Al-Ahram Hebdo
« Obama soutien dans
les faits la politique d'Israël »
Noam Chomsky
Noam Chomsky
Mercredi 11 février 2009
Penseur
américain de renom, Noam
Chomsky analyse la politique des
Etats-Unis et celle d’Israël envers le processus de paix après
et avant l’agression contre la bande de Gaza.
Al-hram hebdo : Croyez-vous que
le président Barack Obama aura une nouvelle stratégie pour
régler le conflit israélo-palestinien ?
Noam Chomsky :
Nous savons, de source
israélienne, que la récente invasion de la bande de Gaza a été
soigneusement planifiée. Il était prévu que celle-ci se termine
juste avant l’arrivée de la nouvelle Administration à la Maison
Blanche, de façon à causer le maximum de dégâts à Gaza, tout en
donnant à Obama la possibilité d’ignorer tout cela, exactement
comme il l’a fait. Tout le long des attaques, Obama est resté
silencieux, sous prétexte que les Etats-Unis devaient avoir « un
seul président ». Mais cela ne l’avait pas empêché de parler de
nombreuses autres questions liées à la politique interne ou
internationale des Etats-Unis.
Après le début de son mandat, il
a fait les commentaires de routine sur les malheureuses victimes
tombées des deux côtés. Sa première intervention sur la
politique étrangère américaine, faite juste quelques jours plus
tard, a été sur le conflit israélo-palestinien, au moment où il
a nommé George Mitchell comme médiateur. En ce moment, il a
répété que défendre Israël était sa priorité. Il a mentionné
aussi à cette occasion son intérêt pour l’initiative de paix de
la Ligue arabe. Obama a affirmé que ce plan possédait des
éléments très constructifs, surtout ceux qui appellent à la
normalisation des relations avec Israël et il a exhorté les
Etats arabes de le faire. Il est sans doute un homme très
intelligent et choisit soigneusement ses mots. Pour cette
raison, nous devons assumer qu’il savait très bien ce qu’il
était en train de faire lorsqu’il s’est abstenu de faire
référence à l’essentiel du plan arabe, ou le contrepoids à la
normalisation, c’est-à-dire un règlement créant deux Etats, basé
sur un consensus international. Un consensus que les Etats-Unis
et Israël ont bloqué pendant plus de 30 ans.
Obama a, par conséquent, émis un
message très clair, qui feint rejeter verbalement l’action
d’Israël, mais qui a apporté le soutien réel des Etats-Unis à
toutes ses actions criminelles dans les territoires occupés. Et
ce, alors que les Israéliens s’emparent de toutes les terres
qu’ils souhaitent en Cisjordanie et condamnent les Palestiniens
à vivre dans des cantons. C’est la conclusion que l’on puisse
tirer des actes d’Obama avant et après son investiture.
-
Quelles seront les principales différences de style dans le
traitement du conflit israélo-arabe entre l’Administration d’Obama
et celle de son prédécesseur ?
-
Il y a certainement des différences dans leur style. Si
l’Administration Bush a été marquée par une arrogance sans
limites et un total mépris de l’opinion internationale, en ne
tenant même pas compte de l’avis des ses alliés les plus
proches, celle d’Obama utilisera, sans doute, une rhétorique
plus agréable à entendre et plus plaisante. Mais l’évidence à
laquelle nous sommes confrontés en ce moment tend à soutenir les
prévisions de Condoleezza Rice quand elle a dit que le style qui
sera adopté par Obama pour traiter du conflit israélo-arabe
ressemblera beaucoup à celui du deuxième mandat de George W.
Bush.
-
Pensez-vous qu’il serait possible de poursuivre les responsables
israéliens pour crimes de guerre contre les Palestiniens lors de
l’offensive de Gaza ? Les Etats-Unis risquent-ils d’apposer leur
veto au cas où l’affaire serait portée devant le Conseil de
sécurité ?
-
Si une telle demande parvient au Conseil de sécurité, les
Etats-Unis lui imposeront certainement leur veto. Mais il serait
très difficile qu’une telle possibilité vienne à voir le jour.
