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La
voix de la raison
Amina
Hassan
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Abou-Ali
Chahine, membre élu du Conseil révolutionnaire et
responsable de la gestion financière du Fatah, clame l’union
des Palestiniens dans une volonté de liberté, au-delà des
fractures et de l’arbitraire du pouvoir.
Photo Al-Ahram
Mercredi 8 août 2007
Il a une
disposition d’esprit, une jovialité et un rayonnement intérieur
que ni la souffrance, la prison ou l’exil n’ont jamais pu altérer.
Pourtant, rien ne l’affecte autant que le clivage entre le Hamas
et le Fatah et l’effusion du sang palestinien. Cet homme qui
ressemble à un soldat (démarche, poignée de main) a vécu les
conflits les plus sanglants. Il évoque la manière dont
l’horreur a transformé son regard sur le monde.
Enfant, il assiste
à la mort en martyre de son père, pendant la défense de leur
village, Bachit, de la province de Ramleh, contre les assauts des
gangs terroristes sionistes, le 13 mai 1948. Ceux-ci se sont délectés
à mutiler le corps de son père par une rafale de mitraillette.
La déportation de sa famille et des habitants du village commence
alors vers le camp de réfugiés de Rafah, près de Gaza. «
Depuis ce jour, j’étais préparé à recevoir de plein fouet le
visage de la réalité telle qu’elle est, ou telle qu’elle
finit forcément par arriver », avoue Abou-Ali.
Il commence à se
poser des questions sur le poids de l’histoire et les rapports
avec l’ennemi sioniste. Pour se rendre utile, il cumule le
travail de serveur dans un café à de multiples petites besognes
pour aider son oncle, qui détient un commerce, à subvenir aux
besoins de sa famille. Dans la bibliothèque d’un centre de
services sociaux, il se procure les premiers ouvrages sur les
mouvements de libération au monde, en Chine, en Afrique du Sud,
en Amérique latine et en Afrique du Nord. Sa conscience politique
se constitue et il devient convaincu que la révolution est
indivisible et que les libertés se rejoignent et se complètent.
« La lecture d’ouvrages sur les mouvements de libération m’a
sauvé, m’a permis de m’ouvrir aux autres et d’explorer les
lieux de mon passé, de mon présent et de ma famille »,
explique-t-il. De ce travail de mémoire, cet élève doué à
l’école fait un devoir. Face à l’admiration de ses camarades
et de ses enseignants, il plie son cahier de classe et égrène,
dans des mots comptés, une langue simple, fluide, la chronique
d’une enfance marquée par le martyre du père, la pauvreté,
l’exil, l’endurance mais non dénuée de l’amour d’une mère
emplie de sagesse, de bonté et de beauté. Elle n’a de cesse de
lui raconter les souvenirs du pays, de la terre, des parcs et des
buissons de rose, de l’ombre des oliviers et comment tout a été
détruit du fait de l’occupation israélienne de la terre.
Son mépris pour
les auteurs de l’horreur grandit, et le spectacle des répressions
injustifiées, infligées aux Palestiniens lui serre le cœur. Il
apprend le massacre par des soldats israéliens de nombreux
Palestiniens pauvres et inoffensifs, qui se sont rendus près de
la ligne verte de la Cisjordanie pour se procurer de l’herbe
pour leur bétail. Suit encore un autre massacre dans une école
de Gaza de jeunes et de vieillards. C’est alors que les
manifestations des Palestiniens secouent les territoires occupés,
réclamant le droit à la lutte armée et au retour à leur terre
usurpée. « Nous avons besoin d’armes, Nasser. Non à
l’assimilation des Palestiniens dans des patries de
substitution, a-t-on scandé », se souvient Abou-Ali. Avec la
première opération palestinienne de revanche contre l’ennemi,
dirigée par Abou-Jihad (Khalil Al-Wazir), en septembre 1954, les
lueurs d’espoir nourrissent Abou-Ali, jusqu’à l’embrasement
de la résistance qui le fait vivre. Le commando d’Abou-Jihad
fait exploser par du TNT et des explosifs bricolés le grand réservoir
d’eau de Zohar, qui alimente une grande partie du territoire
israélien. Mais Israël répond par une répression plus
sanglante, commandée par Ariel Sharon, où périssent de nombreux
Palestiniens. Ceux-ci deviennent désormais conscients que pour
l’ennemi, « les bons Arabes sont les Arabes morts, exterminés
». « La géométrie de l’horreur nous entoure. On peut
arranger le petit morceau de terre qui se trouve autour de nous
pour le rendre plus habitable, mais ça n’empêchera pas un
massacre de se réveiller ailleurs, le même jour », déplore
Abou-Ali.
