France-Irak
Actualité
Femmes citoyennes d’Irak : Prisonnières
de guerre
Yanar Mohammed
Mardi 28 avril 2015
Revue de presse: extrait de
l’interview de Yanar Mohammed,
co-fondatrice et directrice de l’Organisation
pour la Liberté des Femmes en Irak
(Organisation
of Women’s Freedom in Iraq),
par Jennifer Allsopp (opendemocracy.net
- 26/4/15)*
Jennifer Allsopp: Yanar,
quelle est la situation des droits
humains des femmes en Irak, à l’heure
actuelle?
Yanar Mohammed : Le
dernier événement en 2014-2015 est, bien
sûr, l’attaque de l’Etat islamique,
conséquence directe des politiques
menées pendant l’occupation de l’Irak.
Les Etats-Unis ont mis au pouvoir les
groupes politiques chiites et ont
marginalisé une grande partie des autres
communautés religieuses. On devait
s’attendre à ce que l’étape suivante
soit la résurgence de dynamiques
religieuses, qu’un groupe religieux
s’attaque à un autre. Les membres
dirigeants de l’Etat islamique
ont été torturés dans les prisons
militaires américaines ou dans les
prisons du gouvernement chiite que les
Américains avaient mis en place. Quand
vous torturez une personne longtemps,
vous pouvez obtenir un défenseur
passionné des droits de l’homme mais,
plus probablement, une bête dont le seul
objectif sera de se venger de la
meilleure manière possible. Et c’est ce
qui est arrivé avec Abou Bakr al-Baghdadi
qui a été détenu à la prison Bucca et
torturé par les Américains, le préparant
ainsi à son rôle futur, comme chef de l’Etat
islamique.
Avant 2003, personne en Irak ne
savait quelle partie du pays était
chiite ou sunnite. Cela a été quelque
chose de nouveau et nous en récoltons
les fruits. Le bien-être des femmes a
payé ce prix. S’ajoutant à la crise de
l’Etat islamique, nous devons
affronter une autre conséquence de la
dernière guerre, comme la catastrophe
que sont les orphelins. Nous avons 5
millions d’orphelins de guerre et des
dizaines de milliers d’entre eux ont été
l’objet de trafic au cours des dix
dernières années. Cinq millions
d’orphelins en passe de devenir des
adolescents sont un gros problème dans
toute société. Les jeunes filles sans
parents sont un matériau pour
l'exploitation dans les bordels et
beaucoup n’ont même pas de papier
d’identité. Bien que la loi n’interdise
pas de leur fournir des documents,
chaque fois qu’elles se rendent dans un
service gouvernemental, on leur demande
de revenir avec leur père ou leur frère
alors qu’elles sont seules. Elles
habitent dans les pires habitations en
Irak et sont exploitées quotidiennement
car elles ne peuvent pas apporter la
preuve de leur nationalité irakienne. Et
cela a commencé il y a plus de 10 ans.
Le droit à la citoyenneté de
l’adolescente exploitée est une
priorité.
Jennifer Allsopp : Avant
l’émergence de l’Etat islamique, les
choses s’étaient-elles améliorées en
Irak ?
Yanar Mohammed :
Nous avons connu une paix relative, les
années précédentes, je dis relative
parce que la capitale était sous
contrôle et les principales villes
étaient en paix, mais les partis
religieux ont toujours eu la main haute.
Ils nous ont toujours surpris, d’année
en année. La dernière fois, ce fut en
2014 quand le ministre de la justice a
annoncé son intention d’introduire la
loi Al-Jafaari qui est la loi chiite sur
le statut personnel de la famille qui
permettait le mariage d’une gamine de 9
ans, le traitement humiliant des femmes
en matière de mariage et de divorce, et
plus généralement, de considérer les
femmes comme des objets et non des êtres
humains (1). Cette loi date
d’il y a des centaines d’années et
voudrait effacer les évolutions
enregistrées depuis en Irak.
Jennifer Allsopp : Comment le
mouvement des femmes a-t-il réagi ?
Yanar Mohammed :
Nous avons manifesté, parlé à la radio
car nous avons une radio du nom d’Al
Musawat, radio de l’Egalité. Nous
avons condamné par des slogans disant
« nous ne permettrons pas le viol de nos
jeunes filles ». Nous avons
expliqué ce que la loi signifiait et
avons recueilli une certaine opposition
de sorte que le gouvernement a
éventuellement décidé de ne pas
l’appliquer « en ce moment »
pour y apporter des amendements, ce qui,
en fait, est une excuse pour dissimuler
le projet de loi. Ensuite, on nous a
ordonné de fermer notre radio car «
notre enregistrement n’était pas
finalisé ». Et oui, avant l’Etat
islamique, les attaques du
gouvernement contre les droits des
femmes et leur statut nous a tenu
occupées. … (…) …
(1) Le projet de loi «
Al-Jaafari », du nom du sixième
imam chiite Jaafar al-Sadiq
(702-765), fondateur de l’école de
jurisprudence jaafarite, a été déposé
par Hassan al-Shimari, ministre irakien
de la Justice – membre du parti
chiite Fadila - , et approuvé par
le gouvernement le 25 février 2014.
Devant l’émotion soulevée par cette loi
en Irak et dans le monde, Nouri al-Maliki
n’a pas osé la présenter au vote des
parlementaires.
*Suite de l’article en
anglais sur :
https://www.opendemocracy.net/5050/jennifer-allsopp/iraq%E2%80%99s-female-citizens-prisoners-of-war
Traduction et Synthèse :
Xavière Jardez
Photo: Yanar
Mohammed lors d’une manifestation sur la
place Tahrir à Bagdad, en 2011
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 28 avril 2015 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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