Syrie
Lettre d'Alep n°25
Nabil Antaki
Lundi 14 mars 2016
Il fait beau ce dimanche matin de mars,
un ciel bleu, un soleil radieux qui
réchauffe ; Le cessez-le-feu qui est
entré en vigueur il y a 2 semaines a
poussé les gens à l’optimisme. Les 1ers
jours, il a été respecté ; Le bruit des
oiseaux au réveil a remplacé le bruit
des bombes. L’électricité et l’eau sont
revenues pendant 2 jours après une
interruption totale de plusieurs mois.
Les habitants d’Alep ont passé des nuits
blanches à faire la lessive, à prendre
un bain, à remplir leurs réservoirs
d’eau de peur que l’approvisionnement en
eau et en électricité ne soit que
temporaire comme ça avait été le cas à
plusieurs reprises dans le passé.
Malheureusement, l’embellie n’a duré que
quelques jours. Puis les snipers ont
repris leur sale boulot tuant des civils
innocents. Puis les obus de mortiers ont
recommencé à pleuvoir sur certains
quartiers, le groupe terroriste tenant
la partie Est de la ville n’étant pas
concerné par la trêve.
L’approvisionnement en eau et en
électricité a été de nouveau interrompu.
Même s’il devait être rétabli, les
Alépins savent que le régime de
rationnement va reprendre, l’eau 1 jour
par semaine et l’électricité deux heures
par jour. Malgré tout, ce matin, tout le
monde a le sourire aux lèvres et
l’espoir au coeur.
Ces derniers temps, les évènements se
sont succédés : l’exode des syriens par
centaines de milliers vers l’Europe
causant des tensions entre les pays
européens et parmi les habitants d’un
même pays ; L’offensive de l’armée
syrienne sur le gouvernorat d’Alep pour
libérer notre ville assiégée depuis 3
ans et demi par le groupe terroriste Al
Nosra ; Le cessez-le feu proclamé, pas
toujours respecté, en vigueur depuis 15
jours ; il concerne l’Etat syrien et une
centaine de groupes rebelles mais pas
les 2 principaux considérés unanimement
comme terroristes ; Coupure de la seule
route (attaquée par les groupes armés)
qui relie Alep au reste du pays pendant
8 jours avec comme conséquence l’arrêt
de l’approvisionnement de la ville des
produits essentiels, et ceci à quelques
jours du triste 5ème anniversaire du
début de la guerre en Syrie.
Est-ce le début de
la fin du cauchemar ? Le cessez-le feu
est-il le prélude à une solution
politique prochaine ? Les pays
occidentaux, submergés par les millions
de réfugiés, ont-ils décidé de hâter la
solution politique pour arrêter le flux
migratoire ? Va-t-on finalement nous
laisser vivre de nouveau en paix entre
nous, syriens, comme nous l’avons fait
depuis des siècles ? Faut-il être
optimistes et espérer ou réalistes et
dans l’expectative ? Ces questions, pour
le moment, sans réponses, les syriens en
général et les Alépins en particulier se
les posent à longueur de journée.
En attendant, nous,
les Maristes Bleus, continuons notre
travail de solidarité avec les familles
déplacées et/ou sans ressources. Rami,
un de nos bénévoles, me demandait
l’autre jour : « pourquoi vous insistez
à dire que nous sommes une association
de solidarité et non un organisme
humanitaire ? ». La réponse est
évidente. Pour nous, Maristes Bleus, les
« bénéficiaires » ne sont pas des
numéros sur des listes. Ils ne sont pas
des êtres virtuels à nourrir, à loger et
à soigner ; Ils ont un nom. Derrière
chaque nom, il y a un visage, il y a une
personne humaine avec son passé, souvent
malheureux ou endeuillé, ses drames, ses
souffrances, ses rêves brisés, son
avenir hypothéqué ; Une personne qui a
aussi des désirs et des projets. Nous
voulons établir avec eux une relation
qui leur permettra de garder, malgré
tout, leur dignité, leur humanité et une
certaine espérance.
