Palestine

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La solution est dans l’engagement
d’un dialogue sans conditions »
Mouchir Al-Masri
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Porte-parole du Hamas et
membre du Conseil législatif palestinien,
Mouchir Al-Masri
explique pourquoi son mouvement a décidé de prendre par
la force le contrôle de la bande de Gaza et évoque les
perspectives de règlement de la crise avec le Fatah du président
Mahmoud Abbass.
Photo Al-Ahram
Mercredi 4 juillet 2007
Al-Ahram
Hebdo : Pourquoi le Hamas a pris la décision de combattre les
forces du Fatah jusqu’à la prise de contrôle de la bande de
Gaza par les armes ?
Mouchir
Al-Masri : Notre décision de prendre
le contrôle de la bande de Gaza a été prise en raison de l’état
de chaos sécuritaire mené et programmé par un courant au sein
du Fatah, en vue de montrer que le gouvernement du Hamas a échoué
à apporter la sécurité aux Palestiniens. Ce courant a concocté
ce complot en coordination avec Israël, après l’échec du
blocus économique et financier imposé par l’Etat hébreu aux
Palestiniens depuis l’arrivée au pouvoir du Hamas en mars 2006.
Cette équipe du Fatah ne voulait pas la réussite du gouvernement
d’union entre le Hamas et le Fatah. Elle a donc mené une
campagne d’arrestations, d’enlèvements et de tortures des
membres du Hamas. Nous sommes arrivés à une impasse et il
fallait mettre un terme à cette situation intenable. D’où
notre décision de prendre par la force le contrôle de la bande
de Gaza, qui bénéficie aujourd’hui de la sécurité dont rêvaient
les Palestiniens.
—
De qui parlez-vous au juste au sein des services de sécurité
palestiniens ? S’agit-il de Mohamad Dahlan, l’homme fort du
Fatah dans la bande de Gaza ?
—
Oui, il s’agit de Dahlan et de son équipe qui ont dominé les
appareils de sécurité et qui voulaient perpétuer cette
domination. Ces appareils sont gangrenés par la corruption, du
trafic de la drogue jusqu’aux assassinats des membres du Hamas.
Tous les ministres palestiniens de l’Intérieur ont reconnu
cette réalité, y compris celui appartenant au Fatah, Nasr
Youssef, qui a révélé l’existence de milices au sein des
appareils de sécurité. Notre combat n’est donc pas avec le
Fatah dans son ensemble mais avec cette équipe influente au sein
de ce mouvement qui a dominé les appareils de sécurité. Nous
avons chassé de la bande de Gaza des dizaines, voire des
centaines de personnes qui étaient compromises avec ce courant
qui a déformé le visage du Fatah et volé sa décision. Et,
croyez-moi, les vrais et sincères membres du Fatah se sont réjouis
de ce qui est arrivé à ce courant.
—
Vous avez dit à d’autres occasions que ce courant au sein du
Fatah, qui selon vous porte la responsabilité de ce qui s’est
passé à Gaza, était également responsable de l’échec des
diverses tentatives de dialogue entre le Hamas et le Fatah.
Comment ?
—
Ce courant, qui contrôlait les appareils de sécurité, utilisait
ce levier pour mettre en échec tout accord politique conclu par
le Fatah et le Hamas. Sa tactique consistait à créer un état de
désordre et de chaos sécuritaire sur le terrain, une tension
entre le Fatah et le Hamas (enlèvements, tirs sur les convois des
ministres, chute de roquettes sur la résidence du premier
ministre) qui se solderaient par des suspicions réciproques et
l’échec dans l’application des accords politiques.
—
Mais le Hamas n’est-il pas, lui aussi, responsable de ce chaos :
N’a-t-il pas créé la « Force exécutive » dans la bande de
Gaza pour contrer les forces de sécurité appartenant au Fatah,
dans une lutte de pouvoir évidente avec le président Mahmoud
Abbass, dont il ne partage pas l’idéologie politique ?
—
Quand le Hamas a formé son gouvernement en mars 2006, les
appareils de sécurité palestiniens comptaient 80 000 membres,
dont 35 % appartenant au Fatah. Les « barons » des appareils de
sécurité, responsables de la crise actuelle, refusaient
d’appliquer les ordres du ministre de l’Intérieur de l’époque,
issu du Hamas, Saïd Siyam. Ce refus a créé une tension entre le
Hamas et le Fatah. Nous nous sommes alors mis d’accord avec le
président Abbass sur la création de la « Force exécutive ».
Abou-Mazen a créé par décret cette force qui devait être
composée par toutes les factions palestiniennes, dont le Hamas.
—
Mais cette force est dominée par le Hamas ...
—
Parce ce que le Hamas a le plus de combattants et les mieux entraînés.
—
Cet état a cependant créé une sorte de déséquilibre avec les
autres appareils de sécurité et soulevé des soupçons sur la
volonté du Hamas de dominer par la force ...
—
Dès la formation de la « Force exécutive », les barons des
appareils de sécurité appartenant au Fatah sont entrés en lutte
armée contre elle pour l’empêcher de remplir sa mission de
ramener la paix et la stabilité dans la bande de Gaza, et pour
garder la tension sur le terrain. Notre coup de force dans la
bande de Gaza a finalement réussi à les éliminer.
—
Mais le président Abbass a ordonné plus tard la dissolution de
la « Force exécutive », ce que le Hamas a refusé ...
—
Il a pris cette décision sous la pression d’Israël, qui a
voulu sa dissolution car elle n’était pas le fruit d’une
coordination ou d’un accord avec les Israéliens mais l’émanation
d’une décision purement palestinienne.
—
Pourquoi refusez-vous d’admettre que la « Force exécutive »
était l’outil du Hamas dans sa lutte sur le pouvoir avec le
Fatah ?
