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Palestine
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Rafah.
La capitale de la désolation
Chérine Abdel-Azim
- Héba Nasreddine
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Rafah
. Située à la frontière de la bande de Gaza, elle est le
lieu de refuge de milliers de Palestiniens sans-abri bloqués
depuis deux semaines après la fermeture du terminal. Ils vivent
en majorité dans des conditions déplorables. Reportage.
Photo Al-Ahram
Mercredi 27 juin 2007
Un journaliste à
Rafah ? C’est bien compliqué. Voire interdit. L’état
d’urgence a été décrété par les autorités il y a deux
semaines, lorsque le Hamas a pris le contrôle de Gaza et que le
terminal a été fermé. Comme d’habitude, cette ville, située
aux frontières égypo-palestiniennes, se ressent toujours des
crises politiques qui surviennent dans les territoires occupés,
et depuis le 14 juin, des milliers de Palestiniens y sont bloqués.
Bien qu’il soit
midi, c’est le calme total. On ne voit rien au-delà à cause
des géants portails noirs cadenassés par des chaînes. De plus,
les policiers empêchent toute personne de s’approcher et
refusent même de répondre aux questions : Où pouvons-nous
rencontrer les membres des forces de sécurité du Fatah qui se
sont réfugiés à Rafah fuyant les balles du Hamas ? Où sont ces
citoyens palestiniens qui attendent l’ouverture du terminal pour
rentrer chez eux ? Qui s’occupe de ces réfugiés ? Pas de réponse,
on fait la sourde oreille.
Un quart d’heure
d’attente. Rien ne change. Tout à coup, les portes s’ouvrent
et un fonctionnaire juché sur sa moto s’avance. Celui-ci représente
pour nous la seule lueur d’espoir pour savoir ce qui se passe
au-delà de ces barrières. « Il n’y a personne dedans sauf
nous », déclare Aziz, qui travaille au service des télécommunications
au terminal. « Tous les Palestiniens qui avaient été retenus
dans l’attente de passer à Gaza, ont été évacués il y a
deux semaines. Depuis, personne ne peut pénétrer. Ils sont tous
dispersés dans les quatre coins de la ville », ajoute Aziz qui
propose de nous amener dans un de ces coins : le camp de la sécurité
centrale.
Du luxe à la
misère
Situé à une
dizaine de kilomètres du terminal, et précisément dans la rue
Al-Imam Ali, le camp de la sécurité centrale regroupe environ
300 activistes du Fatah. Des membres de leur famille font la queue
à l’entrée du camp dans l’attente d’avoir la permission
d’accès pour rencontrer leurs proches. Toujours des portes énormes
fermées et une stricte surveillance policière qui empêche la présence
des médias. C’est avec difficulté qu’on arrive à parler
avec ces personnes qui portent des sacs en plastique emmenant des
bouteilles d’eau, des vêtements et de la nourriture à ces
Fathistes. Ceux-ci avaient livré leurs armes aux autorités égyptiennes
et restent confinés dans le camp, sécurité oblige. « Chaque
jour, nous venons voir nos proches. D’habitude, on le fait. Mais
aujourd’hui, on nous l’interdit à cause de la présence des
hauts responsables égyptiens du ministère de l’Intérieur et
des ONG, comme les autorités nous l’affirment », explique
l’un des proches qui a requis l’anonymat. Il raconte que son
cousin, un fidèle du président Mahmoud Abbass, s’est enfui
avec d’autres vers l’Egypte, certains par mer et d’autres à
travers le terminal. Ils se sont livrés aux autorités égyptiennes
après avoir remis leurs armes. Il est interrompu par des klaxons
provenant d’un camion portant des vivres et des nourritures de
luxe aux Fathistes ! Le camion est passé après avoir été bien
fouillé par les agents de police qui nous demandent de nous éloigner
d’ici.
En sillonnant les
rues de Rafah, nous sommes arrêtés par les cris de trois
personnes nous demandant de transporter un malade. « Dieu vous
accorde beaucoup de grâces, pouvez-vous nous aider à amener ce
malade au centre médical ? Nous sommes des Palestiniens et nous
n’avons pas d’argent », crie l’homme en nous suppliant. Au
centre hospitalier, le médecin a examiné le patient qui
souffrait de maux d’estomac : « Il a bu de l’eau de mer et
souffre de faiblesse », affirme le médecin qui leur donne le médicament
gratuitement tout en ajoutant qu’il examine une dizaine de cas
de Palestiniens quotidiennement souffrant des mêmes symptômes.
