En direct de Gaza
L'année 2019 dans la bande de Gaza,
une autre année dramatique pour les
Palestiniens de Gaza
Ziad Medoukh
Mardi 28 janvier 2020 Une nouvelle année
qui s'écoule, et une autre qui commence.
Mais pour toute la population civile
dans la bande de Gaza-une région
enfermée et isolée, une enclave côtière
laissée à son sort depuis plus de treize
ans- trois questions lancinantes se
répètent au début de chaque nouvel an :
Où est le changement ? Jusqu'à quand ?
Il est où le monde qui se dit libre ?
Car depuis plus de
treize ans, et au début de chaque année,
les habitants de la bande de Gaza
forment le vœu d' un changement de leur
situation marquée par la souffrance, le
maintien du blocus israélien inhumain,
la poursuite des attaques israéliennes
contre leur prison à ciel ouvert, et
leur isolement dans une région
abandonnée.
Même si au début de
cette année 2020, les Palestiniens de
Gaza ont subi des bombardements
israéliens intensifs, ils essaient
d'oublier leur année précédente, une
année terrible et chaotique.
A part un petit
espoir qui raccroche cette population à
la vie et à l'avenir, rien ne semble
avoir changé durant toute l'année 2019
pour plus de deux millions de citoyens.
Au contraire, cette dernière année, tout
est allé de pire en pire. Et je dis ici
un "petit espoir" parce que le mot
espoir est devenu un luxe à Gaza.
Oui, c'est
inimaginable que l'on puisse acculer un
peuple, tout un peuple, à un tel
désespoir.
Les deux événements
qui ont dominé en 2019, c'est
d'abord la poursuite de la Grande
Marche du retour commencée le 30 mars
2018. Elle entre dans son deuxième
année, en mars prochain. Malgré la
décision des organisateurs de la rendre
mensuelle à partir de cette année 2020,
cette marche a confirmé que seule la
mobilisation populaire pourra défier les
forces de l'occupation et nous permettre
d'obtenir nos droits normalement
garantis. Et le second point marquant,
c'est la décision de la CPI-La Cour
Pénale Internationale- prise à La Haye
fin 2019 d'ouvrir une enquête sur les
crimes israéliens commis contre les
civils de Gaza. Et même si les
procédures vont être très longues au
moins, pour les Palestiniens de Gaza,
c'est un petit pas vers la fin de
l'impunité de cette occupation illégale.
Les habitants de la
bande de Gaza ont vécu une situation
dramatique voire chaotique, dans leur
prison unique au monde à tous les
niveaux, surtout sur le plan
humanitaire.
Nous avons assisté
en 2019 à une détérioration des
conditions économiques, sociales et
sanitaires dans cette région en
souffrance permanente. .
L’année 2019 a
connu la poursuite des événements
tragiques pour les habitants de cette
région enfermée et laissée à son sort,
une région abandonnée par une communauté
internationale officielle dont le
silence assourdissant l' a rend
complice. Mais surtout elle n’a connu
aucun changement sur le terrain,
L’année 2019 pour
les habitants de la bande de Gaza, a été
marquée par les événements suivants :
1-La poursuite des
agressions, incursions, bombardements et
attaques de l'armée israélienne contre
la bande de Gaza. On compte plus de
quatre cents violations israéliennes en
2019 : 270 bombardements et raids, 130
incursions dans différentes zones
frontalières au sud, au centre et au
nord de la bande de Gaza, sans oublier
le drame absolu de centaines de
pacifistes palestiniens visés par les
snipers israéliens sur les frontières
:125 palestiniens ont trouvé la mort, et
95000 ont été blessés à Gaza suite à ces
attaques et bombardements. Mort ou
handicapé-tel est le plan israélien-
2-Les restrictions
sur les zones de pêche réduites à 6
milles marins, empêchent les pêcheurs de
gagner leur vie. Cette année a connu
l'augmentation des attaques de la part
de la marine israélienne contre les
pêcheurs de Gaza, on a enregistré 130
attaques contre les pêcheurs et leurs
bateaux de pêche, 21 pêcheurs blessés,
34 arrêtés, 15 bateaux de pêche détruits
et 30 confisqués .