—
Parce que cette force était le fruit d’un accord entre le président
et le gouvernement du Hamas en vue d’appliquer un plan de sécurité
approuvé par les deux parties. Mais les dirigeants des appareils
de sécurité n’ont jamais accepté l’existence d’une force
dont le contrôle leur échappe, et dont la mission — ramener la
sécurité — est contraire à leur politique de pérenniser la
tension dans la bande de Gaza.
—
La prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas a créé
une situation insolite qui nuit finalement à la cause et à la
population palestiniennes ...
—
Ceux qui portent la responsabilité de cet état sont ceux qui ont
refusé le choix démocratique des Palestiniens et ont voulu
mettre en échec son gouvernement. Abou-Mazen porte une
responsabilité car il n’a appliqué aucun des accords de sécurité
conclus avec le Hamas. Est-il faible, fait-il partie d’un
complot ? Les analystes politiques le diront. C’est aussi la
responsabilité de la communauté internationale qui s’est
comportée contrairement à ses principes déclarés de respect de
la volonté des peuples et de la démocratie.
—
Comment voyez-vous l’issue de cette crise, dont paie le prix la
population palestinienne ?
—
La seule solution réside dans l’engagement d’un dialogue
entre le Hamas et le Fatah, car aucun des deux mouvements ne peut
gouverner seul. Il est impossible d’écarter le Hamas qui a été
plébiscité par la population.
—
Le président Abou-Mazen refuse tout dialogue avant le retour à
la situation antérieure dans la bande de Gaza ...
—
Le dialogue doit être sans conditions préalables.
—
Mais le président Abbass, soutenu par la communauté
internationale et par Israël, cherche à isoler le Hamas et à
montrer que son contrôle de la bande de Gaza se soldera par une détérioration
des conditions de vie des Palestiniens qui y vivent. L’objectif
étant de faire retourner la population contre le Hamas ...
—
Cette stratégie est une pure illusion. Elle a été déjà suivie
depuis l’installation du gouvernement du Hamas, il y a un an et
demi, sans résultat, car le Hamas n’a rien perdu de sa
popularité. Le soutien d’Israël et des Etats-Unis à
Abou-Mazen va au contraire conduire à sa chute et à la faillite
de son programme politique. Car les Palestiniens ne sont pas
dupes. Qu’a-t-il obtenu grâce à ce soutien ? Rien. L’Etat hébreu
ne cédera rien des droits des Palestiniens à Mahmoud Abbass. La
stratégie politique du président est vouée à l’échec.
Je
veux dire enfin que si Israël cherche à étouffer la bande de
Gaza, il transformera la population palestinienne en une bombe à
retardement dont la victime sera l’Etat hébreu même. Donc, je
pense que cette stratégie a ses limites.
—
Le Hamas a accepté dans l’accord de La Mecque, le 8 février,
de mandater le président Abbass pour engager des négociations
avec Israël. Cependant, le mouvement a poursuivi ses tirs de
roquettes sur la ville de Sdérot (sud d’Israël). Ce qu’a dénoncé
Abou-Mazen car il nuit à la stratégie de pourparlers avec
Tel-Aviv. Pourquoi n’avez-vous pas arrêté ces tirs ?
—
Ces tirs ne sont que la réaction aux agressions israéliennes
contre les Palestiniens. Ils ont créé une psychose stratégique
en Israël, car le gouvernement a annoncé son incapacité à leur
mettre un terme. Ils ont provoqué une émigration inverse, de Sdérot
vers l’intérieur de l’Etat hébreu. Ces tirs ne sont
finalement qu’un prétexte qu’utilise Israël pour ne pas
engager de pourparlers avec les Palestiniens.
J’ajoute
enfin que l’inexistence de tirs de roquettes à partir de la
Cisjordanie n’a jamais empêché Israël de poursuivre ces
agressions contre la population de ce territoire. Un chiffre
suffit pour le démontrer : 90 % des détenus palestiniens en Israël
sont de la Cisjordanie.
—
Vous refusez les négociations avec Israël. Comment comptez-vous
libérer les terres palestiniennes étant donné l’énorme déséquilibre
de puissance entre Palestiniens et Israéliens ?
—
Nous avons proposé à Israël, depuis 1989, une trêve de longue
durée contre l’établissement d’un Etat palestinien dans les
frontières de juin 1967 et la libération de tous les détenus
palestiniens dans les prisons israéliennes. Dans ce cadre, nous
avons mandaté Mahmoud Abbass pour engager des négociations avec
Israël. Mais le Hamas n’engagera pas lui-même des pourparlers
avec Israël, car ceux-ci, tels qu’ils ont été menés jusqu’à
présent, ont prouvé leur futilité : Ils n’ont mené qu’à
des concessions de la part de l’OLP sans contrepartie. Ce que
nous refusons.
—
Vous acceptez que Mahmoud Abbass engage des négociations avec
Israël. En même temps, vous prônez la résistance armée.
N’est-ce pas contradictoire ?
—
La résistance armée est une autodéfense contre les agressions
israéliennes. C’est une réaction légitime contre
l’occupation militaire. Et puis, cette résistance armée n’a
jamais fait échouer une quelconque négociation. Car celle-ci
portait en elle-même les germes de son échec. Nous avons vécu
des périodes de calme dont l’aboutissement était
l’intensification de la colonisation et la poursuite des
agressions contre notre peuple. La réalité est que la balle est
dans le camp israélien qui a toujours refusé toutes les
initiatives de paix faites par les Palestiniens et les pays arabes.
Propos
recueillis par Hicham Mourad
Droits de reproduction et de
diffusion réservés. © AL-AHRAM
Hebdo
Publié avec l'aimable
autorisation de AL-AHRAM Hebdo

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