Opinion
24 Réflexions et
observations sur la situation présente
en Syrie
Grégorios III Laham
Lundi 16 juillet
2012
Sa Béatitude le Patriarche Grégorios III
Laham, de l’Eglise grecques melkite
catholique en Syrie, a confié ces
réflexions et observations comme un
vademecum qui éclaircit les
positions de l’Eglise locale face aux
évènements dramatiques de la Syrie et à
certaines entorses à la déontologie par
rapport à ces évènements.
Chers amis,
1.
Le plus grand danger en Syrie
actuellement est l’anarchie, le manque
de sécurité ainsi que l’irruption
massive des armes de tous côtés. La
violence est, hélas, le langage qui
prévaut aujourd’hui. Et la violence
génère la violence. En Syrie, ce danger
guette et atteint tout les citoyens,
sans différences de race, religions ou
colorations politiques.
2.
Les chrétiens, eux aussi, sont exposés à
ce même danger. Mais ils sont le maillon
faible. Sans défense,
ils sont la partie la plus
exposée à l’exploitation, à l’extorsion,
aux enlèvements, aux sévices et même à
l’élimination. Mais ils sont aussi la
partie pacificatrice, non armée, celle
qui appelle au dialogue, à la
réconciliation, à la paix et à l’unité
entre tous les fils et filles de la même
patrie. Voici un langage des plus rares
que beaucoup ne veulent pas entendre.
Nous, chrétiens, à qui fut confié
l’Evangile de la Paix, nous nous sentons
appelés à le promouvoir.
3.
Malgré cela, il n’y a pas de conflit
islamo-chrétien. Les chrétiens ne sont
pas
ciblés en tant que tels mais ils
comptent parmi les victimes du chaos et
du manque de sécurité.
4.
Le plus grand danger est l’ingérence
d’éléments étrangers arabes ou
occidentaux. Cette ingérence se traduit
par les armes, l’argent et les moyens de
communications à sens unique, programmés
et subversifs.
5.
Cette ingérence est nuisible même à ce
qui s’appelle l’opposition. Elle nuit
aux justes revendications qui
s’expriment un peu partout. L’ingérence
nuit
à l’unité nationale intérieure et
mélange les cartes.
6.
Cette ingérence affaiblit aussi la voix
de la modération qui est spécifiquement
celle des chrétiens et,
plus particulièrement, la voix
des Patriarches et des Evêques ainsi que
la voix de l’Assemblée des Hiérarques
Catholiques en Syrie. L’Eglise locale a
fait entendre sa voix à plusieurs
reprises et les déclarations des chefs
des Eglises chrétiennes se sont
caractérisées par cette modération et
par l’appel à la réforme, à la liberté
et à la démocratie ainsi qu’à la lutte
contre la corruption, l’appui au
développement, à la liberté de la parole
et elle la promotion du dialogue.
7.
Nulle part dans ces déclarations on ne
fait allusion à la persécution des
chrétiens qui, nous l’avons vu,
ne
sont pas ciblés en tant que tels. Aucune
allusion non plus aux notions de
« musulmans », « salafistes »,
« fondamentalistes »,
« opposants »,
« peur », « régime » ou « Parti ». Les
déclarations appelaient à plus de
dialogue et à plus de réformes, à la
participation aux partis et aux
élections parlementaires.
8.
Le langage des déclarations était
toujours positif, pacifique, appelant à
l’amour et au dialogue et au refus de
recourir aux armes. Il invite à
sauvegarder les citoyens sans défense et
à ne pas pousser les civils dans les
conflits. Bref, les déclarations sont
très éloignées de tout extrémisme de
n’importe quel genre. Tout en étant
citoyennes, elles ne sont point dirigées
contre telle ou telle partie, à
l’intérieur ou à l’extérieur.
9.
Je ne sais pas quelle est la raison de
la campagne contre les pasteurs des
Eglises en Syrie et contre leurs prises
de positions. Je me demande d’où
viennent les qualificatifs qu’on leur
colle de compromission, d’exploitation
et de collusion avec le régime, de
temporisation, d’esclavage ou
d’indolence ?
