Syrie
Lettre d'Alep n°28
Georges Sabe
Mardi 13 décembre 2016
Lettre
d’Alep No 28 (le 12 décembre 2016)
Avancer
Au moment où j’écris cette
lettre, la grande majorité des quartiers
d’Alep occupés par les rebelles ont été
libérés, les routes ont été nettoyées et
débarrassées de tout ce qui empêchait la
communication entre une partie et une
autre de la ville.
Alors que beaucoup de rebelles armés
ont profité de l’amnistie accordée et se
sont rendus, et malgré tous les appels
(mondiaux et locaux) à l’évacuation
d’Alep, un noyau de terroristes
(spécialement du front Al Nosra) refuse
de se rendre. Ils s’obstinent et
intensifient le bombardement des
quartiers Ouest de la ville.
Nous assistons à un nouveau
déplacement : des milliers de familles
quittent les quartiers Est de la ville
et viennent se réfugier dans des régions
plus sécurisées.
Plusieurs voix s’élèvent pour annoncer
qu’avant Noël, toute la ville d’Alep
sera réunifiée. Nous espérons que cela
se traduira par la fin des hostilités,
la fin du cauchemar, la fin de la peur
et surtout l’installation de la paix
tant attendue depuis presque cinq ans (à
Alep).
Il restera beaucoup à faire concernant
le côté humain des habitants de cette
ville ? Comment aider les gens à
revenir, à s’installer, à avoir
confiance en l’autre, à accepter une
réconciliation ? Quels mots dire aux
parents des martyrs, aux blessés, à ceux
qui ont vu leurs maisons détruites ?
Quel regard jeter sur celui qu’on
soupçonne d’avoir été notre ennemi ?
Faut-il avoir confiance en un avenir de
paix ? Quelle garantie offrir aux
déplacés et aux réfugiés qui ont tout
quitté et sont allés s’installer à
l’étranger et y ont construit leur vie ?
Que répondre à ceux qui se méfient, ceux
qui doutent, ceux qui annoncent d’autres
malheurs ?
Sommes-nous préparés à initier un
chemin nouveau ? Si la paix tant
attendue s’installe parmi nous, comment
éveiller les gens à leurs
responsabilités, à leurs devoirs
civiques et sociaux ?
Toutes ces questions et plusieurs autres
traversent notre esprit. Peut-être qu’il
est trop tôt pour y répondre mais nous
devons les partager et commencer à y
réfléchir.
Ces jours-ci, les habitants d’Alep
Ouest sont en train de sortir dans la
rue pour aller ailleurs, là où c’était
dangereux et interdit. Certains
découvrent la réalité de ce qui a été
leur magasin, leur maison ou leur lieu
de culte. La guerre est passée par là
laissant son empreinte : tout est volé,
tout est détruit, parfois défiguré ou
même disparu. On prend des photos, on
s’indigne, on pleure… On essaye de voir
s’il y a quelque chose à récupérer : Un
souvenir, un livre, un n’importe quoi
oublié que les seigneurs de la guerre
n’ont pas emporté avec eux ? Les gens
imaginaient le volume de dégâts mais la
réalité dépasse souvent l’imaginaire et
leur fait découvrir l’atrocité des
crimes commis.
Il reste encore à déminer. Une dizaine
d’enfants ont tenté de jouer dans un
jardin public. Une mine a eu raison de
leur vie… Il faut éviter certaines zones
où il y avait des combats.
Les quartiers de l’Ouest de la ville
continuent à recevoir leur lot quotidien
de roquettes, d’obus de mortiers et de
missiles. La mort continue à faire des
ravages. La peur ne cesse de grandir. Il
y a 3 semaines, une école primaire a été
touchée par un missile. Au moins 8
élèves sont morts et plus de 100
personnes hospitalisées au milieu d’un
silence honteux des grands de ce monde
et d’une allusion brève et timide des
moyens de communication.
Il y a quelques jours, Dr Nabil nous
invitait à être vigilants : « La
désinformation continue : entre autres,
certains médias rapportent que « Alep
est tombée » au lieu de dire « libérée »
». Pour ceux qui écoutent les déplacés
arrivant des quartiers Est de la ville,
pour ceux qui les côtoient, la réalité
de la libération ne suffit pas pour
exprimer la fin du cauchemar dans lequel
ils vivaient. Ils étaient pris en otage
par les éléments armés. Il leur était
interdit de sortir, de quitter. Quand
l’armée est arrivée, ils ont pu se
sentir en sécurité. Ils désiraient
quitter le plus tôt possible. Comment
faire pour que les médias reflètent la
réalité telle qu’elle est ?
Dans le cadre de sa journée mensuelle
« off », l’équipe d’animation des
Maristes Bleus, s’est rendue le dimanche
30 octobre, chez quatre familles parmi
les plus pauvres de nos bénéficiaires.
Cette démarche a été suivie par un temps
de partage et de prière. Nous avons
insisté sur l’importance de l’écoute et
du respect de toute personne pour nous
diriger de plus en plus vers les
familles les plus démunies.
Le 12 novembre 2016, et dans un
programme spécial « Ajrass el Machrek =
Les cloches du Levant » de la chaîne de
Télé Al Mayadin, Dr. Nabil a présenté «
la profondeur et le sens de l’action
solidaire en temps de guerre ».
Le gouvernement de Navarre (Espagne)
nous a décerné le « XIV PRIX
INTERNATIONAL DE LA SOLIDARITÉ- 2016 ».