Dans un bâtiment sous construction dépendant de la mosquée d’Al-Madina,
ces trois Palestiniens résident avec cinq autres familles
palestiniennes. A quelques mètres du camp « luxueux », ces
familles vivent à l’intérieur de ce bâtiment dans des
conditions déplorables. Sans vêtements, sans couverture, privés
des moindres éléments leur permettant de survivre, ces familles
ne trouvent rien pour vivre. Femmes, hommes et enfants, tous
dorment sur des tas de sable, privés de leurs valises retenues
dans le terminal, ils n’ont que les vêtements qu’ils portent.
« Nous les lavons dans la mosquée et nous les portons mouillés.
ce qui rend malade », crie Salha. Celle-ci, qui travaille avec
son mari aux Emirats arabes unis, est venue à Rafah pour passer
les vacances avec sa famille à Gaza. « Voilà que nous sommes
bloqués ici, sans aucun moyen. Nous vivons grâce aux aides des
citoyens de Rafah ou bien nous collectons des sous pour acheter de
la nourriture », ajoute-t-elle. En fait, ce ne sont pas seulement
ces personnes qui souffrent de ce malaise, mais aussi l’équipe
nationale palestinienne de boxe composée de 6 joueurs qui
participaient à un championnat en Algérie et n’arrivent pas à
rentrer à Gaza. « Nous nous plaignons auprès de la Ligue arabe,
au Caire, mais en vain. Personne ne se soucie de régler nos problèmes,
croyant que nous sommes ici en paix, loin de la bataille du Hamas
», affirme Moustapha, membre de l’équipe, en nous montrant des
taches rouges sur son corps provoquées par les insectes qui se
trouvent dans le sable où ils dorment. « Nous savons que ce
n’est pas l’Egypte qui bloque les frontières, mais nous
voulons passer. Nous appelons les autorités à intervenir pour
ouvrir le terminal. Que ce soit le Fatah ou le Hamas qui
gouvernent Gaza, on s’en désintéresse. Laissez-nous passer »,
dit un autre réfugié qui a requis également l’anonymat. «
Nous refusons de déclarer nos noms car la police nous menace si
l’on s’adresse aux médias. Nous avons été chassés de la
cafétéria du terminal, où nous avions résidé, après avoir
parlé avec un journaliste », révèle-t-il.
Hamas ou la vie
prospère
Tous critiquent, dénoncent
leur situation, la discussion s’est enflammée ... car ce groupe
de familles ne trouvaient d’autres que nous pour adresser leurs
plaintes. A ce moment, un autre Palestinien fait son apparition et
nous propose de l’accompagner pour rencontrer un troisième
groupe de familles palestiniennes.
Juste derrière le
conseil municipal de Rafah se trouve la maison du cheikh
Abdel-Sater Al-Ghalbane, considéré comme le chef des
Palestiniens qui résident à Rafah et dont les signes de richesse
sont bien clairs. Dans sa maison huppée et bien équipée se
regroupent dix hommes de différents âges, barbus et ayant
l’air sérieux dans une grande terrasse. Il est facile de découvrir
qu’ils sont des partisans du Hamas. « Enfin, Gaza respire après
s’être débarrassée de l’insécurité et de l’instabilité
dans lesquelles elle vit depuis 2005 sous le Fatah »,
assurent-ils avant d’accorder la parole à leur chef, ne
l’interrompant que pour rejeter toute critique lancée contre le
Hamas. Ici, les demandes des Palestiniens bloqués diffèrent. Ils
ne cherchent ni nourriture, ni argent, ni même un endroit pour
dormir car ceci est fourni par le chef « C’est moi qui leur
offre tous leurs besoins. Je les laisse résider gratuitement dans
mes chalets qui se trouvent au bord de la mer », déclare avec
fierté Abdel-Sater, qui, malgré son titre, n’a aucune
information au sujet des Palestiniens vivant dans la rue , et
vice-versa. Cette ignorance n’est qu’un signe très clair que
les Palestiniens sont influencés par les conflits qui se déroulent
à Gaza. Ils sont à leur tour divisés en trois : les Hamasis,
les Fathistes et puis la majorité silencieuse qui paie toujours
le prix des conflits soit en Palestine, soit à Rafah l
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