Opinion
Syrie : les médias
ont leur propre peuple
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Samedi 17 mars
2012
Le peuple syrien a peur pour son pays,
pour lui-même et pour ses enfants. Il a
d'autant plus peur qu'il voit ce que
sont devenus l'Irak et la Libye, après
qu'ils aient subi le même vacarme
médiatique. Il est donc sorti, par
centaines de milliers, à travers toute
la Syrie pour dire, comme il faut le
dire, qu'il refuse ce que les «amis de
la Syrie» lui réservent. Hommes, femmes,
jeunes, vieilles et vieillards, se sont
rassemblés dans une explosion de
couleurs, dans l'espoir qu'enfin on
cesse de faire croire qu'ils veulent que
l'OTAN vienne les bombarder. Ils ont
aussi dit qu'ils se défendraient contre
toute agression. Mais le comité de
rédaction international unifié ne les a
pas vus, ne voulait pas les voir. Il a
juste vu, comme il est prévu dans son
lexique, une «démonstration de force du
régime au premier anniversaire de la
révolte». Parce que, selon lui, «le
régime de Bachar al Assad a fait
défiler… des milliers de personnes… dans
les grandes villes du pays, à l'occasion
d'une démonstration de force coïncidant
avec le premier anniversaire du début du
soulèvement contre le pouvoir». Le même,
qui a écrit cela, pourra dire plus tard,
si les choses tournent mal, que ses
sources l'avaient trompé ou fera mine de
ne jamais rien avoir écrit de tel. A
l'instar de ceux qui dénoncent, après
coup, les «nouveaux maîtres» de la
Libye, omettant le soutien qu'ils leur
ont apporté, il y a quelques mois. Ainsi
un peuple, surtout dit arabe, ne peut
pas décider pour lui-même, même pour
faire une révolution. Il lui faut se
mettre derrière un CNT labélisé à Paris,
à Londres ou ailleurs, sinon il n'existe
pas, en lui-même, et se confond avec le
«régime» qui le dirige. Il ressemblera à
ce genre de description : «Dans une
ambiance quasi festive, les pro-régime
agitaient des drapeaux syriens et russes
pour ‘’remercier Moscou de son soutien à
Damas’’». Beaucoup portaient des
portraits du président sur lesquels
était écrit «On t'aime». Des
«pro-régime», rien de plus méprisant
comme qualificatif, quand on n'obéit pas
au programme établi. Ce programme que
portent les «défenseurs des droits de
l'Homme», qui savent mieux que l'Homme
où se trouve son salut. Pour la Libye
les ONG se dénombraient à 70, pour la
Syrie elles sont deux cents à hurler
ceci : «Unissez-vous pour la Syrie :
mettez fin à une année d'effusion de
sang». Aucune ne s'est autant mobilisée
ailleurs et surtout pas pour «mettre
fin» à soixante-quatre années d'effusion
de sang en Palestine. Pourtant, on peut
penser que le peuple syrien est en train
de gagner. Les décideurs de la
«démocratisation aéroportée», nonobstant
l'obstacle russo-chinois, sont moins
chauds que d'habitude à aller ouvrir des
autoroutes devant leurs supplétifs, vers
la «victoire». Le Potus Barak Obama
vient de le confirmer en déclarant que
«l'idée selon laquelle la manière de
résoudre chacun de ces problèmes est de
déployer notre armée, cela n'a pas été
vrai dans le passé et cela ne le sera
pas plus maintenant». Ce n'est
évidemment pas de la sagesse, c'est du
pragmatisme coulé dans l'implacable
réalité d'un contexte international qui
a remis en cause l'unipolarité.
Article publié sur
Les Débats
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