim Naureckas dans
l’excellent journal américain de critique des médias Extra !
(novembre-décembre 2007).
« Beaucoup de problèmes importants n’ont pas été
abordés de manière approfondie. Que deviendront les milliers d’Irakiens
qui ont aidé les Etats-Unis et leurs partenaires de la coalition,
tous ces traducteurs, chauffeurs, fixeurs qui ont peur des représailles ?
Quels seront la nature et le contenu d’un accord à long terme sur
l’avenir des relations américano-irakiennes ? Le Congrès
aura-t-il son mot à dire ? Les Etats-Unis conserveront-ils des
bases en Irak ou ailleurs dans la région ? Les Nations unies
seront-elles impliquées, comme Clinton et Obama le suggèrent ? »
(...)
« Une autre question cruciale est celle de la guerre pré-emptive
– ou, dans le cas de l’Irak de la guerre préventive. Les Etats-Unis
doivent être préparés à utiliser la force militaire pour empêcher
(pre-empt) une attaque sur leur territoire. En Irak, Bush est
allé bien plus loin, en envahissant un pays dont il pensait qu’un
jour peut-être il serait une menace pour les Etats-Unis – donc,
il ne répondait pas à une menace immédiate mais à une possibilité
de menace. Pour justifier ses actions, il a persuadé les Américains
(avec l’aide rappelons-le, du New York Times, du Herald
et de la presse américaine – AG) que Saddam Hussein avait des
programmes chimique, biologique et surtout nucléaire – une affirmation
qui allait se révéler spécieuse. »
« Aucun candidat sérieux pour 2008 ne peut abandonner
la menace de l’usage de la force pour défendre notre sécurité
nationale ou en riposte à une attaque contre les Etats-Unis. Mais
aucun électeur ne devrait donner son bulletin à un candidat qui
ne renoncerait pas à ces guerres "de choix" (c’est-à-dire
sans menace immédiate, comme en Irak - AG). Nous espérons que
les électeurs ont tiré les leçons de 2000 quand, durant la campagne
électorale, Bush a pu échapper aux questions concernant sa politique
internationale. Il a pu alors "mettre cul par-dessus tête"
des politiques raisonnables et s’engager maladroitement (bumble
his way) dans une guerre désastreuse. »
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