10.
Il faut savoir que l’Etat et ses
responsables n’ont jamais adressé aux
pasteurs une indication ou une
invitation à faire telle déclaration ou
à adopter telle position. La liberté des
pasteurs a été garantie partout et elle
l’est à ce jour, que ce soit dans leur
comportement ou leurs déclarations
privées ou publiques. Personnellement
j’ai effectué un périple au mois de mars
2012 dans les capitales européennes. Je
n’ai demandé aucune permission ni aucune
orientation à personne et personne ne
m’a réclamé d’adopter une quelconque
position. J’ai exprimé cela dans un
document qui résume la plupart de mes
convictions face à la situation qui
prévaut en Syrie.
11.
Il est possible à tous de consulter les
documents que j’ai publiés avec les
appels successifs au jeûne, à la prière,
au dialogue, à la réconciliation, au
rejet de la violence et à éviter le
recours aux armes…Il y a aussi les
déclarations de l’Assemblée des
Hiérarques Catholiques en Syrie et les
déclarations des trois Patriarches dont
le siège patriarcal est en Syrie : ce
sont le Patriarche grec-orthodoxe, le
Patriarche syriaque-orthodoxe et le
Patriarche grec-catholique (cf
http://www.pgc-lb.org/fre/news_and_events/Nouvelles-de-Syrie).
12.
Ces pasteurs et les communiqués qu’ils
ont publiés sont la voix officielle de
l’Eglise en Syrie. Aussi, en ma qualité
de Patriarche et de Président de
l’Assemblée des Hiérarques catholiques
en Syrie j’appelle tout le monde à
considérer cette voix comme la position
autorisée de l’Eglise en Syrie. Nous ne
permettons à personne de parler en notre
nom ou au nom des chrétiens de Syrie, de
défigurer nos déclarations ou de nous
coller des accusations de quelque genre
que ce soit.
13.
De même, il est subversif
de
douter de la crédibilité des pasteurs de
l’Eglise ou de leur transparence, de
leur fidélité ou de leur objectivité, de
la véracité de leurs sources
d’information ou des nouvelles qu’ils
diffusent. Les pasteurs ne s’appuient
pas sur les moyens de communication.
Mais ils sont en contact permanent avec
leurs prêtres, leurs moines et leurs
moniales ainsi qu’avec les fidèles et
tous les autres citoyens. Ils sont des
pasteurs qui veillent aux affaires des
fidèles chrétiens et ils sont aussi en
contact avec les citoyens de toutes les
confessions et avec les personnalités
proéminentes de la patrie. Dans toutes
ces situations ils sont libres dans
leurs comportements, leurs mouvements et
leurs déclarations. Ils appellent
toujours à l’édification mutuelle, au
dialogue et à la solidarité entre tous.
14.
En revanche, nous considérons que ce
sont les positions de certaines
personnalités, d’une presse déterminée
et d’institutions particulières qui
nuisent aux chrétiens en Syrie et les
exposent au danger, à l’enlèvement, à
l’exploitation et même à la mort. Ces
positions accablent les chrétiens de
fausses accusations, semant le doute
dans leurs cœurs et diffusant la peur et
l’isolement. Par suite, elles aident à
leur exode à l’intérieur du pays ou à
l’extérieur…
15.
Ce sont ces positions elles-mêmes qui
prétendent intempestivement s’intéresser
aux chrétiens qui peuvent augmenter le
radicalisme de certaines factions armées
contre les chrétiens. Elles exacerbent
les relations entre les citoyens,
particulièrement entre les chrétiens et
les musulmans comme ce fut le cas à
Homs, à Qusayr, à Yabrud et Dmeineh
Sharquieh etc…
16.