Si cela a lieu, alors les Etats-Unis devraient être, eux aussi,
poursuivis. Car l’invasion de Gaza a été une opération
israélo-américaine. A part le soutien diplomatique de
Washington, les armes étaient pour leur majorité américaines, et
ont été utilisées en violation des lois américaines et aussi,
bien entendu, du droit international. Mais les Etats-Unis ont
toujours pris leurs distances par rapport à toute juridiction
internationale, que ce soit la Cour pénale internationale ou la
Cour internationale de justice. La loi implacable de l’Histoire
dit que les puissants cherchent toujours à punir les crimes des
autres, tout en restant eux-mêmes intouchables.
-
Que pensez-vous de l’impact qu’aura la guerre à Gaza sur la
scène politique en Israël ?
-
La réponse est claire et a été donnée par les résultats des
élections israéliennes où l’on voit que la guerre a poussé les
Israéliens encore plus vers la droite ultranationaliste et
raciste.
-
Pensez-vous que les Palestiniens, divisés entre le Fatah et le
Hamas, pourraient surmonter leurs dissensions pour parvenir à un
minimum de dénominateur commun ?
-
Il y a eu plusieurs initiatives essayant d’aller vers une unité
nationale entreprises par les Palestiniens depuis le mois de
juin 2007. Il est fort possible que la violation israélienne du
cessez-le-feu du 4 novembre 2008 était un effort pour empêcher
des réunions qui auraient conduit à un gouvernement d’union
nationale. Par ailleurs, les Etats-Unis ont immédiatement réagi
aux élections de janvier 2006 en punissant les Palestiniens
d’avoir « mal voté » dans des élections libres. Je pense que les
Etats-Unis réagiraient à un gouvernement palestinien d’union
nationale de cette même manière.
-
Mais Obama a annoncé qu’il avait l’intention de dialoguer avec
l’Iran et la Syrie. Ne pourrait-il pas encore le faire aussi
avec le Hamas ?
-
Avec la Syrie, il va peut-être dialoguer. Mais son intention
d’entretenir un dialogue avec l’Iran relève plutôt de la
rhétorique vide. La position de l’Administration Obama a été
révélée par le vice-président, Joe Biden, lors d’un discours
prononcé dans une conférence internationale sur la sécurité, le
7 février à Munich, en Allemagne. Selon ses propres mots, l’Iran
doit « abandonner son programme nucléaire illicite et le soutien
accordé au terrorisme ». Par ces propos, Biden se référait au
programme d’enrichissement d’uranium iranien qui est licite et
qui respecte les normes du traité de non-prolifération
nucléaire. Et bien que cela soit rarement dit aux Etats-Unis, la
position de l’Iran quant à l’enrichissement de l’uranium est
soutenue par la majorité des Etats du monde (comme les
non-alignés) et par la plupart des Américains eux-mêmes.
Lorsque Biden parle de « soutien
au terrorisme », il se réfère au Hezbollah et au Hamas. Il est
vrai qu’ils peuvent être attaqués d’avoir perpétré des actes
terroristes, mais cela ne pourra pas être l’affaire des
Etats-Unis, car ce pays accorde un important soutien et commet
lui-même aussi des actes terroristes beaucoup plus extrêmes. Ce
qui doit préoccuper les Etats-Unis, ce sont leurs actes
criminels tout comme ceux de ses alliés. Mais bien loin de cela,
l’agenda américain pour des négociations renferme le programme
nucléaire iranien et le support accordé par ce pays au Hezbollah
et au Hamas.
-
Croyez-vous que Barack Obama agira en faveur de la démocratie et
des libertés fondamentales dans le monde arabe ?
-
Rien n’indique que cela va avoir lieu. Il semble qu’Obama
restera dans la même ligne traditionnelle adoptée jusqu’à
présent par les Etats-Unis d’appui accordé à des régimes
totalitaires et qui s’opposent à la démocratie et ce, sauf si
des élections formelles aboutissent au résultat souhaité par
l’Administration. Les élections palestiniennes donnent une
illustration dramatique de cela.
Propos recueillis par Anda Achmawi
Droits de reproduction et de diffusion
réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 18 février 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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