L’ONG Mariste « SED » avait présenté
notre candidature. Dans une conférence
de presse le 30 octobre 2016, Miguel
INDURÁIN, membre du jury, avait présenté
les raisons de ce choix : « En
reconnaissance de l’oeuvre en faveur de
la paix des Maristes Bleus dans une des
zones les plus touchées par la guerre en
Syrie, la ville d’Alep, et pour leur
défense d’un des droits primordiaux de
la personne humaine, le droit à la vie
et pour leur collaboration avec d’autres
organisations ».
F. Georges a rencontré les élèves du
secondaire de 3 centres éducatifs. Il a
rencontré des adultes et des personnes
intéressées par la situation en Syrie.
Il leur a expliqué la réalité du vécu
quotidien dans la ville et leur a
présenté toute l’oeuvre des Maristes
Bleus. Beaucoup de ceux qui l’ont écouté
ont exprimé leur solidarité avec le
peuple syrien.
Une question s’est répétée plusieurs
fois « Où trouvez- vous la force pour
continuer votre Mission ?». Et comme
vous pouvez l’imaginer, notre force
s’enracine dans notre foi, notre foi en
Jésus Christ, proche des pauvres et des
damnés. Un Jésus qui nous invite à aller
à la rencontre de l’autre, et surtout le
plus affligé, le plus blessé, le plus
meurtri.
Un groupe d’enfants viennent à la
rencontre du F. Georges, lui posent
plein de questions et lui remettent à la
fin un petit don… Un geste inoubliable…
Un geste de solidarité… Un geste qui va
beaucoup plus loin que toutes les
frontières.
La présidente du gouvernement de Navarre
et le directeur de laboral Kutxua ont
encouragé les Maristes Bleus à continuer
leur travail. Frère Georges, dans son
mot de remerciement, annonce que ce prix
fait honneur, il est vrai, aux Maristes
Bleus mais nous le dédions, aussi, à
toutes les victimes de la guerre… Le
prix arrive au moment où la ville d’Alep
continue de souffrir. Cette solidarité
internationale nous stimule à résister
et continuer notre mission. Notre
remerciement est une promesse : «
rester, poursuivre, être très proches
des personnes qui souffrent ».
En visite en Allemagne, frère Georges a
eu l’occasion de rencontrer des amis qui
ont écouté de vive voix, un témoin
direct de la situation d’Alep. Les
auditeurs découvrent une réalité
différente de ce que les médias
occidentaux leur rapportent et
apprécient toute notre action solidaire
envers plus de 1000 familles.
Pour cela, nous bénéficions d’un
large réseau d’amis qui nous soutiennent
et prient pour nous. Je profite de
l’occasion pour les remercier et leur
dire combien nous estimons et apprécions
leur soutien et leur prière.
A la fin de novembre, nous avons offert
à chaque personne des familles que nous
soutenons, (et ils sont des milliers)
une paire de chaussures et des vêtements
neufs.
Ces jours-ci, la situation chaotique des
bombardements nous a obligés à prendre,
par mesure de sécurité, la décision
d’arrêter momentanément nos deux projets
: « Apprendre à Grandir » et « Je veux
Apprendre ».
Un jour de novembre, suite à un missile
qui est tombé tout près du centre de
distribution de notre programme « Goutte
de Lait », les vitres sont toutes
parties en éclats. Rien d’autre,
heureusement, que des dégâts matériels.
Les équipes de distribution de l’eau ne
chôment pas. En plein hiver, malgré la
libération de la station de pompage de
l’eau qui se trouve à l’intérieur des
quartiers libérés par l’armée syrienne,
l’eau reste coupée tout comme
l’électricité.
Le programme de formation de cent heures
« comment élaborer un petit projet » et
auquel ont participé 20 personnes, est
terminé. Les participants ont rédigé
leurs projets et il reviendra au jury du
MIT d’évaluer les meilleurs et en
choisir deux qui seront soutenus
financièrement par les Maristes Bleus.
Un nouveau programme de développement
vient élargir notre liste. C’est « Coupe
et Couture ». Il s’adresse aux femmes.
Né en novembre 2016, Vingt-quatre femmes
y participent. Durant 4 mois, elles vont
suivre, en moyenne 6 heures par semaine,
une formation à la coupe et à la
couture.
Tous les autres programmes :
distribution de paniers alimentaires et
sanitaires, distribution de couvertures
et de matelas, distribution de
réservoirs d’eau, aide au loyer, les
civils blessés de guerre et le programme
médical, Skill School et lutte contre
l’illettrisme, continuent normalement.
Au nom de tous les Maristes Bleus et
de tous les bénéficiaires, je vous
invite à nous mettre en marche vers
Noël.
En route vers Noël, nous avançons…
Nous, un peuple en recherche, un peuple
en attente, un peuple d’espérance…
En route vers Noël, nous avançons…
Guidés par une étoile, une étoile de
paix et de solidarité…
En route vers Noël, nous avançons…
Un seul désir guide nos pas : rencontrer
un enfant, rencontrer le sourire d’un
enfant, rencontrer l’humain d’un enfant…
En route vers Noël, nous avançons…
Les mains tendues vers l’autre, le tout
autre, l’étranger, le déplacé, le mal
aimé…
En route vers Noël, nous avançons…
Et nous chantons : « Paix aux hommes de
Bonne Volonté ».
Joyeux Noël et Bonne année 2017
Le 12 décembre 2016
Fr. Georges Sabe
pour les Maristes Bleus
Le
dossier Syrie
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