La famille de S.B.
n’est pas un numéro. Elle a reçu, il y a
un mois, un obus dans son appartement :
Soubhi B. a eu une fracture du crâne et
du bras et a perdu son nez. Sa femme,
Gina B. a perdu ses yeux et ses
paupières et tous les os du visage ;
celui-ci n’est qu’un magma de chair
brûlée ; et leur fils a été tué sur le
coup.
La famille H.R.
n’est pas seulement une « bénéficiaire
». Elle a un passé douloureux, un
présent excessivement difficile et un
avenir incertain. La maman Lina et ses 9
enfants, déplacés et relogés dans une
carcasse d’immeuble, dans une chambre
sans murs et sans sanitaires sont des
personnes humaines. Le mari a disparu
depuis des mois. Pour survivre, les
enfants, les plus âgés, ramassent le
plastique et le carton pour le vendre
pour le recyclage et les plus petits
ramassent le pain des poubelles pour le
sécher et le vendre comme aliment pour
le bétail.
M.K., veuve, mère
de 5 enfants, deux fois déplacée, le
mari tué par un sniper au début de la
guerre, une de ses 2 fille décédée il y
a un an à la suite de l’explosion d’un
obus, un fils étudiant en médecine
essayant difficilement d’étudier dans la
cave où ils habitent. M. ou sa fille
viennent à pied tous les jours chez nous
(deux heures aller-retour) pour prendre
un repas chaud pour la famille. Est-ce
que M. est juste un numéro sur la liste
des bénéficiaires du repas de midi ?
N’a-t-elle pas besoin qu’on la regarde
avec amour, qu’on l’écoute avec respect
et qu’on l’accompagne avec discrétion ?
Quelques exemples,
parmi de nombreux autres, de drames
vécus par les familles déplacées et/ou
sans ressources qui sont pris en charge
par les Maristes Bleus.
Nos différents
projets continuent et se développent.
Nous avons créé un
nouveau « Panier » pour
244 nouvelles familles que nous avons
accepté de prendre à la demande d’une
association qui n’a plus les moyens de
poursuivre son activité. Au total, ce
sont 800 familles déplacées qui
reçoivent une aide mensuelle : Un panier
alimentaire substantiel, un panier
sanitaire complet, et récemment le prix
d’un abonnement mensuel de « 1 ampère »
aux générateurs privés qui ont poussé
partout en ville pour suppléer
l’électricité « officielle » qui n’est
plus fournie. Pour Pâques, chaque
famille va recevoir un bon pour l’achat
de 1 Kg de viande, denrée devenue
tellement chère que nos familles ne
peuvent pas se la payer.
« Les Maristes
Bleus pour le logement des déplacés »
poursuit son aide pour loger les
familles dans de petits appartements.
150 familles ont déjà été secourues,
certaines depuis 3 ans.
Vêtements, matelas,
couvertures, bidons d’eau et ustensiles
de cuisine sont fournis à la demande
quand il y a un besoin. Un repas chaud
est distribué tous les midis à 550
personnes.
L’arrêt total de
l’approvisionnement en eau nous a poussé
à acheter une 4ème camionnette. Equipées
d’un réservoir, d’un petit générateur,
d’une pompe et d’un tuyau, elles font le
plein de leur réservoir d’eau des
centaines de puits forés un peu partout
en ville puis elles vont sillonner la
ville pour remplir les réservoirs de 250
à 500 litres que nous avons fournis à
nos familles. Ce projet « J’ai Soif »
est très apprécié des familles.
Le chômage,
l’augmentation vertigineuse du coût de
la vie et le déplacement font que la
plupart des Alepins n’ont plus les
moyens de se soigner. Avec « le projet
médical des Maristes Bleus », nous
aidons les familles à acheter une
ordonnance, à payer le prix des
radiographies ou des examens de
laboratoire, à payer les frais d’une
hospitalisation pour un traitement ou
pour une opération chirurgicale : Une
centaine d’actes médicaux sont financés
chaque mois par nous.
Notre programme «
Civils Blessés de Guerre » continue,
grâce au bénévolat des médecins et
chirurgiens et à la coopération des
Soeurs de St Joseph de l’Apparition, à
soigner gratuitement les civils blessés
de guerre à l’hôpital St Louis.