3-Le maintien du
blocus israélien inhumain et mortel
imposé de façon illégale par les forces
de l’occupation depuis plus de treize
ans, et la fermeture quasi totale des
passages qui relient la bande de Gaza à
l’extérieur.
Concernant les
passages commerciaux : actuellement, par
jour, 320 à 370 camions entrent à Gaza
via le seul passage commercial
ouvert cinq jours par semaine. Ce
passage se situe au sud de la bande de
Gaza, mais la moitié de ces camions sont
pour les organisations internationales
et leurs projets de reconstruction
d'écoles et de stations d’eau.
Le problème est que
ce passage se ferme à n'importe quel
moment et sous n'importe quel prétexte,
par décision israélienne unilatérale,
sans prendre en considération les
besoins énormes d'une population civile
en augmentation permanente.
Gaza n’a droit qu’à
160 produits au lieu de 950 avant le
blocus. Quelques produits et médicaments
n’entrent pas, ce qui a aggravé la
situation déjà difficile. Selon les
estimations des organisations
internationales, la bande de Gaza a
besoin de plus de 1300 camions par jour
pour répondre aux besoins énormes de
cette population. Sans oublier la liste
de 130 produits toujours interdits
d’entrer par ordre militaire israélien
sous prétexte qu'ils ont un possible
double usage.
Cette fermeture a
empêché la libre circulation des
importations et des exportations des
biens et produits de Gaza, en
particulier les matières premières et
les produits semi-finis.
Le gouvernement
israélien refuse toujours l’ouverture de
cinq passages qui relient la bande de
Gaza à l'extérieur et maintient son
blocus sur Gaza.
Concernant les
passages pour la circulation des
personnes, les deux passages qui relient
la bande de Gaza à l'extérieur sont le
passage de Rafah au sud de la bande de
Gaza sur les frontières avec l'Egypte,
et le passage d’Eretz au nord de la
bande de Gaza vers la Cisjordanie
contrôlé par l'armée israélienne. Ils
ont connu une faible ouverture partielle
durant l'année 2019, ce qu'a rendu le
déplacement des palestiniens de Gaza
très limité. Le passage de Rafah, même
avec une petite amélioration, a ouvert
ses portes seulement 5 heures par jour
en 2019, tandis que le passage d’Eretz
n’est autorisé qu’à 3 % de la
population, surtout les malades, les
diplomates et les hommes d’affaires et
quelques cas humanitaires.
4- L'arrestation de
plus de 60 palestiniens sur les
frontières par les soldats israéliens,
dont 25 enfants moins de 16 ans, Et
jusqu'à nos jours, 30 parmi eux toujours
détenus dans des prisons israéliennes
sans le moindre jugement.
5- Du fait de la
détérioration du niveau de vie pour les
habitants, et la baisse du pouvoir
d'achat, on a assisté à une vraie crise
humanitaire et économique qui a touché
tous les secteurs. Une crise liée au
recul permanent du développement et à
l'incapacité de l'Autorité palestinienne
à payer totalement les salaires de ses
73.000 fonctionnaires dans la bande de
Gaza.
Le produit
intérieur brut (PIB) a baissé de 1.2 %
et la capacité de production de
l'économie a continué de s'éroder, avec
un faible taux d'activité.
On est passé, suite
à cette situation catastrophique dans la
bande de Gaza, d’une économie familiale
non-violente à une économie dépendante
de l'occupant et des organisations
internationales.
L’aide
internationale envers ce territoire
densément peuplé, bien qu’empêchant un
effondrement total, a créé une
dépendance humanitaire au lieu
d’encourager le développement, notent
les experts.
6- Le gouvernement
israélien a continué
sa politique visant à empêcher les
malades d'aller se soigner dans les
hôpitaux de la Cisjordanie. Selon le
Centre palestinien pour les droits de
l'homme de Gaza, en 2019 l'occupation
israélienne a empêché 8000 patients de
quitter la bande de Gaza pour se faire
soigner et recevoir
un traitement en dehors de l'enclave
assiégée de Gaza. Et les rares patients
qui ont été autorisé de quitter Gaza
pour des raisons médicales, ont été
soumis à un interrogatoire sur le
passage d'Eretz par l'armée israélienne.
