Tribunal Hariri
Lettre ouverte à
Antonio Cassese,
Président du Tribunal Spécial sur le Liban
Hassan Hamadé
Le parquet du Tribunal spécial sur le Liban, chargé d’enquêter
sur l’assassinat de Rafic Hariri, ancien premier ministre
libanais, tué dans un attentat à la voiture piégée le 14 février
2005, a réclamé du
Liban les empreintes digitales et le relevé des communications
téléphoniques fixes et mobiles depuis 2004 de l’ensemble de la
population libanaise, estimée à quatre millions de personnes.
Une requête jugée exorbitante et injustifiée alors que les
conclusions de l’enquête ont déjà été remises au tribunal depuis
janvier 2011.
Hassan Hamadé, journaliste et écrivain libanais, a adressé à ce
propos une lettre ouverte au président Antonio Cassese,
président du Tribunal Spécial sur le Liban. Cette lettre a été
publiée dans le journal libanais «As-Safir» en date du 24
février 2011.
Monsieur le Président
Ni
votre tribunal n’est juste, ni vous-même n’êtes loyal.
Je
suis heureux de m’adresser directement à vous alors que voilà
dix huit ans que je m’informe sur votre production juridique.
Ah
comme j’admirai la pertinence de votre logique et la cohérence
de votre jurisprudence.
En
dépit de nos divergences réelles depuis 2002,
je reste intimement convaincu que le droit, la Justice et
la Paix doivent constituer le fondement de toute politique, le
critère déterminant des rapports entre les individus et les
peuples, et non l’injustice, la guerre et l’occupation.
Je
vous ai observé depuis votre désignation comme premier président
du tribunal Spécial sur la Yougoslavie, dans la décennie 1990.
Je ne vous le cache pas, j’avais éprouvé du respect pour votre
attitude critique à l’égard du procureur de l’époque Louise
Harbour, dont le comportement était en tout point conforme à
celui des chefs opérationnels du commandement de l’Otan en
Yougoslavie; tout comme j’ai eu du respect pour votre attitude à
l’égard de son successeur Carla Del Ponte, qui s’est refusée,
elle, à ordonner la moindre enquête à l’encontre du personnel de
l’OTAN, quand bien même elle était persuadée de l’implication de
bon nombre d’officiers de «crimes de guerre» commis dans ce
pays.
J’avais hautement apprécié votre refus de la mise en œuvre du
principe de la «Justice des vainqueurs», dont le jugement de
Nuremberg en est le plus parfait exemple. Votre opposition à la
mise sur pied d’un tribunal spécial pour juger l’ancien
président irakien Saddam Hussein reposait sur ce même principe.
Là aussi vous aviez forcé mon respect.
A
dire vrai, la contradiction vous habite en ce que votre
conception de la justice s’inspire du principe de la relativité
de la justice, sur la notion d’une «justice relative», qui puise
son inspiration de la notion d’une «démocratie relative». Cette
notion, vous ne l’ignorez pas, a été théorisée par le sénateur
américain John Kerry, président de la commission sénatoriale des
Affaires étrangères du Congrès américain, pour évoquer l’après
Moubarak en Egypte en souhaitant l’avènement d’un régime «qui
préserve les intérêts de l’Occident». C’est là le seul souci des
Occidentaux, la préservation de leurs intérêts, et non la
démocratie, ni les Droits de l’Homme pas plus que l’Etat de
Droit.
Justice relative. Qu’il est dur de prononcer ces termes, tant
ils heurtent de plein fouet la notion même de justice en ce que
toute juridiction qui serait présidée par des magistrats
«relativistes», c'est-à-dire qui rendent des verdicts en
proportion de considérations variables, devient ipso facto une
justice politique et non une justice politisée.
Monsieur le président
Seriez-vous un magistrat relativiste ou, au contraire, partisan
d‘une justice absolue que rien ne saurait altérer?
A
journées faites, à tous les niveaux de votre juridiction, tel un
leitmotiv, vous évoquez «le plus haut degré de professionnalisme
et d’intégrité» pour qualifier le travail votre tribunal. Est-ce
vraiment vrai concernant votre juridiction? Se distingue-t-elle
vraiment des juridictions antérieures de Nuremberg, de
Yougoslavie, du Rwanda et d’Irak?
La
justice relative est par essence une justice sélective. Auquel
offrirez-vous votre concours à une juridiction qui soit en
contradiction flagrante avec la constitution?
Dualité d’interprétation de l‘acte fondateur: Tribunal
international ou «à caractère international».
Le
tribunal Spécial sur le Liban se fonde sur la résolution 164 du
26 mars 2006, un acte fondateur de la juridiction qui prête à
confusion particulièrement en son article 4 (cf. lettre du 13/12
2005 du premier ministre libanais au secrétaire général des
Nations unies) car dans sa version anglaise et arabe il est fait
mention de «tribunal à caractère international», alors que dans
sa version française, plus catégorique, il est stipulé «tribunal
international».
Cette dualité renvoie immanquablement dans les mémoires à l’ambigüité
contenue dans la
résolution 242 du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967
concernant le conflit israélo-arabe, dont la version anglaise
préconisait le retrait israélien «from territories», (de
territoires, sans précisions supplémentaires), alors que la
version française spécifiait expressément retrait israélien «de
tous les territoires arabes occupés».
Dans le cas d’espèce, lequel des documents doit-il faire foi, la
version anglaise ou la version française ?