Notre projet «
Goutte de lait » distribue chaque mois
du lait en poudre à 2700 enfants de 1 à
10 ans et du lait pour nourrissons à 275
bébés de moins de 1 an qui ne sont pas
allaités par leurs mamans.
Nous allons bientôt
démarrer un nouveau projet « Les
maristes Bleus pour l’éradication de
l’analphabétisme ». En effet, nous
avions constaté que les adultes de
nombreuses familles déplacées ne
savaient ni lire ni écrire. Ce projet
leur permettra de mettre à profit cette
période de guerre, de chômage, de vide
pour se développer.
« Apprendre à
Grandir » pour les enfants de 3 à 6 ans,
« Je veux Apprendre » pour les enfants
de 6 à 13 ans et Skill School pour les
adolescents poursuivent leur chemin avec
de plus en plus de demandes
d’inscription de la part des parents ou
des jeunes.
Quant à notre
centre de formation, le M.I.T., ses
séminaires sont très prisés.
Malheureusement, nous ne pouvons
accepter que 20 candidats sur les 50-60
demandes d’inscription pour chaque
workshop. Nous en faisons deux par mois,
d’une durée de 3 jours destinés aux
jeunes adultes de 20 à 40 ans pour leur
permettre d’acquérir des connaissances
dans divers sujets comme, récemment, «
comment réaliser un Power Point », «
comment utiliser le programme Excel », «
comment évaluer le rendement d’un projet
» etc.
Notre équipe de
direction, nos 50 bénévoles, nos
employés, les médecins, bref tous les
Maristes Bleus travaillent
d’arrache-pied pour que tous ces projets
soient pensés, planifiés, dirigés et
exécutés de la meilleure façon possible,
d’une manière Mariste. C’est-à-dire
connaître « les bénéficiaires », les
traiter toujours avec respect et amour,
les écouter au besoin et être pour eux
une source d’espérance. Nous vous devons
beaucoup, chers Amis, qui nous
soutiennent par vos messages de
solidarité, vos prières et vos dons.
Bientôt, nous
fêterons Pâques, la fête de la
résurrection, la fête de l’Espérance.
Rami, encore lui, m’a interpellé me
disant : Qu’est-ce que c’est que cette
Espérance que vous proclamez alors que
nous vivons depuis 5 ans dans le noir le
plus complet ? Je lui ai répondu : Pour
nous, les Maristes Bleus :
« Espérer, C’est
demeurer attaché quand tout tremble
C’est accepter le risque quand tout est
assuré
C’est proposer une présence quand tout
est non-sens
Espérer, C’est
demeurer habité par l’amour,
nourri par la tendresse,
animé par la paix
Espérer, C’est
avancer quand tout semble bloqué
quand tout parait terminé
quand tout est condamné
C’est vivre à la limite, à la frontière,
à l’extrême
d’un choix essentiel :
« Ne crains rien,
Je te porte dans la paume de ma main
Je fais de toi mon ami »
Espérer, C’est dire
Magnificat
Tu es dans ma vie
et je suis dans la tienne
un éternel poème d’Amour
C’est l’Espérance
qui nous aide à nous surpasser dans le
don et le dévouement, à aimer plus qu’on
ne pouvait imaginer, à croire de tout
notre coeur et pas seulement de toute
notre raison.
L’Espérance veut
dire que Jésus qui s’est incarné et mort
sur la croix pour nous, est ressuscité,
et il vit en nous.
Après sa
résurrection, Jésus envoya dire à ses
disciples qu’il les attendait en
Galilée. Les disciples étaient tristes
et désespérés car Jésus était mort. Ils
avaient perdu tout espoir. Leur
rendez-vous en Galilée, avec Jésus
ressuscité, leur a donné l’Espérance.
Ils ont su qu’après la mort, il y a la
résurrection, et après les ténèbres, il
y aura la lumière. »
Bonnes Pâques
Nabil Antaki
Pour les Maristes
Bleus
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