Une pratique dénoncée par Physiciens for
Humain Rights.
7-La dégradation de
la situation économique et sociale, le
taux de chômage dépasse les 67% de la
population civile selon le bureau
palestinien des statistiques, mais le
phénomène le plus dangereux est la
hausse du chômage chez les jeunes de
moins de 30 ans, qui atteint 74%, en
2019. Cette année, plus de 95.000
personnes ont été jetées au chômage.
Plus des deux tiers
des ménages souffrent d'insécurité
alimentaire .
- La pauvreté. 73%
de la population de Gaza vit en dessous
de seuil de pauvreté
-L’augmentation du
nombre de personnes qui dépendent des
organisations humanitaires. 81% des
Palestiniens de Gaza vivent grâce aux
aides alimentaires. Selon les sources du
bureau des Nations-Unies pour les
réfugiés palestiniens –UNRWA- dans la
bande de Gaza, plus de 1.400.000
personnes ont bénéficié du programme de
l’aide alimentaire géré par le bureau en
2019. Ce programme a élargi ses services
pour cibler les citoyens et non
seulement les seuls réfugiés.
Sur le plan
économique, la situation ne cesse de
s’aggraver avec les conséquences
dramatiques du blocus et de différentes
agressions qui ont causé l’augmentation
du chômage, et du niveau de pauvreté,
sans oublier l’incapacité de bâtir une
véritable économie dans la bande de
Gaza.
Cette situation
empêche tout développement d'une
économie en faillite qui ne trouve pas
les ressources nécessaires pour sortir
d'une crise qui touche tous les
secteurs.
Pour beaucoup
d’économistes, l’année 2019 est
considérée comme la plus catastrophique
pour l’économie palestinienne depuis 20
ans.
8-Les deux secteurs
les plus touchés de ces mesures
israéliennes sont la santé et
l'éducation, Les écoles pratiquent des
journées doubles – voir même triples –
pour accueillir des élèves toujours plus
nombreux. Dans le même temps, les
hôpitaux fonctionnent au-delà de leurs
capacités, plus particulièrement depuis
que les manifestations de la Grande
marche du retour, qui a commencé en
2018, et qui ont connues des milliers
de blessés.
9-Des mesures
israéliennes pour détruire le secteur
agricole dans la bande de Gaza. En 2019
et au début et à la fin de cette année,
les autorités israéliennes ont inondé
des terres agricoles dans l’enclave
palestinienne, Elles ont submergé des
terres agricoles de Gaza en ouvrant les
vannes de barrages qui retenaient l'eau
pluviale , après la forte pluie et la
tempête , les rendant incultivables.
Un fort torrent a
submergé des dizaines d’hectares de
terres agricoles, occasionnant d’énormes
pertes aux paysans, a fait savoir le
ministère palestinien de l'agriculture.
10-Le secteur
industriel affronte une vraie crise, les
usines de Gaza fonctionnent seulement
avec 20% de ses capacités en raison du
blocus , des fermetures de passages, et
l'impossibilité de faire exporter les
produits de ces usines de la bande de
Gaza vers l'extérieur. S'ajoute à tout
cela, la décision israélienne de ne pas
laisser les matières premières entrer
Gaza sous prétexte qu'elles auraient un
double usage possible. Conséquence: la
fermeture de dizaines d'usines et le
licenciement de milliers de travailleurs
et ouvriers.
11-L'absence d'une
unité nationale et l’échec des efforts
de réconciliation inter palestinienne,
avec la non- tenue des élections
législatives dans les territoires
palestiniens , ce qui a aggravé
l'amertume des habitants de la bande de
Gaza.
12- Les baisses du
financement accordé à l’UNRWA, l’agence
des Nations-Unies chargée des réfugiés
palestiniens,
aboutissent à ce que cet organisme ne
parvient pas à payer ni ses
fonctionnaires, ni continuer à s'occuper
de 65% de la population de Gaza. Cette
situation résulte de la réduction des
aides américaines en premier lieu, après
les menaces du président Trump contre
les Palestiniens.
Cette crise a été
soulagée seulement fin 2019, après des
engagements de quelques pays à continuer
à financer cette organisation
internationale pour les trois années
prochaines.
