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Si la vie des Palestiniens ne s’améliore pas
rapidement, le processus de paix ne marchera pas »
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Bernard
Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, était
au Caire cette semaine en compagnie du président Nicolas Sarkozy
lors de sa première visite en Egypte. Il évoque ce séjour et
les questions brûlantes de la région.
Mercredi 2 janvier 2008
Al-Ahram Hebdo :
Quel était l’objectif de la première visite officielle du président
Nicolas Sarkozy ?
Bernard Kouchner
: Nous sommes venus pour développer
nos rapports avec l’Egypte, avec laquelle la France entretient
des relations fréquentes, étroites et cordiales, qui tiennent à
une longue tradition. Les sujets des discussions n’étaient pas
des questions de discorde. La France veut renforcer un partenariat
stratégique avec l’Egypte. C’est une chose essentielle pour
nous, car l’Egypte est le plus grand pays de la région. Dans
toutes les directions, nous sommes aux côtés, avec, à la suite
des Egyptiens pour trouver des solutions aux problèmes du
Moyen-Orient. Sans les Egyptiens, il n’y a pas de solutions. Le
Caire, Alexandrie, Paris, c’est le meilleur de la Méditerranée.
La seule chose sur laquelle le président Sarkozy a tenu à
insister était son projet d’Union pour la Méditerranée. Cette
évolution de « de » à « pour » entend insister sur le fait
que ce sont des « projets concrets » — et non pas de grandes
constructions administratives et bureaucratiques — qui réuniront
les pays de la Méditerranée. Pour l’heure, nous avons de notre
côté les pays de la face nord de la Méditerranée, le Portugal,
l’Espagne, l’Italie et la Slovénie. La Grèce viendra. De
l’autre côté, il y a déjà le Maroc, l’Algérie, la Tunisie
et l’Egypte. Le groupe est en constitution. C’est vrai qu’il
y a des pays qui sont un peu sourcilleux, hésitants, voire
critiques vis-à-vis du projet. Mais ils y participeront au coup
par coup quand ils le veulent. Le projet n’est pas une
opposition aux structures de coopération méditerranéennes
existantes, mais un complément avec elles et avec l’Europe. Ce
qui est différent par rapport au processus de Barcelone, ce sont
les projets qui regrouperont véritablement l’intérêt des
populations. Des projets construits à géométrie variable.
- Comment
entendez-vous surmonter l’opposition de l’Allemagne qui craint
que ce projet ne provoque l’implosion de l’Union Européenne
(UE) ?
- La chancelière
allemande, Angela Merkel, avait des inquiétudes légitimes. Nous
l’avons rassurée : le projet de la Méditerranée doit être
considéré comme un pont entre les civilisations, entre l’UE et
l’Union Africaine (UA), entre les cultures occidentale et européenne,
et arabo-musulmane. C’est ça l’intérêt du projet qui doit
se faire naturellement autour de la Méditerranée, à travers
l’amélioration de la vie quotidienne de ses citoyens.
- Et la Turquie
...
- La Turquie a une
petite réticence, parce qu’elle craint que le projet ne soit un
moyen de l’empêcher d’adhérer à l’UE. Mais nous lui avons
dit que l’Union pour la Méditerranée n’interfère en rien
dans les négociations entre Ankara et Bruxelles.
- La crise de
l’élection d’un président au Liban traîne en longueur et
les complications n’ont cessé de s’accumuler. Comment régler
cette crise ? Qui bloque ?
- C’est vraiment
une crise très compliquée. J’ai cessé de croire qu’elle
sera réglée dans les jours qui viennent. Il faudrait un miracle.
Mais je n’y crois pas, car l’opposition, et les pays avec qui
elle est en rapport, ne veulent pas que l’élection ait lieu.