Pour les
Palestiniens, le souci de la récupération de leur terre devient
un devoir du présent. Déjà, en avril 1955, à la conférence
des non-alignés de Bandung, Nasser demande à Chuan Laï, président
de la Chine, d’intercéder auprès des Soviétiques pour
qu’ils lui fournissent des armes. Dès lors, le conflit
arabo-israélien prend un caractère politique. Les Palestiniens
refusent de s’aligner sur les positions des Frères musulmans
antinomiques à Nasser, et considèrent que toute priorité doit
être accordée à éradiquer le projet sioniste de colonisation
de la région, et à conférer un caractère révolutionnaire à
la lutte palestinienne. Depuis l’agression tripartite contre
l’Egypte en 1956, le conflit israélo-arabe s’achemine vers sa
radicalisation.
En 1961, à l’âge
de vingt ans, Abou-Ali entre dans la résistance. A l’époque,
il venait d’épouser sa cousine Soraya, et travaillait comme
assistant-pharmacien en Arabie saoudite. Mohamad Youssef Al-Naggar,
un militant de gauche palestinien, ancien ami de son père, s’y
rend pour l’enrôler. La mission d’Abou-Ali consistait à
collecter 1/5 des revenus des Palestiniens travaillant dans les
pays du Golfe pour financer le mouvement de résistance dont le déclenchement
a pris du retard à défaut de ressources. Il multipliait aussi
les déplacements entre l’Arabie saoudite, le Qatar et la Syrie
pour collecter des fonds et pour s’entretenir avec les leaders
palestiniens. Il prenait contact avec les autorités et partis
politiques arabes pour activer le dialogue sur la légitimité de
la cause palestinienne et de la lutte pour la récupération de la
terre. De même, il sélectionnait les jeunes Palestiniens
capables de devenir des combattants armés, de s’abandonner à
la lutte, visionnaires, le regard actif, fécond et impliqué de
fait. Mais l’essentiel du travail d’Abou-Ali consistait
jusqu’à ce jour à réunir les fonds nécessaires à poursuivre
la résistance pour qu’au cas où les militants succombent en
bataille, demeurent possible encore l’épanouissement et le déploiement
de l’œuvre militaire, conformément aux plans arrêtés.
Au cours d’un déplacement
en Algérie ; il rencontre Abou-Jihad, chargé de l’entraînement
militaire des jeunes recrues à Cherchal. Dans ce sillage, le
premier Conseil national palestinien se réunit en mai 1964 et
annonce le fondement de l’Organisation de Libération de la
Palestine (OLP). Abou-Ali se soumet aussitôt au pouvoir de sa hiérarchie,
à ses règles qui le façonnent. Il explique avec justesse le
rituel de l’appel du Fatah, « celui de la sommation de vivre
ensemble, dans l’articulation du tout et des parties, sans négociation,
ni état d’âme, dans un même corps qui ne se lâche ni se dégrade,
où la rage de trouver des passerelles au rêve de la libération
de la Palestine se réveille et s’aiguise ». Très vite,
Abou-Ali décide des grandes orientations stratégiques de
l’organisation, donne corps à des scénarios militaires qu’il
élabore. Il sent modifier la réalité. Jusqu’à ce qu’arrive
la défaite de 1967 qui accable les Arabes et impose de nouveaux
remaniements stratégiques.
