Lecture
« Virgules en
trombe »
Une fulgurance de Sarah Haïdar
Ahmed
Halfaoui
Samedi 20 avril
2013 Celui qui voudrait, en un article,
restituer le contenu ou le sens de «
Virgules en trombe », la dernière œuvre
d’écriture de Sarah Haïdar (première en
langue française), serait bien
prétentieux. On ne peut ni le résumer,
ni en donner un sens qui ne le trahirait
pas. Ce n’est pas un roman et il ne
ressemble pas à un roman, tel qu’il est
admis, mais en dire que c’est un «
presque-roman » c’est le réduire à une
tentative, une esquisse au plus. Le
titre lui-même sonne comme un
avertissement. Non seulement il
n’indique rien qui permette une attente,
plus ou moins précise, un personnage et
son histoire, une problématique sociale,
un manifeste idéologique ou tout autre
sujet de livre, mais suscite en soi des
questionnements. Son choix, qui ne
serait pas celui de l’auteure mais celui
de son éditeur, témoigne à la fois de la
difficulté rencontrée à intituler le
texte et de la perspicacité qui a
prévalu. Le résultat est des plus
probants. Si probant qu’ils seront très
peu nombreux, les lecteurs, à ne pas
l’adopter après la dernière virgule et
le dernier point. Au bout de la
découverte, rarement déçue.
Le texte, lui, est fait de creux et de
vagues, de jaillissements et d’envolées
des choses et des êtres, jamais de
détours ni de contournements de quoi que
ce soit qui constitue la vie. Convoquant
la sublimation ou défiant l’imagination,
il nous maintient dans l’univers du
réel, même si la sublimation peut
parsemer le mouvement, dans des éclairs
d’une rare poésie. Ce faisant il dérange
ou conforte et entraîne au-delà des
seuils de l’imprimatur social, dont il
n’est pas tenu compte et qui n’a pas,
dans un seul mot, trouvé à s’exprimer.
Ce qui rend décalées les critiques qui
puisent dans les codes dominants les
catégorisations de Sarah Haïdar. Ni
esprit plus tourmenté que d’autres, tous
les autres, dans un monde impitoyable,
ni rien du genre, seulement un
libre-dire qui est réprimé dans la
multitude, soucieuse
d’intégration-intégrité et de garder le
rang.
Elle nous dit, quelque part, ceci : «
je tiens à préciser que mon expérience
personnelle avec l’écriture n’est pas à
analyser. Tout ce que je peux assurer
c’est qu’elle est pour moi une fin en
soi. » Ce qui se explique la forme
et la nature de ce livre. Elle aura
plutôt fait irruption dans un monde
littéraire en tant qu’apport inédit où
l’écrit peut être différent, libéré des
schèmes dominants et sans concessions.
Fait pour lui-même. Trop tôt pour parler
de révolution du genre, mais
indéniablement, il y a une rupture qui
ne doit d’être que dans la spontanéité
des pages de « Virgules sans trombes ».
En cela, Sarah par elle-même, plus son
génie littéraire, et parce qu’elle a mis
en mots sa réalité vécue, par le regard
qu’elle a sur les choses, donne
existence à la doxa « honteuse » d’une
frange de la société postindépendance,
jusque là ignorée dans la littérature
qui en parle ou qu’elle produit
d’elle-même, selon les angles établis.
Produit social, l’écrivaine s’est imposé
comme témoin d’une sociologie qui n’est
pas encore faite et celui d’une
évolution qui a défié les plans des
faiseurs de société. En ce sens, quoi
qu’elle puisse en penser, même si l’on
peut concéder que l’écriture est «
asexuée », il n’en demeure pas moins, en
dernière instance, que c’est à travers
son cursus et son prisme de femme que
s’est construite sa vision, dans les
adversités propres aux femmes et contre
les enfermements qui leurs sont
destinés.
VIRGULES EN TROMBE, DE SARAH HAIDAR,
EDITIONS APIC, 2013, 500 DA, 154 P.
Née en 1987, Sarah Haidar est écrivaine
et journaliste. Livres en langue arabe :
Zanadeka ou Apostats en 2005 (prix
Apulée décerné par la Bibliothèque
nationale d’Algérie), Louaâb el mihbara
ou la Salive de l’encrier en 2006 et
Chahkat el farass ou le Soupir de la
jument en 2007.
Ahmed
Halfaoui
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