Vous n‘ignorez pas que cette duperie n’est pas innocente. L’ambigüité
de la résolution 242 concernant le conflit israélo-arabe fait
que ce conflit perdure.
Sur la foi des documents constitutifs du Tribunal (la résolution
1757 du 30 mai 2007, le document d’entente entre le Liban et les
Nations Unies ainsi que le statut du tribunal), il a été convenu
au Liban aux termes de débats publics contradictoires que le TSL
avait vocation à avoir un «caractère international» et ne
constituait pas, a fortiori, un tribunal international. Dans
cette perspective, la violation du droit est flagrante et
affaiblit la portée de la référence à la convention de Vienne
sur les immunités diplomatique.
Par un artifice juridique dont l’objectif n’a échappé à
personne, vous avez soutenu que le fait que le gouvernement (pro
américain de Fouad Siniora) ait fait droit à toutes les requêtes
de la justice internationale valide a posteriori
l’interprétation accréditant l’hypothèse d’un Tribunal
international. Ainsi donc, l’accord Liban-ONU, bien que n’ayant
pas été entériné selon les règles a été néanmoins validé par le
comportement gouvernemental. Telle est du moins votre
interprétation de juriste et d’universitaire.
Or
la constitution libanaise confère au Président de la République
(bien président de la république) le privilège de négocier les
traits internationaux, en accord avec le premier ministre. Cette
disposition constitutionnelle a été contournée par l’accord
conclu par le premier ministre et le ministre de la justice.
Elle est donc frappée de caducité
au regard de l’article 52 de la constitution.
Lors d’un forum tenu le 2 Novembre 2010 sur le fonctionnement du
TSL vous avez reproché aux libanais, hommes politiques et
journalistes, leur fuite dans la presse concernant le cours de
l’enquête, feignant d’omettre que les fuites avaient pour source
principale les hommes politiques et les journaux israéliens.
Mieux apostrophant les Libanais sur le ton de la provocation,
vous avez ajouté «Même si vous supposez le tribunal politisé,
qu’Israël le finance et que je suis un directeur du Mossad,
venez et défiez le tribunal et exposez vos vues».
Cassese, lauréat du prix Elie Wiesel et sympathisant des
Moudjahiddine Khalq
Ces propos relevaient sans doute de la plaisanterie. Vous
badiniez certes, mais dans la mesure où vous avez pris
l’initiative d’abordez le sujet vous-mêmes, alors je me lance:
Dois je vous rappeler que vous êtes bénéficiaire d’une
distinction honorifique, le Prix Elie Wiesel.
Libre à vous de porter les décorations de votre choix,
mais cela ne vous autorise pas à vous porter juge de
Palestiniens, Libanais, Syriens ou Iraniens.
Imaginez vos un instant la réaction d’Israël, si une
personnalité européenne manifestant des sympathies pour la
résistance libanaise ou palestinienne, pis décorée par Sayyed
Hassan Nasrallah, chef
du Hezbollah, se portait juge dans une affaire impliquant
des Israéliens. Cette personnalité serait elle crédible au
regard des Israéliens? Un tel tribunal manifesterait-il un «haut
degré de professionnalisme et d’intégrité» à leurs yeux?
Sans nourrir la moindre animosité à votre égard, mais force est
tout de même de poser la question de savoir si vous auriez
accepté de présider un tel tribunal.
Une conception incompréhensible du terrorisme
Il
nous est difficile d’admettre que vous déployez tant d’effort
pour placer Israël à l’abri de poursuites judiciaires, de la
même manière que votre jurisprudence concernant le terrorisme
nous est toute aussi incompréhensible, N’est ce pas vous qui,
dans le quotidien italien La Stampa, en date du 20 octobre 2005,
avait exprimé la crainte que le jugement de Saddam Hussein, de
par les conditions de formation du tribunal, ne soit pas
équitable. Lequel des deux Cassese est dans le vrai ?
Vous soutenez que le chef d’accusation de terrorisme ne
s’applique qu’aux individus et aux organisations à l‘exclusion
des Etats, sans prendre en considération les cas de légitime
défense, de Droit à l’autodétermination ou de guerre de
Libération.
A
ce titre, à suivre votre raisonnement, la résistance
palestinienne et la résistance libanaise tombent sous le coup de
l’accusation de terrorisme puisque leurs actes de résistance
relèvent des individus et d’organisations, et que, par
contrecoup, les actes du gouvernement israélien, échappent à
cette accusation.
Sur ce point, votre
position, pourtant, est pour le moins contradictoire. Vous êtes
un ferme sympathisant des «Moudjahiddine Khalq», l’organisation
en exil de l’opposition iranienne, allant même, en 2008, à
demander son retrait de la liste des organisations terroristes
de l’Union européenne, dont vous avez été un conseiller.
Ôtez-moi d’un doute: Est-ce donc pour toutes ses qualités
(lauréat Elie Wiesel, soutien à l’opposition iranienne) que vous
avez été choisi pour présider le Tribunal Spécial sur le Liban?
Très respectueusement
Hassan Hamadé
- Hassan Hamadé, journaliste et écrivain
Libanais
- Antonio Cassese, Président du tribunal
Spécial sur le Liban, est un juriste italien, auteur d’une étude
«Violence et droit dans un monde divisé». PUF
2009
Le dossier
Liban
Dernières mises à
jour
|