Propos recueillis par l'écrivaine Nadia
Khost
Une Syrienne, dont
le frère a été tué à Homs par des «
opposants », témoigne
Silvia Cattori
Les rebelles syriens puissamment
armés. /AFP
Mercredi 8 février
2012
Les citoyens
occidentaux sont systématiquement
désinformés sur la Syrie, comme hier sur
la Libye ou sur l’Irak. Le 1er février,
l’écrivaine Nadia Khost, a rencontré une
Syrienne qui réside à Damas, originaire
de Homs, et dont le frère a été kidnappé
et assassiné à Homs. Le témoignage
poignant qu’elle a recueilli décrit une
réalité que l’ONU, Amnesty
International, Human Rights Watch
ignorent ou dénaturent.
(SC)
Mon frère, qui possède un négoce,
déposait son épouse tous les matins
à son travail. Les jeudis, vendredis
et samedis, ils quittaient Homs pour
se reposer un peu de l’ambiance
tendue de la ville. Mon frère
n’était pas mêlé à la politique ;
durant la crise que connaît son pays
il prenait soin de montrer sa
neutralité.
Le 3 janvier 2012, il dépose son
épouse à son travail. Après l’avoir
quittée, il n’est pas revenu à la
maison. C’était une des journées
calmes, où il n’y a eu que 3 tués.
Il fut l’un d’eux.
Un homme appelle chez lui et demande
: « J’appelle chez
(…) Qui êtes-vous ? »
Sa fille âgée de quinze ans répond :
« Je suis sa fille
»
L’homme lui dit : «
Ton père a été tué, je l’ai trouvé
étendu au sol à Bab Dreib ; je l’ai
emmené au dispensaire à Bab Sba ;
j’ai ses papiers et son téléphone
portable que je vais faire livrer
». [1]
La fille appelle sa mère au travail
et lui raconte ce que lui a dit
l’inconnu. Sa mère accourt à Bab Sba
accompagnée de plusieurs collègues.
À l’entrée du dispensaire elle
demande des nouvelles de son époux.
On lui répond qu’il est mort. Elle
entre, le voit mort, mais on ne lui
rend pas le corps ; et jusqu’à
présent on ne lui a toujours pas
remis son acte de décès.
Ceux qui l’ont tué ont photographié
le cadavre et publié sa photo sur
Aljazeera en attribuant la
responsabilité de sa mort à l’armée
syrienne. Des informations
contradictoires ont circulé sur des
sites internet ; l’un disant qu’il
était âgé de 60 ans ; un autre le
qualifiant de médecin ; ou encore de
chauffeur.
Apprenant la mort de son frère, sa
sœur est accourue à Homs depuis
Damas pour assister aux
condoléances. À l’entrée de Homs,
sur les deux côtés de la route, elle
a vu des voitures de particuliers
détruites par les bandes armées. Et
dans tout Homs, jusqu’à la maison de
son frère à Jourat Chayyah, - un
quartier sous l’influence des
rebelles - elle n’a pas vu de
bâtiments pilonnés, comme le prétend
l’opposition, la chaîne Aljazeera,
et les médias occidentaux qui
qualifient Homs de «
ville martyre ».
La sœur et l’épouse du mort ont
accueilli les visiteuses venant
présenter leurs condoléances, à la
maison ; les condoléances des hommes
ont eu lieu à la mosquée. La sœur
s’est trouvée prise dans une
ambiance étrange et insupportable.
Les femmes répétaient, tout comme
l’ont fait les hommes à la mosquée :
« Nous vous
félicitons de son martyr
(sacrifice) ».
La sœur devait se retenir pour ne
pas leur crier : Qui vous a dit
qu’il s’est sacrifié !? C’est un
homme qui a été intentionnellement
assassiné par les bandes armées pour
ensuite envoyer sa photo à des
médias internationaux, en accusant
le régime de l’avoir tuée. Là s’est
vérifié le dicton : «
Vous le tuez et vous
suivez ses funérailles ».
L’épouse lui fait signe de ne pas
trop en dire. Et là, elle constate
que le drame majeur de la population
de Homs est d’accepter le mensonge,
en assurant qu’il reflète la
réalité.
