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Egypte
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Manœuvre
ou signe de modération ?
May Al-Maghrabi
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Frères
musulmans. Les déclarations
d’un cadre affirmant que la confrérie serait disposée à «
reconnaître l’Etat d’Israël » ont soulevé un tollé sur la
scène politique.
Photo Al-Ahram
Lundi 24 décembre 2007
« Si les Frères musulmans
arrivent un jour au pouvoir, il est évident qu’ils reconnaîtront
l’Etat d’Israël et les accords de Camp David. Mais ces
derniers doivent être modifiés en fonction des intérêts de
l’Egypte et des Egyptiens ». Le 18 octobre dernier, ces propos
de Essam Al-Eriane, membre du bureau politique des Frères
musulmans, ont eu l’effet d’une bombe sur la scène politique.
Groupe religieux fondamentaliste, les Frères musulmans sont
connus comme tous les groupes islamistes pour leur hostilité à
Israël. Retour sur les principes de la confrérie, manœuvre
politique, message pour les Américains ou divisions au sein de la
confrérie ? Les interrogations vont bon train. Quoi qu’il en
soit, les propos d’Al-Eriane ont mis les leaders de la confrérie
dans l’embarras. « Le dictionnaire des Frères musulmans ne
connaît et ne connaîtra jamais ce pays appelé Israël. C’est
une position irrévocable. Pour nous, Israël n’est autre que
des bandes sionistes qui occupent les territoires arabes, et
s’ils veulent vivre avec les Arabes, cela doit être sous la
souveraineté palestinienne. Mais s’ils insistent à avoir un
Etat, la lutte armée restera toujours la seule solution pour nous
», a déclaré le guide spirituel de la confrérie, Mohamad Mahdi
Akef. Face à la polémique, Essam Al-Eriane s’est quelque peu rétracté
en nuançant ses propos. « Ce que j’ai dit est que n’importe
quel gouvernement élu doit respecter les accords signés, y
compris le Traité de Camp David signé avec l’ennemi israélien.
J’ai ajouté que seul le peuple a le droit de réclamer la
modification de ce traité et c’est à ceci que les Frères
s’engageront s’ils arrivent un jour au pouvoir », a indiqué
Al-Eriane à Al-Ahram Hebdo.
Mais cette «
rectification » d’Al-Eriane n’a pas empêché les spéculations
et les critiques. Pour Essam Sultan, dissident de la confrérie et
membre du projet de parti d’Al-Wassat (le centre), les propos
d’Al-Eriane sont un message destiné à avoir les faveurs de
Washington. « Les Américains ont établi des passerelles avec
les Frères musulmans au cours des récents mois et voient en eux
une alternative au pouvoir s’ils prouvent leur modération. Je
crois que c’est dans ce contexte qu’il faut situer les propos
de Essam Al-Eriane », affirme Sultan pour qui ces propos sont une
rébellion à la légitimité, qui auront des répercussions néfastes
au sein de la confrérie. « Il serait naïf de croire qu’Al-Eriane
s’est mal exprimé. Pour preuve, Abdel-Halim Al-Ghazali, le
conseiller politique du guide spirituel, a affirmé que les déclarations
d’Al-Eriane sur la reconnaissance d’Israël étaient prématurées,
ce qui montre qu’il existe un courant au sein de la confrérie
qui soutient cette hypothèse. C’est un danger pour l’avenir
de la confrérie », estime Sultan. Selon lui, le rapprochement
avec les Etats-Unis constitue actuellement la seule solution pour
les Frères musulmans qui font l’objet d’une vaste campagne
d’arrestation par le gouvernement. Une hypothèse que n’exclut
pas Réfaat Al-Saïd, président du parti du Rassemblement
progressiste unioniste (UPI) connu pour sa position opposée aux
Frères musulmans. Al-Saïd pense cependant que « ces déclarations
soulignent l’état de confusion, de faiblesse et de division qui
règne au sein de la confrérie. La structure rigide de la confrérie
fait que l’absence de certains cadres perturbe l’ensemble de
la direction ».
Débat important
Les Frères
musulmans avaient réalisé une percée lors des élections législatives
d’octobre et de novembre 2005, en remportant 88 sièges. La
confrérie a annoncé récemment l’élaboration d’un programme
politique reconnaissant les mécanismes démocratiques et
qu’elle a soumis au débat aux partis politiques. Diaa Rachwan,
chercheur au Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS)
d’Al-Ahram et spécialiste des groupes islamistes, pense que les
propos d’Al-Eriane sont l’indice qu’il y a un débat
important au sein de la confrérie entre la vieille garde et les
cadres intermédiaires. « Essam Al-Eriane ne représente pas un
courant au sein de la confrérie. Je ne pense pas qu’il voulait
envoyer un message à qui que ce soit. Il n’occupe pas de
poste-clé au sein de la confrérie et son avis ne représente ni
la direction ni les cadres des Frères. Si la confrérie avait
voulu envoyer un message, elle l’aurait fait par le biais d’un
autre responsable. Les Etats-Unis et les Occidentaux ne sont pas
naïfs pour élaborer leurs politiques et prendre des décisions
en fonction d’un membre des Frères musulmans qui ne représente
que lui-même », pense Rachwan. Il pense que les circonstances
politiques actuelles ne sont pas adéquates à de telles manœuvres.
Avec la tension dans les territoires palestiniens et le refus du
Hamas de reconnaître Israël, comment la confrérie peut-elle
faire de telles déclarations ? Comme tous les groupes islamistes,
la confrérie a évolué et un débat important existe dans ces
rangs, conclut Diaa Rachwan.
Droits de reproduction et de
diffusion réservés. © AL-AHRAM
Hebdo
Publié le 26 décembre 2007 avec l'aimable
autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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