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L’imbroglio
de tous les dangers
Abir Taleb
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Liban . Le
projet de tribunal spécial pour juger les assassins de Rafic
Hariri plonge le pays dans une nouvelle crise politique dont
l’issue est plus qu’incertaine.
Septembre 2004, la Constitution libanaise est
amendée pour permettre de prolonger le mandat du président Emile
Lahoud. Il s’agissait alors de maintenir le Liban sous l’hégémonie
syrienne. Depuis, le Liban ne cesse de plonger dans des crises
politiques à répétition, déclenchées notamment avec
l’assassinat de l’ancien chef du gouvernement, Rafic Hariri,
en février 2005. Certains avaient alors cru que ce serait la
solution à tous les maux, ce n’était en fait que l’élément
déclencheur de crises jusque-là sous-jacentes.
Même si la Syrie s’est retirée du pays du Cèdre,
son ombre plane toujours et entre la majorité antisyrienne, représentée
par le chef du gouvernement, Fouad Siniora, et les partis
prosyriens, dont le Hezbollah, soutenus par le président de la République
Emile Lahoud, les oppositions sont de plus en plus marquées. Au
point que certains ne masquent plus leurs craintes d’un
embrasement. Un embrasement dont les prémices se font déjà
sentir avec des démissions en chaîne au sein du gouvernement,
plongeant le pays dans la crise politique, alors que le
gouvernement a adopté lundi le projet de création d’un
tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri,
une question qui divise la majorité antisyrienne et
l’opposition, proche de Damas. En approuvant ce projet, le
gouvernement libanais a passé outre à la démission de six
ministres, étant donné qu’il dispose en conseil des ministres
de la majorité de deux-tiers nécessaire à l’approbation du
projet de tribunal. Cependant, certains observateurs mettent en
doute la validité de ce vote. Le politologue Ghassan Ezzé a
ainsi déclaré à l’AFP : « Dans une démocratie consensuelle
à la libanaise, le conseil des ministres ne peut pas gouverner
sans la participation des représentants d’une des principales
communautés du pays », à savoir les chiites, qui représentent
le tiers des 3,5 millions d’habitants. Or, le Hezbollah et ses
alliés du mouvement Amal qui se sont retirés du gouvernement,
monopolisent la représentation politique des chiites. Les
divergences autour de la création de ce tribunal avaient déjà
provoqué vers la fin de l’année 2005 la suspension pendant
trois mois de la participation des ministres chiites au
gouvernement.
L’adoption du projet risque donc de porter à
son paroxysme la crise politique libanaise. Le dernier ministre en
date à avoir présenté sa démission est le ministre de l’Environnement,
Yacoub Sarraf, proche du président. M. Sarraf, un grec orthodoxe,
explique sa décision dans une lettre adressée au premier
ministre Fouad Siniora, en soulignant que le gouvernement a perdu
« sa légitimité constitutionnelle dès lors qu’une communauté
n’y est plus représentée ». M. Sarraf s’est ainsi aligné
sur la position du président Lahoud. Ce dernier se base sur un
article de la Constitution libanaise, selon lequel tout pouvoir
perd sa légitimité s’il ne respecte pas le principe de la
coexistence, c’est-à-dire la participation des principales
communautés religieuses au gouvernement.
Ces démissions, que Fouad Siniora n’a pas
acceptées, sont survenues après l’échec de consultations sur
la formation d’un gouvernement d’union nationale au sein
duquel le Hezbollah souhaitait accroître son influence. Le
Hezbollah, qui a proclamé sa victoire dans la foulée de la
guerre qui a opposé ses combattants en juillet et août à Israël,
entend désormais obtenir pour lui et ses alliés chrétiens et
prosyriens une influence accrue au sein du gouvernement et réclame
une « minorité de blocage ». Ce qu’a refusé la majorité
parlementaire antisyrienne, dirigée par Saad Hariri, fils de
l’ex-premier ministre, voyant derrière cette opération une
tentative de la Syrie de revenir en force sur la scène politique
libanaise
Incidences régionales
Ces récents développements au Liban ne
manqueront pas par ailleurs d’avoir leurs incidences sur la région.
Avec la mise en place d’un tribunal spécial pour juger les
assassins de Rafic Hariri, la Syrie et l’Iran risquent de se
trouver impliqués dans cette affaire. A la veille de l’adoption
du projet, Saad Hariri, avait accusé la Syrie et l’Iran de
vouloir empêcher la création de ce tribunal, insinuant ainsi
leur potentielle implication dans l’assassinat. La réponse de Téhéran
ne s’est pas fait attendre : « l’Iran n’a pas interféré
et n’interférera pas dans les problèmes d’autres pays. Ces
(accusations) sont erronées », a déclaré le porte-parole du
gouvernement iranien, Gholam Hossein Elham, ajoutant que « les
problèmes internes et la souveraineté des pays ont toujours été
respectés par la République islamique ».
Selon Hicham Ismaïl, professeur de sciences
politiques à l’Université du Caire, « la crise politique
actuelle est due essentiellement à la position du Hezbollah, qui
voulait régler ses comptes avec la majorité antisyrienne après
la guerre israélienne et réduire le poids de cette majorité en
établissant un gouvernement d’union nationale qui aurait
introduit le courant de Michel Aoun, allié du Hezbollah. Donc, la
majorité contre-attaque en faisant impliquer l’Iran et la
Syrie, les deux alliés du Hezbollah ». Tout en ajoutant : «
Impliquer l’Iran dans les affaires internes peut provoquer une
radicalisation des positions des différentes parties libanaises
». L’un des risques est de voir Téhéran soutenir encore plus
le Hezbollah, ce qui compliquera davantage la donne et peut
conduire à une véritable impasse.
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