Lettre adressée par Bahar Kimyongür à
l'ONU
Violences
sectaires ou génocide anti-alaouite ?
Bahar
Kimyongür
Bahar
Kimyongür
Samedi 16 mars 2013
Copie de la lettre transmise par
l’universitaire et militant des Droits
de l’Homme Bahar Kimyongür aux membres
de la Commission d’enquête
internationale de l’ONU sur la Syrie.
Violences sectaires ou génocide
anti-alaouite ?
A l’attention de M.
Paulo Pinhero, Mme Carla del Ponte, Mme
Karen Koning Abu Zayd et M. Vitit
Muntarbhorn, membres de la Commission
d’enquête internationale sur la
République arabe syrienne.
Bahar Kimyongür
Bruxelles, le 13
mars 2013
Mesdames et Messieurs,
Dès les premières lignes de votre
rapport du 5 février 2013, vous affirmez
que le conflit en Syrie a pris une
tournure « sectaire
» : «
The conflict has become
increasingly sectarian, with the conduct
of the parties becoming significantly
more radicalized and militarized. »
Dans votre rapport du 12 mars 2013, vous
faites état de «
massacres apparemment commis par les
Comités populaires » (groupes
d’autodéfense armés par le gouvernement)
qui auraient pris « une
tournure ethnique ».
Malgré le flou manifeste de votre
interprétation des événements, celle-ci
a été accueillie sans la moindre
critique par l’ensemble des agences de
presse occidentales.
D’abord, permettez-moi d’affirmer qu’il
n’y a aucun doute que des milices
pro-régime se livrent à des exactions.
Sur un champ de bataille, la peur de «
l’autre »,
l’instinct de survie et la soif de
vengeance peuvent conduire des hommes à
la commission d’actes criminels
inacceptables. Le sentiment d’effroi, de
rancœur et de fureur à l’égard de «
l’ennemi » est
forcément partagé par tous les
belligérants. Mais,
soyons honnêtes, on ne peut mettre sur
un pied d’égalité les motivations
politiques de brigades
progouvernementales
multiconfessionnelles et celles de
groupes rebelles religieusement
homogènes dont le discours et la
pratique sont dans la plupart des cas
ouvertement sectaires voire
génocidaires.
Loyalistes et rebelles prétendent
défendre leurs foyers, leurs familles,
leur vie et leur avenir.
Cela dit, tandis que les premiers
manient une phraséologie glorifiant la «
patrie », le «
président » et «
l’armée » en tant
que garants de l’unité et de la
stabilité du pays, les seconds propagent
pour la plupart un message
essentiellement religieux, celui du
sunnisme revanchard, conquérant et
prosélyte qui est contraire au sunnisme
syrien majoritaire prônant la sagesse et
la compassion. Ce
constat sous-entend qu’il existe un
nombre non négligeable de combattants
rebelles, à fortiori sunnites et pour la
plupart actifs dans l’Armée syrienne
libre, qui rejettent le projet politique
de leurs alliés extrémistes et sur qui
il faudra compter si un dialogue
inter-syrien voyait le jour.
Mon but ici n’est pas de renier la
réalité et la motivation de ces
desperados que la répression du régime a
naturellement et légitimement conduits à
prendre le maquis mais de garder
l’église au milieu du village, si je
puis dire, concernant vos allégations de
responsabilité partagée en matière de
violences confessionnelles.
Vous conviendrez qu’à l’inverse des
groupes rebelles, les comités populaires
armés par le gouvernement ne sont guère
homogènes sur le plan religieux : ils
sont assyriens à Qamishli, arméniens à
Kassab et druzes à Jaramana ou à Soueida.
