Opinion
Panthéon : le
temps du léopard
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Dimanche 4 décembre
2011
Deux
Français, Raphaëlle Branche, historienne
de la guerre d'Algérie, et Bruno
Cabanes, historien de la Première Guerre
mondiale, s'offusquent de ce que la
France officielle honore le général
Bigeard. Ils en sont même pathétiques,
quand ils établissent un lien avec le
présent de l'armée française, en vue
d'appuyer leur opposition à la chose.
Voici leur cri du cœur : «En honorant
Marcel Bigeard, combattant de la France
libre, de l'Indochine et de l'Algérie,
en l'associant aux gloires militaires de
la France, le gouvernement prend le
risque de dénaturer profondément la
réalité historique et d'adresser aux
pays d'Afrique du Nord, quelques mois
après le «printemps arabe», un message
brouillé et provocateur». Quand on sait
le genre de «printemps» qu'a connu la
Libye, on se met à se demander en quoi
Bigeard détonnerait dans le décor. Eux,
ils ont l'opinion que si. Cela peut
s'expliquer, si l'on considère que les
bombardiers sanguinaires ont gardé
l'anonymat de leurs pilotes et si nos
deux historiens n'étaient pas d'accord
avec l'opération. Mais, ce n'est pas le
cas. Ils semblent faire une différence
entre la répression d'une résistance et
la répression d'une résistance. Ici,
elle est reconnue comme ayant été d'une
particulière barbarie, en Libye elle est
admise comme ayant «démocratisé» le
pays, fusse au prix du massacre de
dizaines de milliers de résistants,
d'enfants, de femmes et de vieillards,
en tant que victimes «collatérales», non
reconnues du reste par l'OTAN. On peut
mettre ce type de pensée contradictoire
sur le compte de l'intoxication
médiatique. Auquel cas cela devrait être
le début d'une série de questionnements
sur le paradoxe de l'attitude des
autorités qui, à la fois, plantent le
«printemps» et encensent les
tortionnaires. Le postulat serait que
les autorités ne font jamais dans la
contradiction, elles qui construisent
les stratégies, gouvernent et n'ont pas
le droit à l'erreur. La procédure est de
trouver le lien entre les deux faits.
Une petite digression en dehors du
confort que procure la paresse
intellectuelle, qui fait des ravages de
nos jours, suffirait à illuminer
compréhension de la «panthéonisation» de
Bigeard. Elle est, d'abord, la réponse
symbolique au symbolique cinquantième
anniversaire de la défaite de
l'ignominie coloniale. Partir de là
permet de comprendre, ensuite, qu'il
s'agit de réhabiliter la mission
«civilisatrice» d'hier, revêtue,
aujourd'hui, des oripeaux du «soutien à
la démocratisation». Cela coulait de
source depuis pas mal de mois. Depuis
que la colonisation s'est vue
reconnaître des bienfaits. Soit un autre
indice qui peut aider Raphaëlle Branche
et Bruno Cabanes, confondus devant
l'énigme qui taraudent leurs méninges, à
se trouver des réponses. Ceci dit, il
est bien que des gens réagissent encore,
même dans la confusion des genres. Cela
prouve qu'il reste quelque chose de
cette indignation dans une Humanité en
mal de se retrouver une morale,
confrontée à l'émergence d'une barbarie
qui tend à la réduire et en butte à
l'une des pires régressions de son
Histoire.
Article publié sur
Les Débats
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