Opinion
La Sorbonne et la
démocratie
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Samedi 15 octobre
2011
Le voile de
l'hypocrisie se déchire. Chaque jour se
libère la sordide réalité du système qui
domine la planète. Il doit être
sérieusement secoué ce professeur de la
Sorbonne. Il devrait l'être pour avoir
cru qu'il enseignait véritablement à la
Sorbonne. Tout le lui disait, le nom
surtout. Mais, il était à la
Sorbonne-Abou Dhabi. Il n'avait pas
intégré la différence. La Sorbonne,
elle-même, devrait être révoltée. Elle
ne l'est pas. Elle a fait croire que les
Emirats arabes unis voulaient réellement
et concrètement une Sorbonne comme elle.
Ils viennent d'apprendre au monde qu'il
y a cette limite, à ne pas franchir, que
seuls les potentats arabes savent
mettre. La limite inscrite dans la tête
de ceux qui savent ce qui se cache
derrière le modernisme tapageur des
émirs. Le professeur de la Sorbonne-Abou
Dhabi y est donc allé de cette liberté
intellectuelle, enivré par la
prestigieuse dénomination de
l'Université où il enseignait. Il a cru
pouvoir s'exprimer comme peut s'exprimer
un professeur de la Sorbonne. Il s'est
retrouvé devant la justice. Bien pire,
la Sorbonne, pas son clone inaccompli,
ignore complètement son sort. Pourtant, Human Rights Watch, des groupes de
défense des droits de l'homme, ses
propres étudiants, lui demandent de
réagir. Elle prend même ses distances
avec le malheureux enseignant. Des fois
que les émirs soient offensés. C'est ce
qu'elle craint et avec raison sonnante
et trébuchante. Tout Sorbonne qu'on est,
par ces temps de décrépitude morale et
de règne de l'argent, on se soumet pour
prospérer financièrement. Les grands
principes universitaires, les
franchises, à la poubelle. Ça n'apporte
rien au porte-monnaie et, de plus, ça
risque de tarir la ressource. Au diable
le prof qui y a cru. Il n'a qu'à s'en
prendre à lui-même. Et puis, pourquoi
s'attaquer au despotisme des émirs ?
Alors qu'ils sont partie prenante des
opérations de démocratisation en cours
dans le "monde arabe". Leurs dollars et
leurs soldats sont bien en train de
"changer" la Libye. Nasser Bin Ghaith
n'a pas pris en compte tous ces détails,
qui comptent. Il s'en est tenu à ce
qu'il a appris et à ce qu'il sait de la
démocratie. Il n'a donc pas pu caser la
monarchie où il se trouvait dans la
grille qui lui sert de repère. Il le
paie et tout seul. Un jour peut-être, si
l'envie lui reste, il se rendra à Paris
pour s'enquérir des nouvelles valeurs
universitaires et des nouvelles
définitions de la démocratie. Il ne sera
certainement pas reçu, mais sa démarche
avortée l'édifiera sur un grand nombre
de choses. Il apprendra qu'il ne faut
jamais croire que la démocratie et
l'argent peuvent aller ensemble, même si
tout lui affirme le contraire. Il aurait
dû comprendre depuis le début que
l'université, dont il était fier, s'est
transformée en marchandise et qu'une
marchandise appartient à celui qui
l'achète. Et celui qui l'a achetée ne
l'a fait que si celui qui l'a
vendue ne voyait que l'argent et
rien d'autre. Le label sans plus, pour
faire illusion, c'est ce que cherchait
l'acheteur. Un bibelot de plus dans la
grandiloquence conquérante que
permettent les flots de pétrodollars.
Article publié sur
Les Débats
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