Parmi les visiteuses, elle a
retrouvé des camarades d’école.
« Ne trouvez-vous
pas qu’à Homs il y a des bandes
armées qui tuent les gens ? »
demande-t-elle.
« Non », lui
répond-t-on.
« Vous ne regardez
pas les chaînes syriennes, ou la
chaîne Aldounia ? »
« Non pas du tout ;
nous ne regardons ni la chaîne
syrienne ni la chaîne Aldounia
[une chaine privée syrienne].
Tu devrais toi aussi
regarder Aljazeera. »
Incrédule, elle persiste à les
interroger sur des faits précis : «
Mais ce sont des
bandes armées qui ont tué l’enfant
Sari Saoud. N’avez-vous pas entendu
la douleur de sa mère ? Elle a
accusé les bandes armées de son
meurtre… »
Elles répondent sans hésiter : «
C’est le régime qui
l’a tué ».
Elle insiste : «
Zainab ALHOSNI, dont Aljazeera a
montré les funérailles, accusant le
régime de l’avoir tuée, ne
savez-vous pas qu’elle est apparue
par la suite sur les écrans de la
télévision syrienne, vivante,
montrant sa carte d’identité… ?
»
Elles répondent : «
Non, les forces de sécurité du
régime l’ont tuée ».
Les visiteuses sont parties, une
dernière est restée. La sœur de la
victime lui demande : «
Est-ce possible que
toutes ces femmes ne sachent pas que
les bandes armées sévissent à Homs ?
»
La visiteuse lui répond : «
Entre nous, il y a
des bandes armées, mais ne dis à
personne qu’on en a parlé ».
La sœur n’était pas seulement triste
de ce qu’elle découvrait, mais
révoltée et en colère. Elle m’a dit
en revenant sur ces faits :
«
J’ai détesté Homs, ma ville, j’ai
détesté la conspiration qu’il y a,
oui la conspiration…
L’épouse d’un marchand, voisin du
négoce de mon frère, a raconté que
son mari a accompagné le tué, pas à
pas, après son assassinat et
comment, alors qu’il était présent
lors de la toilette du mort, il a
assisté à la préparation à
l’enterrement. Je lui ai alors
demandé : « Comment
as-tu appris que mon frère avait été
tué ? »
Elle a répondu : «
Au même moment, on a suivi cela sur
internet. »
Nous étions étonnées. Cette femme
analphabète suivait-elle internet ?
Protégeait-elle les hommes armés qui
ont tué son voisin, nous sommes-nous
demandé ?
Autre élément troublant. Les
traiteurs et magasins d’alimentation
étant fermés, d’où venaient alors
les plats cuisinés de viande et de
riz ? (offerts lors des
funérailles).
Ceux qui se taisent ne voient-ils
pas que les bandes armées ont versé
de la colle et du bitume dans les
distributeurs de billets, pour que
les gens ne touchent pas leurs
salaires ? N’ont-ils pas compris que
ces bandes détruisent le pays ? Les
négoces sont fermés le travail des
gens est paralysé, la vie
commerçante est au point mort, les
poubelles s’amoncellent sur les
trottoirs, et les jeunes voyous
armés se déploient autour des
mosquées avant la prière du vendredi
pour fabriquer une prétendue
manifestation pacifique spontanée.
Ne croyez pas ces assassins qui
prétendent vouloir des réformes et
la démocratie ! Ce sont des voyous
armés ! Ils allument une guerre
confessionnelle, et plantent à Homs
la haine contre d’autres villes
syriennes, Damas, Alep, Latakié…
Leurs crimes, commis rien que dans
ma famille, en témoignent. Ils ont
tué mon frère, et le jeune cousin de
ma mère, avec un de leurs obus ou
mortier, alors qu’il était chez lui.
Ils ont kidnappé mon cousin, et ne
l’ont relâché qu’après avoir touché
la rançon demandée : 3 millions de
livres.
Entendez-moi bien : Je ne suis
affiliée à aucun parti, je ne suis
ni pro-régime, ni dans l’opposition.