Adoptant la déclaration
de Nasser, le 26 juillet 1967 : « Ce qui a été usurpé par la
force ne peut être récupéré que par la force », l’OLP décide
de détourner le conflit des frontières de la Palestine vers son
enceinte, pour cibler au cœur l’ennemi sioniste, et de faire de
la Cisjordanie le point de départ de ses opérations militaires.
Adroit et pragmatique, Abou-Ali propose de partager les zones
d’opération en trois : celle du nord comprenant Naplouse,
Tulkarem et Jénine. Celle du milieu intégrant Jérusalem,
Ramallah et Jéricho. Et celle du sud, dont il assume lui-même la
direction, qui comprend Bethléem, Hébron et la bande de Gaza.
Arafat devient, par la suite, représentant du Comité central de
l’OLP dans les territoires occupés. Il charge Abou-Ali de faire
passer des armes et des munitions de Gaza vers la Cisjordanie,
quotidiennement, à travers le désert du Naqab. Au cours d’un
de ces voyages, Abou-Ali tombe sous les mains des Israéliens, en
possession d’un déclencheur de la détonation de missiles.
Condamné à 15 ans d’emprisonnement, il fait face avec stoïcisme
à la grande épreuve de sa vie. Il fait bientôt figure de
recours et de secours moral pour ses compatriotes prisonniers
qu’il empêche de sombrer dans le désespoir. Il les entretient
de l’actualité de la lutte dont les échos lui parviennent, les
transposant dans une parcelle du monde du réel. Leurs échanges
sont capitaux, intenses, laissant apparaître clairement la
substance morale, aiguisant l’engagement hautement nuancé pour
la Palestine. A sa sortie de prison en 1982, il reprend le combat,
en galvanisant l’esprit de résistance chez les jeunes
Palestiniens, acquis à sa mystique : une haute idée du
militantisme et du devoir de récupération de la terre. « Nous
ciblons les soldats et structures militaires israéliens pour pulvériser
le mythe de puissance de l’Etat sioniste. Nous devons faire
croire aux civils israéliens qu’ils vivent dans un confort précaire,
protégés par de fines parois de verre des victimes de la répression
militaire de leur Etat, bercés par l’illusion rassurante
d’une justice inhibant les agressions, inventée par la société
pour tenir. Oubliant qu’un Etat qui en opprime un autre n’est
jamais un Etat libre ». Par ailleurs, Abou-Ali s’est souvent révolté
contre les attentats suicide perpétrés par le Hamas contre des
civils israéliens.
Il décortique une
symbiose entre culture politique et violence qui façonne en
profondeur la mentalité des leaders du Hamas. « Le mouvement du
Hamas se réduit à une pure entreprise de propagande visant à élargir
l’influence des Frères musulmans et à cacher sa nature
tentaculaire et totalitaire, s’interdisant de penser la pluralité
sociale et intellectuelle des Palestiniens. De sensibilités très
différentes (marxiste, chrétienne, musulmane, libérale), les
Palestiniens convergent dans la culture démocratique qui combat
la division et la dictature du seul qui exclut les autres ».
Faisant de Gaza son bastion principal, le Hamas veut restituer la
Cisjordanie à la gouvernance du Royaume de Jordanie et établir
le règne de la confrérie musulmane, dont les ambassadeurs errant
d’un pays à l’autre cherchent à établir une république
islamiste menaçant d’anéantir les autres. D’où le clivage
entre le Hamas et le Fatah. « Au-delà des fractures, il faut
persister à conserver une certaine présence au monde, caractérisée
par un attachement aux racines (la famille, la terre, la patrie)
qui sont autant de pôles de stabilité, en référence à une
histoire et une cause vers lesquelles l’homme palestinien se
tournerait plus volontiers », préconise Abou-Ali.
Ancien ministre de
l’Approvisionnement sous Arafat, il fait évacuer la tourmente
de ses compatriotes par la cadence de nouvelles industries très
vivantes et vibrantes, en substitution à celles israéliennes. «
Gouverner, ce n’est pas gérer une majorité tenue ensemble par
des échanges de faveurs et de fauteuils. Mais se pencher sur une
réalité, des besoins sociaux qui sont ceux des Palestiniens »,
conclut ce militant infatigable .
Amina Hassan
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