Invité

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« Israël ne cherche pas
à conclure un accord de paix »
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Mohamad
Dahlane, ancien conseiller
à la sécurité nationale du président palestinien Mahmoud Abbass
et ex-homme fort de la bande de Gaza, analyse les chances d’une
réconciliation entre le Fatah et le Hamas, d’une trêve entre ce
dernier et Israël ainsi que les perspectives d’un accord de paix
israélo-palestinien.

Mohamad Dahlane
Mercredi 4 juin 2008
Al-Ahram Hebdo : Croyez-vous à
la possibilité de parvenir à une trêve entre le Hamas et Israël
dans la bande de Gaza, grâce à la médiation de l’Egypte ?
Mohamad Dahlane :
Dans les négociations, Israël a
l’habitude de suivre une méthode de tergiversation pour gagner
du temps et obtenir le maximum de concessions de la part du
Hamas. Par conséquent, je pense que les efforts déployés par
l’Egypte rencontreront de nombreux obstacles de la part d’Israël
et parfois de la part du Hamas, surtout que sa méthode consiste
à menacer Israël d’un côté et l’Egypte de l’autre, en la mettant
en garde contre une possible ouverture par la force du point de
passage du Rafah.
— Pensez-vous donc à un échec
de la médiation égyptienne entre Israël et le Hamas ?
— Non, l’Egypte peut réussir sa
médiation, car elle n’a pour objectif que de rendre aux
Palestiniens leurs droits, et l’accalmie ouvrira d’un côté la
porte à la réconciliation palestinienne intérieure et, de
l’autre, à l’ouverture des négociations avec Israël. Or, il est
sûr que les efforts égyptiens ne pourront réussir sans une
volonté réelle de la part du Hamas et d’Israël. Parfois, Israël
ou le Hamas complotent contre l’Egypte parce que chacun d’entre
eux pense qu’il sortira gagnant de ce jeu.
— Comment est-il possible de
régler le conflit entre le Hamas et le Fatah, qui a conduit à la
division des territoires palestiniens ?
— Avant tout, il faut se rappeler
que le Hamas a refusé et continue de refuser d’adhérer au
mouvement national palestinien dirigé par l’OLP depuis le début
des années 1960. La crise n’est donc pas nouvelle. Alors que
nous menions la lutte contre l’occupation israélienne, le Hamas,
qui s’appelait alors « La Ligue islamique », refusait de s’y
associer en se basant sur des raisons religieuses. Avec le
retour de l’OLP dans les territoires palestiniens en 1994, le
Hamas a refusé de reconnaître son existence et a aussi refusé
les accords d’Oslo conclus avec Israël. C’est ainsi que le Hamas
a refusé de participer aux élections de 1995 sous prétexte qu’il
ne reconnaît pas Oslo. Dix ans plus tard, le Hamas a accepté de
participer aux élections. Je pense que le régime politique
palestinien a certainement besoin d’une union politique
regroupant toutes les forces et tous les partis politiques.
Surtout que le Hamas s’approche de plus en plus des positions
politiques pragmatiques, c’est-à-dire des positions de l’OLP.
C’est ce que Khaled Mechaal, le chef du bureau politique du
mouvement, a exprimé dans sa dernière rencontre avec l’ancien
président Jimmy Carter, lorsqu’il a appelé à l’établissement
d’un Etat palestinien dans les frontières de juin 1967. C’est à
quoi nous appelons depuis 1988. Et c’est ce que le Hamas a
assimilé, 20 ans après. Le mouvement islamiste a ainsi compris
que pour pouvoir influencer l’échiquier politique international,
il faut adopter une position politique consistante, loin des
slogans.
— Que pensez-vous du rôle de
la Syrie dans les tentatives de parvenir à un règlement entre le
Fatah et le Hamas ?
— Je pense que Damas,
contrairement à l’Iran, joue un rôle positif entre les deux
parties palestiniennes. Bien que la Syrie soutienne les
positions du Hamas contre celles du Fatah, il est à noter
qu’elle a toujours refusé de trouver un substitut à l’OLP.
— Certains pensent que la
crise actuelle entre le Fatah et le Hamas a profité au mouvement
islamiste auprès de l’opinion publique palestinienne, et que,
par conséquent, il gagnerait les prochaines élections. Qu’en
pensez-vous ?
— Je crois plutôt le contraire.
Tout le monde a perdu dans cette crise. Le seul gagnant est
l’Etat hébreu. Le Hamas a beaucoup perdu de sa force morale en
tuant des Palestiniens. Quant aux prochaines élections