Ils sont sunnites à Raqqa, à Hama, à
Deraa ou à Deir Az Zawr. Ils sont
alaouites, chrétiens et sunnites à
Tartous et à Lattaquié. Ils sont
également mixtes à Homs. Ils sont
Palestiniens sunnites à Nairab (Alep) et
à Yarmouk (Damas). Ils sont chiites à
Sayyida Zeinab à Damas ou dans les
villages d’Al Foua et Kafraya dans le
Nord. Ils sont chrétiens dans la «
Vallées des chrétiens
»… Trouvez-nous un
seul milicien pro-gouvernemental tuer un
sunnite, juste parce qu’il est sunnite
ou bien crier « A mort
les sunnites », «
Exterminons les sunnites », «
Passons les sunnites au
hachoir ». Ce
cas de figure est peu probable sinon
impossible car contraire à l’idéal
politique du régime que le loyaliste
défend, contraire à son éducation
politique et à sa propre identité (il
est lui-même sunnite dans la plupart des
cas). Si d’aventure,
un tel cas devait arriver, le coupable
serait immédiatement dénoncé par ses
compagnons et déféré devant un tribunal
pour « discrimination
sectaire », un crime aux
conséquences très lourdes en Syrie.
Vous ne pouvez dès lors accuser
gratuitement des combattants loyalistes
de pratiquer une discrimination
sectaire. Pour que
votre jugement soit crédible, vous devez
fournir des preuves concrètes et
irréfutables indiquant que le milicien
progouvernemental ait avancé des motifs
confessionnels pour recourir à la
violence contre sa victime.
D’autre part, la méfiance et le
ressentiment de miliciens pro-régime
envers l’une ou l’autre région
dissidente et sécessionniste ne doivent
pas être confondus comme vous le faites
avec une quelconque haine à caractère
confessionnel.
Régionalisme et confessionnalisme sont
des problèmes différents.
Comparons à présent l’attitude des
leaders sunnites progouvernementaux avec
ceux qui prétendent représenter le
sunnisme le plus pur.
Il y a deux jours, dans une énième
tentative de sauver la Syrie, le Conseil
supérieur de l’Iftaa, la plus haute
instance sunnite du pays a appelé le
peuple syrien à la paix et à la
réconciliation. A
l’inverse, les leaders prétendument
sunnites de la rébellion, Adnane Arour,
Youssef Al Qaradawi, Mohamed Al Arifi,
Abdel Salam Harba, lancent des fatwas ou
des menaces anti-alaouites et
anti-chiites. Ils sont rejoints par des
leaders politiques en costume
deux-pièces :
http://www.youtube.com/watch
?v=Fk59wLmCQiI
Les quartiers ou les villages conquis
par la rébellion sont systématiquement
purifiés de leurs habitants alaouites :
http://www.afrique-asie.fr/menu/moyen-orient/4843-syrie-les-massacres-contre-les-alaouites-passes-sous-silence.html
Des chansons appelant au génocide
anti-alaouite résonnent dans les villes
conquises par les rebelles, comme ici à
Binniche (province d’Idlib) :
http://www.youtube.com/watch
?v=-AKVBHEFyC0
http://www.youtube.com/watch
?v=WXFM_J3jBxk&feature=player_embedded
Dans une manifestation pro-rebelle, un
enfant agite un poignard en chantant son
rêve d’exterminer les alaouites et les
chiites sous les yeux émerveillés de ses
aînés :
http://www.youtube.com/watch
?v=Cjo2tk1K_dU
Je vous épargnerai cette fois des scènes
de tortures, d’humiliation,
d’exécutions, de décapitation commises
contre des alaouites au motif qu’ils
seraient des « impies
», des « impurs »,
des « chiens », des
« bâtards », des
ennemis de Dieu, bref des «
untermenschen. »
Pour finir, je résumerai ma critique en
quatre points : Ce
n’est pas parce que l’opposition
radicale s’acharne à apposer son cachet
confessionnel à la révolte que le
conflit est pour autant de nature
confessionnelle. Ce
n’est pas parce que la rébellion
djihadiste tente de mobiliser la
population sunnite contre le
gouvernement que la rébellion a pour
autant le monopole du sunnisme.
Ce n’est pas parce qu’un loyaliste
maltraite un rebelle de confession
sunnite que l’on peut accuser le
loyaliste de pratiquer une violence
sectaire. Et vos
rapports ne mentionnent toujours pas le
danger imminent d’un génocide
anti-alaouite en Syrie malgré les
milliers d’assassinats à caractère
notoirement confessionnels commis par
les rebelles djihadistes.
Merci d’avance de votre aimable
attention.
Bahar Kimyongür
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|