13- La pénurie de
l'électricité partout dans la bande de
Gaza, durant toute l'année 2019 , chaque
foyer à Gaza avait droit à 4 à 6 heures
de courant électrique par jour.
Les forces
d’occupation israélienne ont décidé de
réduire la fourniture d’électricité à
cette région sous blocus, afin de faire
pression sur la population civile pour
qu'elle arrête de participer à la Marche
du retour.
Cette décision
aggrave la crise humanitaire dans une
région en souffrance permanente, et met
en danger les infrastructures sanitaires
et en particulier les hôpitaux.
Cette pénurie
d’électricité avait des conséquences
graves sur tous les secteurs vitaux dans
cette région. Beaucoup d’usines ont été
fermées
Outre ces coupures,
à Gaza, c'est la pénurie d’eau. En
effet, tous les puits municipaux qui
approvisionnent les habitants
fonctionnent à partir du courant
électrique.
14-Concernant
l’eau : en 2019, à peine 5% des puits
d'eau potable de Gaza sont propres à la
consommation humaine. Les bombardements
israéliens ont encore touché les
infrastructures comme les aqueducs et
les systèmes d'égout. Sans oublier un
aquifère de qualité médiocre qui fait
que 92% des puits d'eau potable à Gaza
sont en dessous des normes minimales de
santé pour la consommation humaine.
L'eau à Gaza est
devenue rare et contaminée. Et avoir une
eau potable saine et propre est devenue
quasiment impossible pour les habitants.
Les dommages causés
aux canalisations d’eau et
d’assainissement ont été immenses. En
décembre 2019, plus de la moitié des
palestiniens de Gaza n’avait plus aucun
accès à l’eau.
Cette catastrophe
de l'eau et du traitement des eaux usées
ont causé une forte augmentation de
maladies d'origine hydrique et
alimentaire.
Une étude récente
en 2019 a révélé que la mauvaise qualité
de l'eau était une des principales
causes de mortalité infantile à Gaza.
15- La poursuite de
la Grande Marche du retour : un
soulèvement populaire, pacifique et
non-violent commencé le 30 mars 2018 sur
les frontières de la bande de Gaza pour
défier les soldats israéliens qui se
trouvent d'une façon illégale dans des
zones appartenant aux palestiniens.
Une marche initiée
par la société civile, avec une
détermination exemplaire pour la levée
du blocus israélien, et cela malgré un
bilan très lourd côté palestinien : plus
de 320 morts dont 50 enfants moins de 16
ans, et plus de 29.000 blessés parmi eux
160 amputés.
A part cette grande
Marche du retour, il n'a eu aucun
changement dans le quotidien de plus de
deux millions de citoyens, rien ne
change, rien ne bouge, la vie est
presque paralysée pour cette population
civile. Et cela dure depuis longtemps,
sans aucune réaction nationale,
régionale ou internationale. Les
habitants de Gaza vivent au jour le
jour, ils essayent de s’adapter, de
tenir bon, mais surtout d’exister.
L’aspect le plus
grave de toute cette situation difficile
des habitants de la bande de Gaza et qui
marque l’esprit de la majorité des
habitants, c’est l’absence de
perspectives pour ces gens qui ne voient
aucun changement, qui constatent que les
choses n’avancent pas, ne bougent pas, à
tous les niveaux : réconciliation, fin
de division, amélioration de leur
condition de vie, ouverture des
passages, levée du blocus, fin
d’occupation. Ce sont des sentiments
horribles qui vont influencer l’avenir
de cette génération, surtout celle des
jeunes, qui commencent à perdre tout
espoir en un avenir immédiat meilleur.
La population
civile se bat quotidiennement pour
survivre dignement sur sa terre.
La situation
stagne, rien ne bouge et les gens, sur
place, attendent et attendent. Ils
attendent une ouverture, ils attendent
la levée de ce blocus inhumain, ils
attendent une vraie réaction
internationale afin de mettre fin à
l’impunité de cette occupation illégale.
Ils n’ont pas d'autre choix que
d’attendre. Ils attendent avec un
courage et une volonté remarquables.
Mais surtout avec un message simple et
clair : ici est notre terre, nous n'en
partirons pas. Nous résisterons en toute
dignité.
Espérons pour 2020
!
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