Nous avions beaucoup de difficultés déjà à l’intérieur du
camp chrétien entre le courant du 14 mars (majorité
parlementaire) et le général Michel Aoun sur le choix du président
qui doit être chrétien maronite. Mais nous avions surmonté
cette difficulté, le général Aoun ayant renoncé à se porter
candidat. De l’autre côté, nous avions des difficultés avec
l’opposition que nous avons également réglées. Une fois que
majorité et opposition sont tombées d’accord sur un candidat
de consensus, Michel Sleiman, la voie paraissait libre pour l’élection
du président. Mais l’opposition a émis de nouvelles conditions
sur la composition du gouvernement qui contredisent l’accord de
Taëf.
- Quel est
l’intérêt de l’opposition, et de ceux qui la soutiennent
dans la région, à bloquer l’élection du président ?
- Les intérêts
sont contradictoires. L’Iran n’a pas intérêt à ce qu’il y
ait chaos au Liban parce qu’il a intérêt à garder son allié,
le Hezbollah, en l’état et la force qu’il représente face à
Israël. Et tout le monde sait que le réarmement du Hezbollah est
non pas au sud de Litani mais au nord. En revanche, la Syrie a intérêt
à ce qu’il n’y ait pas de gouvernement fort parce qu’elle a
toujours pensé que le Liban était sa dépendance immédiate.
D’autre part, il y a le tribunal spécial pour juger les
responsables de l’assassinat de l’ancien premier ministre
Rafiq Hariri.
- Pourquoi l’UE
ne joue-t-elle pas de rôle politique dans le règlement du
conflit israélo-palestinien qui soit à la hauteur de sa
contribution financière au processus de paix ?
- L’Europe
n’est pas assez adulte. Cependant, l’Europe est très impliquée
à travers le Quartette international sur le Proche-Orient, dont
le représentant n’est autre que Tony Blair, un Européen très
convaincu. C’est lui qui dirige, avec la Commission européenne,
la mise en place du plan du premier ministre palestinien, Salam
Fayyad. Je dois encore dire que par rapport à la conférence d’Annapolis,
celle de Paris, qui a réuni en décembre les donateurs pour l’Autorité
palestinienne, était aussi politique. Les discours des
intervenants étaient politiques, les prises de décision étaient
politiques. Ce n’était pas seulement de l’argent. C’était
une conférence certes de donateurs, mais une conférence très
politique. Parce que nous avons le plan de Fayyad qui comprend la
bande de Gaza, pour laquelle des projets immédiats sont prévus.
Mais s’il n’y a pas l’ouverture des barrages et un vrai arrêt
de la colonisation, cela ne marchera pas.
- Mais à
Annapolis, il a été décidé que seuls les Américains seront
juges de l’état d’avancement dans l’application des
engagements pris par les Israéliens et les Palestiniens ...
- C’est vrai.
Mais nous, Européens, jugerons des réalités, car si la vie
quotidienne des Palestiniens ne s’améliore pas rapidement, le
processus de paix ne marchera pas. Et cela c’est nous qui le
contrôlons. Il faut donner un rôle plus important à l’Europe.
Nous l’avons, et nous l’avons mal joué.
- Pensez-vous
qu’Israël est vraiment sérieux dans son intention de régler
son conflit avec les Palestiniens, surtout qu’il vient
d’annoncer de nouvelles constructions à Jérusalem-Est ?
- Ces nouvelles
constructions ne sont pas un bon signe. Mais je crois qu’Israël
est sérieux. Le premier ministre Ehud Olmert et le président
palestinien Mahmoud Abbass sont très faibles chacun de son côté.
Et c’est peut-être cette faiblesse-là qui est le grand atout.
Les deux hommes sont sincères dans les limites de leurs
possibilités. Moi, j’y crois. Feignons au moins d’y croire.
Faisons tout pour y croire.
- Les
Occidentaux accusent Khartoum de bloquer le déploiement de la
force hybride Onu-UA au Darfour, alors que le Soudan accuse les
Occidentaux de vouloir s’ingérer dans ses affaires intérieures.
Qu’en dites-vous ?
