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Al-Ahram Hebdo
Un patchwork ambigu
Samar Al-Gamal

Mercredi 10 décembre 2008
Barack
Obama.
Le président élu a
dessiné les contours de sa nouvelle Administration. On y
retrouve des Républicains de Bush, des anciens de Clinton et des
petits nouveaux. De quoi susciter des doutes sur le changement
promis au Proche-Orient.
Il a mené toute une campagne
sous le slogan du changement. C’est là d’ailleurs la base de sa
victoire impressionnante sur un McCain qui incarnait le passé
plus que le futur. Et voilà que le Barack Obama qui a promis aux
électeurs de changer le visage de l’Amérique joue l’équilibriste
avec un « Dream Team », qui n’est certes pas synonyme de
changement. L’Amérique continue à incarner l’image du gendarme
du monde. De la gauche à la droite, on ne cache pas sa
déception, le président qui prend les rênes de la Maison Blanche
en janvier aurait simplement et aussi rapidement bougé vers le
centre. « Je ne vois pas d’indice d’un changement dramatique »,
affirme Doug Bandow, un ancien conseiller du président Ronald
Reagan. La surprise ou encore le choc vient d’abord d’un
changement qui finalement maintient en place toute l’équipe de
la « sécurité nationale », qui œuvrait sous le président sortant
George Bush, trois personnes en particulier. Le premier est
Robert Gates, qui conserve son siège à la tête du Pentagone,
David Petraeus, chef du commandement central qui supervise les
opérations en Iraq et en Afghanistan, et l’amiral Mike Mullen,
chef d’état-major interarmées.
Une équipe renforcée par deux
autres figures de « guerre », l’ex-première dame Hillary Clinton
et le général des Marines à la retraite et ancien commandent de
l’Otan, James Jones. La première au poste influent et
prestigieux de secrétaire d’Etat et le second conseiller à la
Sécurité nationale. Autrement, la première a voté sans
hésitation pour la guerre contre l’Iraq, il y a un peu plus de
six ans, et le second l’a également cautionnée et commandé même
le corps d’élite des armées. « Pas un seul ne représente l’aile
antiguerre du Parti démocrate », écrit Robert Dreyfus,
journaliste américain et auteur du livre Devil’s Game (le jeu du
diable). D’après Bandow, M. Obama n’a pas fait preuve
d’assimilation que nous sommes entrés dans une phase où les
Etats-Unis ne peuvent plus endurer leur rôle militaire mondial.
Approche nouvelle et expérience
On dit que le futur président
s’est inspiré d’Abraham Lincoln, qui « avait donné des
ministères importants à des rivaux pour mieux les neutraliser ».
Ses principaux collaborateurs, eux, ont déjà travaillé dans
l’Administration de Bill Clinton. Un mélange de fermeté et de
pragmatisme, selon les analystes. Obama cherche à montrer qu’il
privilégie l’expérience et la compétence sur la nouveauté et
évite ainsi de tomber dans l’erreur de Carter ou de Clinton qui
s’étaient entourés de courtisans sans expériences, ou
d’idéologues, mettant dans l’impasse leur action. L’équipe Obama
veut en revanche combiner « une approche nouvelle avec
l’expérience ». Et le changement ? « Viendra de moi, c’est mon
boulot », a-t-il justifié. « J’ai choisi des hommes et des
femmes aguerris et aux avis tranchés, capables de donner leurs
positions, même si je serai responsable des politiques qui
seront définies », rappelle-t-il. Ce n’est pas tout à fait faux,
mais la critique la plus imminente provient du fait qu’il n’a
pas engagé des gens qui pouvaient offrir une nouvelle
perspective.
Une vision fraîche pour mettre
en application le changement préconisé par le nouveau M.
Amérique, que ce soit en Iraq ou dans les territoires
palestiniens où la situation s’est gravement détériorée sous
Bush, et qui figurent parmi les priorités d’Obama.
Des difficultés basiques
Le nouveau président américain
élu a toujours soutenu dans sa campagne que « les soldats
américains doivent quitter l’Iraq au profit de l’Afghanistan,
une zone toujours dangereuse ». Comment sous un secrétaire à la
Défense et une secrétaire d’Etat qui croient à ce que Bush a
fait en Iraq ? Personne ne sait. Hillary Clinton serait
peut-être un peu plus crédible lorsqu’il s’agit du
Proche-Orient. Son mari, ancien président américain, était sur
le point de décrocher un accord historique entre Palestiniens et
Israéliens. L’héritage de Bush n’est que lourd et Mme Clinton
aura cette lourde charge de convaincre les deux parties
d’avancer vers la paix et encore de fixer une date pour la
création d’un Etat palestinien. Obama semble ainsi avoir oublié
ses propres mots pour parler de sa rivale lors de la campagne
présidentielle estimant qu’il ne suffit pas de prendre le thé
avec les ambassadeurs pour s’y connaître en stratégie. Dans tous
les cas, une majorité de Palestiniens pensent que l’élection de
Barack Obama à la présidence des Etats-Unis n’aura aucun impact
sur les chances d’un règlement du conflit avec Israël. Selon un
sondage de Jerusalem Media and Communication Center, 57,5 % de
Palestiniens estiment que l’élection d’Obama « ne fera aucune
différence » par rapport à l’Administration sortante, contre
20,2 % qui se disent « plus optimistes » et 17,7 % « plus
pessimistes », le reste étant indécis. Une écrasante majorité de
Palestiniens (75,7 %) n’est en outre « pas du tout satisfaite »
du rôle américain dans le processus de paix.
En optant pour Robert Gates,
Obama laisse entendre que sa promesse de campagne de retirer les
troupes américaines d’Iraq dans les seize mois qui suivront son
entrée en fonction serait certainement tributaire de la
situation sur le terrain, qui lui sera soumise par ses chefs
militaires. Il suivrait leur avis, d’autant plus que les
différences sont minces entre Obama et Gates et qu’a été conclu
l’accord iraqo-américain prévoyant une présence militaire
américaine jusqu’au moins 2011. S’il souhaite également une
diminution des effectifs, Gates est pourtant contre un délai
fixe pour un retrait des 146 000 soldats américains présents en
Iraq.
La divergence pourrait être plus
évidente lorsqu’il est question de l’Iran. Le secrétaire à la
Défense rejette cette approche de dialogue avec Téhéran comme le
prône Obama. Son nouveau chef d’Etat veut, lui, engager des
négociations fermes et pragmatiques avec ses ennemis. L’équipe
Obama devrait, d’après Aaron David Miller, un ex-conseiller de
plusieurs secrétaires d’Etat, abandonner l’idée du président
Bush de renverser les dictatures, mais conserver la notion
d’éventuelles actions militaires préventives pour défendre les
intérêts américains. Le nouveau gouvernement privilégiera, selon
lui, une approche « soft » en utilisant l’économie, la
diplomatie et la culture pour influencer le reste du monde de la
force militaire. Le New Team envoie ainsi un message clair : les
Etats-Unis entendent maintenir leur suprématie militaire, avec
un peu de diplomatie. C’est ce que Lionel Beenher écrit sur The
Huffington Post website : « Excusez-moi la métaphore, mais Obama
cherche à mettre du rouge à lèvres pour le cochon qu’est la
politique étrangère américaine ».
Samar Al-Gamal (avec Agences)
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Publié
le 12 décembre 2008 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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