Je suis une citoyenne syrienne ; je
comprends que la Syrie est en
danger, que ses traditions morales
et les relations simples et normales
des gens entre eux sont en danger.
Ces opposants introduisent dans
notre société des concepts nouveaux
dont nous n’avons pas l’habitude :
le sectarisme et la haine entre les
villes qui signifient déchirement de
la Syrie ; ils menacent notre
Histoire et notre existence. »
Ici se termine
le témoignage que nous a livré cette
femme à Damas le 1er février 2012.
Cette femme voilée nous a raconté -
au travers de son expérience
douloureuse - ce que racontent, par
leur cris, toutes les femmes
syriennes voilées ou pas, lors des
manifestations pacifiques à Damas ou
dans d’autres villes syriennes. Elle
a répété leurs mots, - qui étaient,
après tout, ses mots à elle -
sincères, du fond du cœur. Ce sont
les mots des Syriens, hommes et
femmes. Des mots issus de la douleur
de la mort de son frère, issus de sa
douleur personnelle à la vue de ce
que Homs, sa ville d’origine, est
devenue, désormais soumise à la
terreur et aux atrocités d’hommes
armés dont ils occupent des
quartiers en pratiquant le lavage de
cerveau sur leurs habitants.
Dans le contexte traumatique
entretenu par cette « démocratie
armée » qui répand la terreur, nous
ne pouvons pas divulguer le nom de
la femme qui témoigne ici, ni celui
de son frère, pour ne pas exposer
ses enfants et son épouse, à un
enlèvement ou un assassinat.
Nous gardons le nom du frère
disparu, pour le livrer à ceux qui,
plus tard, jugeront les assassins.
Dr Nadia KHOST
2 février 2012
Post scriptum
Le témoignage poignant que Nadia Khost a recueilli décrit une réalité
que l’ONU, Amnesty International,
Human Rights Watch, - et les
journalistes de nos radios,
télévisions, et presse écrite - se
refusent obstinément à reconnaître
en reprenant sans examen comme
véridiques les massacres attribués
par l’opposition uniquement aux
forces de sécurité de Damas. Ainsi
que le nombre de tués et de blessés
livrés par un douteux «
Observatoire syrien
des droits de l’Homme », basé à
Londres, financé et créé à des fins
de propagande par des États du Golfe
et des Etats occidentaux. Ce qui
revient à soutenir, au moins
passivement, les gouvernements qui,
sous couvert de «
démocratisation » et de «
protection des
civils », attisent cyniquement -
dans ces pays qui, comme la Syrie,
échappent à leur influence - tous
les germes de division, sans la
moindre considération pour les
malheurs qui vont en résulter pour
les populations concernées.
Les envoyés spéciaux ne parlent
jamais de l’angoissante réalité des
Syriens tétanisés par la peur de ces
gangs armés qui kidnappent,
torturent, rançonnent, tuent leurs
père, fils, cousin, et les soldats
qui viennent à leur secours ;
horrifiés quand ils reconnaissent un
parent parmi les cadavres mutilés
montrés sur Aljazeera ou Alarabya,
et entendent les véritables
assassins dire que les auteurs de
ces atrocités « sont
les soldats de Bachar el-Assad.
»
C’est de cette dure et
invraisemblable réalité que parle ce
témoignage. Il conduit à comprendre
que ce n’est pas l’armée régulière
du gouvernement el-Assad qui fait le
plus de mal au peuple syrien. Et à
s’interroger sur les biais et la
responsabilité de journalistes qui
se contentent - intentionellement ou
pas - de répéter ce que disent ces
« opposants »
armés qu’ils présentent en «
libérateurs ».
Silvia Cattori
7 février 2012
Traduit par Rim
(le 6 février 2012) pour le site
silviacattori.net.
L’écrivaine
syrienne Nadia Khost — auteur de
nombreux ouvrages, d’essais, et de
nouvelles portant sur l’histoire,
l’architecture, la conservation et
la protection du patrimoine de la
Civilisation Arabe — vit à Damas.
[1]
Les quartiers de Bab Sba et Bab Dreib
sont sous le contrôle des groupes armés
opposés au gouvernement.
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