C’est pourquoi nous invitons ces
institutions et ces personnalités à
s’intéresser en Syrie plutôt à la paix
civile. Qu’elles favorisent l’appel au
dialogue et à la réconciliation, au
rejet de la violence. Qu’elles oeuvrent
pour
la sauvegarde de la sécurité des
civils sans défense dans le conflit
actuel de sorte à ne pas les exposer au
danger, de peur qu’ils ne deviennent la
cible d’attaques d’une faction ou de
l’autre…et ne succombent ainsi, victimes
de l’anarchie, de l’insécurité, du
terrorisme, de l’exploitation et des
enlèvements ainsi que des liquidations,
comme nous le référons plus haut.
17.
Ces réflexions et ces observations
émanent de notre Foi chrétienne et de
nos convictions patriotiques ainsi que
de notre connaissance de notre histoire
chrétienne et de notre héritage syrien,
spécialement en ce qui concerne la
convivialité, l’ouverture et le respect
mutuel malgré les temps difficiles par
lesquels passe la patrie où les
relations entre les civils ont été
malmenées qu’ils soient musulmans,
chrétiens ou autres.
18.
Nos positions et nos réflexions émanent
de notre conviction que, malgré le sang
qui a coulé en abondance et les haines
qui se sont manifestées avec les
sentiments d’inimitié et de rancœur, les
syriens, à cause de leur longue
histoire, restent experts en
convivialité et qu’ils peuvent résoudre
cette crise dangereuse, unique dans leur
histoire, s’entraidant les uns les
autres, s’aimant et se pardonnant et
oeuvrant ensemble pour l’avenir commun.
19.
Aussi nous mettons beaucoup d’espérance
dans les initiatives de la société
civile pour renforcer la charité et les
liens entre les syriens que le conflit
menace de détruire. Nous prions pour le
succès du mouvement Mussalaha (réconcilition)
dans lequel sont actifs à côté de leurs
frères des autres confessions des
délégués de toutes les Eglises. C’est
cela qui constitue la base pour les
solutions efficaces aux évènements
tragiques.
20.
De même, nous croyons, nous espérons et
nous attendons que le ministère de la
réconciliation, créé spécialement pour
la Mussalaha, réussisse dans sa mission
de ramener l’unité et l’amour dans les
cœurs de tous. C’est ce qui prépare la
voie à la résolution du conflit. Nous
avons beaucoup d’espoir dans la création
de ce nouvel organe qu’est le ministère
de la réconciliation.
21.
Bien sûr nous appelons encore et
toujours à rejeter la violence et à
arrêter son cycle de tueries et de
destruction, spécialement contre les
civils démunis qui, en réalité sont les
victimes sans défense, qu’ils soient
chrétiens ou musulmans.
22.
Nous aimons affirmer avec véracité et
franchise que notre position en tant que
chrétiens émane du fait que nous sommes
des citoyens d’une société laïque ainsi
que de notre identité chrétienne. Ce
qu’on appelle les prérogatives dont on
croit que les chrétiens jouissent en
Syrie ne sont que les droits universels
de tous les citoyens syriens à quelque
confession qu’ils appartiennent. Cela
est basé sur l’histoire et le système
confessionnel des « millet » du temps
des Ottomans. Le Patriarche était alors
la tête de son Eglise c'est-à-dire sa
référence religieuse et séculière. La
matière de la
jurisprudence ecclésiastique
privée s’est développée pendant le
protectorat français puis les
gouvernements syriens successifs
jusqu’au gouvernement actuel. Donc
l’affirmation que, le statut des
chrétiens est fruit de leur adhérence au
régime et tombera avec lui est
absolument fausse !
23.
Le monde islamique a besoin de la
présence chrétienne auprès de lui, avec
lui et pour lui en liaison et en
interaction comme c’était le cas
historiquement. Cette présence perdurera
et elle doit perdurer. J’affirme que
l’Islam a besoin du Christianisme et que
les musulmans ont besoin des chrétiens
et nous resterons avec eux et pour eux
comme nous l’avons toujours été par le
passé et tout au long de 1435 ans
d’histoire commune.
A P P E L
24.