- Le Darfour est
une tragédie. Le gouvernement bloque le déploiement de la force
Onu-UA, c’est clair. Mais ce qui bloque le plus,
malheureusement, c’est la difficulté d’entente entre l’UA
et le Soudan. Ce qui bloque le plus c’est que le président Omar
Al-Béchir a souhaité que les soldats de la force soient
d’abord des Africains. Il a dit qu’il acceptera d’autres
nationalités après la venue des soldats africains. C’est
encore une façon de repousser le déploiement. Entre-temps, les
massacres continuent au Darfour, dont certains sont attribués au
gouvernement. Cette situation est intolérable.
- Et les
accusations d’ingérence ...
- Oui, on veut
s’ingérer contre les massacres. C’est la recommandation des
Nations-Unies, de la loi internationale qui parle de la
responsabilité de protéger. La France n’a pas de soldats au
Darfour. Khartoum a demandé des Africains. Qu’il laisse venir
les Africains. Mais, ils ne viennent pas. Les transports ne sont
pas acquis, le matériel manque ... C’est un problème partagé
entre l’UA et l’Onu, parce que ce n’est pas facile de monter
une opération conjointe. Et les Soudanais jouent très bien de
cette affaire. Pendant ce temps-là, ils massacrent. Nous sommes
appelés par les populations. Les chefs rebelles le demandent.
Nous voulons arrêter les massacres. C’est tout. Le reste, ils
le régleront politiquement comme ils le veulent. Ce n’est pas
notre problème.
- La récente
visite du colonel Kadhafi à Paris a suscité un tollé en France,
où le gouvernement a été accusé d’avoir sacrifié la défense
des droits de l’homme sur l’autel des intérêts économiques.
Qu’en dites-vous ?
- Il fallait que le
colonel Kadhafi vienne à Paris. Il fallait que l’on donne au
moins un quitus, un signe d’approbation à ceux qui évoluent
dans le bon sens, ceux qui quittent l’extrémisme et les
attentats, ceux qui renoncent aux armes de destruction massive.
C’était un fait positif de la diplomatie française renouvelée.
C’est vrai que pour les droits de l’homme et la politique étrangère,
il faut faire des efforts pour que les deux restent ensemble. Mais
on ne peut pas fonder à 100 % la politique étrangère sur les
droits de l’homme. La vérité est que tout le monde s’est précipité
en Libye, alors que les infirmières bulgares étaient encore en
prison. Cela n’a empêché personne de signer des contrats.
Nous, nous les avons fait sortir. Et c’est seulement après que
nous avons signé des contrats et reçu Kadhafi.
- Les négociations
sur le dossier nucléaire de l’Iran paraissent dans l’impasse.
Quelle issue envisageable à cette crise ?
- Pour le moment,
nous ne sommes pas très avancés car le conflit entre les
tendances au sein du gouvernement iranien, celles d’Ahmadinejad
et de Khameini, est très important. Est-ce qu’on peut jouer de
cela ? Peut-être. De toute façon, nous continuons, les six
grandes puissances, à travailler sur une résolution imposant de
nouvelles sanctions à l’Iran.
- La récente
nomination de Saïd Djalili, un dur proche d’Ahmadinejad, à la
tête des négociateurs iraniens n’a-t-elle pas compliqué les
choses ?
- C’est vrai que
c’est un mauvais signe. Et j’ai le sentiment que l’on
assiste à un renforcement du camp d’Ahmadinejad. Mais nous
continuerons à négocier.
- Pensez-vous
que l’Iran a vraiment l’intention de développer une arme nucléaire
?
- Non, je ne pense
pas que le peuple iranien le veut. Il veut en revanche occuper sa
place. L’Iran est un grand pays qui occupe dans l’Histoire une
place considérable, avec une grande culture. Et puis c’est le
retour d’une offensive des chiites — comme en Iraq et au Liban
—, qui étaient malmenés par l’histoire religieuse et que les
sunnites considéraient comme des gens de seconde catégorie. Il
ne faut pas oublier non plus que l’Iran est une grande « démocratie
» religieuse. De toute manière, nous ne pouvons pas accepter une
bombe atomique iranienne en raison du risque de prolifération.
Propos recueillis par Hicham
Mourad
Droits de reproduction et de
diffusion réservés. © AL-AHRAM
Hebdo
Publié le 3 janvier 2008 avec l'aimable
autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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