palestiniennes, je vous assure que le Hamas ne jouira pas de la
même confiance que celle du dernier scrutin.
— La bande de Gaza est soumise
à un blocus israélien féroce et le Hamas a menacé d’envahir les
frontières avec l’Egypte pour faire cesser ce blocus.
Pensez-vous que le Hamas peut passer à l’acte, comme il l’a déjà
fait récemment ?
— Le Hamas a pris l’habitude de
ne pas faire face à ses crises et de jeter toujours la
responsabilité sur les autres. Quant au blocus, c’est un acte
illégal et inhumain qui dure depuis l’année 2000, mais la phase
actuelle est la plus difficile. Israël est l’unique gagnant du
coup de force du Hamas dans la bande de Gaza, car il a profité
de la division politique et géographique qui a eu lieu entre ce
territoire et la Cisjordanie. Cette division était un objectif
qu’Israël cherchait dans les négociations. Que le Hamas fasse
une fuite en avant en violant les frontières avec l’Egypte
constitue un crime politique et moral. Car cela fait le jeu de
l’Etat hébreu qui cherche à faire assumer à l’Egypte la
responsabilité du problème de la bande de Gaza, et ce dans le
but de se dérober de sa responsabilité juridique et politique en
tant que force occupante.
— Pensez-vous qu’Israël est
sérieux dans sa volonté de parvenir à un accord de paix avec
l’Autorité palestinienne avant la fin 2008 ?
— Naturellement, non. C’est une
erreur de croire qu’Israël cherche à conclure un accord de paix
avant la fin de l’année. Tous les dirigeants israéliens ont le
regard viré sur les prochaines élections. Toutes les
négociations en cours n’ont d’autre objectif que de donner
l’impression qu’Israël « veut une solution ». En même temps, les
Etats-Unis sont incapables d’obliger l’Etat hébreu à prendre une
position politique différente lors des discussions. Connaissant
bien les positions israéliennes, je vous assure que l’année 2008
sera plutôt celle du renforcement de la colonisation et non
celle de la paix.
—
Certaines parties palestiniennes, en particulier le Hamas, vous
ont accusé d’agir selon l’agenda américano-israélien. Qu’en
pensez-vous ?
— Ces accusations ne sont pas
nouvelles. Mes différends avec le Hamas sont anciens, et datent
de 1982 quand nous avons commencé à former le mouvement national
politique dans la bande de Gaza. A cette époque, le Hamas
refusait le principe de la résistance. Sans entrer dans des
détails historiques, je voudrais dire que tous ceux qui étaient
en désaccord avec le Hamas ont été accusés de trahison ou
d’apostasie, surtout Yasser Arafat et Abou-Mazen. Dernièrement,
des accusations ont même été adressées par le Hamas contre le
ministre égyptien des Affaires étrangères et contre toute
l’Egypte. Or, tout ce que fait Hamas ne va pas me convaincre de
faire le contraire de ce dont je suis convaincu. Auparavant,
personne ne croyait ce que je disais sur le Hamas, mais
aujourd’hui, le masque est tombé et je pense que le peuple
égyptien ainsi que tous les peuples arabes ont commencé à
comprendre les tromperies du Hamas.
— Pensez-vous à un changement
de la politique américaine envers la question palestinienne
après l’arrivée d’un nouveau président aux prochaines élections
de novembre 2008 ?
— Je ne m’attends pas à un
changement important envers la cause palestinienne que ce soit
de la part des Démocrates ou des Républicains, même si les
Démocrates sympathiseront davantage avec les Palestiniens. Mais
sans grand changement dans l’essentiel de leurs positions. Il
faudra au moins un an après les élections pour que commence une
intervention réelle dans le processus de paix dans la région.
L’Histoire prouve que quand il s’agit d’Israël, les Etats-Unis
se transforment d’une superpuissance en un Etat qui tente par
tous les moyens de satisfaire Israël à cause du lobby
pro-israélien qui détient les rênes financières, médiatiques,
politiques et économiques aux Etats-Unis. En réalité, Israël
déploie des efforts sur la scène américaine beaucoup plus que
ceux déployés par tous les pays arabes et islamiques. L’action
de ce lobby aux Etats-Unis date de plus de 90 ans.
Propos recueillis par Magda
Barsoum
Droits de
reproduction et de diffusion réservés. ©
AL-AHRAM
Hebdo
Publié le 4 juin 2008 avec
l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo

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