Pour terminer :
Notre grand appel en tant que chrétiens,
s’adresse au monde arabe pour l’inviter
à l’Unité : la division du monde arabe a
toujours été la cible majeure interne et
externe. Cette division est la raison
des dangers qui guettent la région et
elle est la cause de l’absence d’une
solution juste et globale au conflit
israélo-palestinien. Ce conflit est le
fondement et la cause primordiale de la
plus grande partie des malheurs, des
crises et des guerres du monde arabe. Ce
conflit, du témoignage du Saint-Père le
Pape, de beaucoup d’ecclésiastiques, de
Nonces apostoliques et, même, du
témoignage de politiciens israéliens et
juifs, est la cause primordiale de
l’exode des chrétiens. Oui, la division
du monde arabe, du témoignage des
personnes
précitées s’oppose à une solution
de ce conflit depuis 64 ans !!! (cfr
l’avis de Tzivi Levni dans Financial
Times 1 3/7/2012).
La Paix est dans l’unité du monde arabe
et le salut des chrétiens n’est assuré
que dans l’unité du monde arabe, d’où
découlent les circonstances propices à
la convivialité et au dialogue
islamo-chrétien et islamo-islamique. Le
plus grand danger dans ce domaine
atteint l’Islam lui-même quand il se
divise suivant les lignes de fracture du
monde arabe. La preuve étant le conflit
sunnite-shiite. Ce phénomène est plus
dangereux que le danger qu’encourent les
chrétiens ou les autres confessions en
Syrie et dans la région.
Ce sont les crises et les guerres qui
sont la cause de l’exode des chrétiens
et la cause de la dégradation des
relations islamo-chrétiennes.
Oh nos frères en Europe :
intéressez-vous à l’unité du monde
arabe. Vous aiderez ainsi les chrétiens.
Oh nos frères en Europe, résolvez le
conflit israélo-palestinien. Vous
aiderez ainsi les chrétiens.
Oh nos frères en Europe, oeuvrez pour la
paix au Moyen-Orient. Vous aiderez ainsi
les chrétiens.
Notre destin
à tous, chrétiens et musulmans
arabe…est le même. Ne nous coupez pas de
notre environnement communautaire arabe
ni de notre environnement communautaire
musulman.
Aidez-nous à jouer notre rôle et notre
mission dans le monde arabe pour que
nous soyons présents dans le monde
arabe, avec lui et pour lui…et d’être en
lui comme la lumière, le sel et le
levain.
Intéressez-vous à nous dans notre
environnement communautaire et à cause
de lui. Et ne faites pas de nous, dans
vos analyses, des intrus de notre monde
arabe islamo-chrétiens ni des agents
auprès de lui, des dhimmis ou des
protégés par vous ou par d’autres que
vous.
Aidez-nous à être les chrétiens de
l’Eglise des Arabes et de l’Eglise de
l’Islam.
Nos frères en Europe : ne cachez pas vos
intérêts derrière votre zèle envers les
chrétiens !
Nous invitons nos frères et sœurs dans
l’Orient arabe et en Europe et partout
ailleurs, Etats, institutions
religieuses ou humanitaires à nous aider
en cette entreprise d’Unité et nous
proclamons : « une voix arabe unie et
une voix occidentale unie…peuvent
redonner la sécurité et la sauvegarde à
la Syrie et à tout le Moyen-Orient pour
marcher ensemble vers un avenir
meilleur ». D’avance nous sommes
reconnaissants à tous ceux qui
répondront à cet appel.
Et nous avons besoin du rôle unique du
Pape et du Vatican et nous espérons que
la visite du Pape au Liban en septembre
prochain sera un appui pour ces
réflexions que je rédige sur la
situation dans le monde arabe et plus
précisément en Syrie.
Puisse le Seigneur de l’Histoire nous
donner Son Esprit-Saint pour nous guider
sur les chemins du Bien. Amen !
+Grégorios III Laham
Patriarche grec-melkite catholique
D’Antioche et de tout l’Orient, de
Jérusalem et d’Alexandrie.
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