Algérie Résistance
Sammy Oussedik : «La matrice porte la
responsabilité
de ce qui se passe aujourd’hui »
Mohsen Abdelmoumen
Sammy
Oussedik. DR.
Jeudi 22 octobre 2015
Mohsen Abdelmoumen :
Quelle est votre opinion sur ce qui se
passe dans notre pays en ce moment, à
savoir le départ du général Mediène, la
bataille rangée entre les clans où l’on
voit par exemple un Haddad attaquer à la
fois le général Benhadid et Rebrab, et
autres évènements qui secouent la scène
nationale ?
Sammy Oussedik : Ce
qui se déroule sous nos yeux est
l’ultime ajustement d’une séquence
politique qui a débuté depuis 2013. En
effet, face à une crise
multidimensionnelle et inédite dans
l’histoire de l’Algérie indépendante, la
Matrice a fait ce qu’elle sait faire, à
savoir se recomposer afin d’essayer,
encore une fois, de muter.
Cependant, elle ne dispose plus à
profusion des ressources qui ont été les
siennes depuis 1962, à savoir la
légitimité historique et morale ainsi
que la rente issue des hydrocarbures.
Depuis l’indépendance, à chaque étape,
elle a optimalement tiré profit de ses
avantages en élaborant un mix de
ressources différentes au gré des
circonstances et du temps. Ainsi,
pendant les quinze premières années, la
légitimité historique a été la
principale ressource puis la manne
pétrolière a permis de gérer la baisse
tendancielle des autres ressources
historiques et morales.
Aujourd’hui, la rareté des ressources
leur commande de recomposer l’équilibre
interne de la Matrice. Alors, ce qui
apparaît comme des affrontements
interpersonnels ne sont que des
frottements au sein d’un même organisme.
Chaque clan ou partie à constamment à
l’esprit la devise suivante « Ce qui
nous lie est éminemment plus important
que ce qui pourrait nous séparer ».
Alors, je dirai que nous sommes
actuellement au milieu du gué. La
séquence politique ouverte depuis 2013
va se poursuivre, ce que nous ne
manquerons pas d’observer dans les mois
à venir.
Pourquoi utilisez-vous le
concept « matrice » en évoquant le
système politique algérien ?
Je nomme ce système politique qui est
le nôtre la Matrice. À cela, plusieurs
raisons que je ne pourrai pas toutes les
énumérer ici, mais dont les principales
sont celles-ci : Le système politique
algérien s’apparente à une Matrice par
le fait qu’il a accouché du système de
pouvoir qui nous gouverne depuis 1962.
En cela, la Matrice est antérieure à
l’indépendance. Forgé à l’extérieur,
bénéficiant des ressources et de la
protection de tuteurs étrangers, il a
définitivement assis sa domination avant
1962. C’est aussi à l’aune de cela qu’il
convient d’analyser les dures batailles
de l’été 1962.
La Matrice, le système, fonctionne
comme un organisme vivant qui dispose de
ressources propres et à chaque crise
mobilise l’ensemble de ses parties pour
muter et assurer sa domination ainsi que
sa survie. Le noyau de la Matrice sous
l’effet du temps qui passe se recompose
mais l’ADN de l’organisme reste le même.
Comme tout corps vivant, il se répare et
se régénère. Toutefois, le temps et la
rareté des ressources rendent sa survie
précaire.
Peut-on envisager un
changement à l’intérieur de la matrice
ou dans sa périphérie, ou bien les
solutions ne sont-elles envisageables
qu’en dehors de cette matrice, avec une
rupture brutale et les risques que
celle-ci entraînerait ?
Le mythe du « changement de
l’intérieur » est un mythe récurrent
dans l’histoire récente de notre pays.
En 1989 et en 1994 il a participé à
assurer la survie de la Matrice. Pour ma
part, je reste réservé quant à une
ouverture inclusive. Le vrai problème
est là, la Matrice ne veut ni changer
ses règles, ni entamer ce qu’elle
considère comme légitime, à savoir son
hégémonie sur la politique et
l’économie.
C’est pourquoi, je ne suis pas
convaincu qu’il faille poser le problème
de façon binaire, « le chaos ou le
statut quo ». Cette équation n’est pas
tenable. De plus, formulée ainsi, elle
participe à culpabiliser les citoyens et
les acteurs politiques qui demandent un
changement réel. Or, et ne l’oublions
pas, la matrice porte la responsabilité
de ce qui se passe aujourd’hui.
Il convient de ne pas confondre la
mise en scène du changement avec le
changement réel. Il est temps de
sérieusement mobiliser l’ensemble des
forces démocratiques et sincères autour
d’un projet. Il y va de notre survie en
tant qu’État et société.
Vous avez créé le cercle de
réflexion ou think tank
« IBTYKAR » qui est une idée originale
en Algérie, pour ne pas dire qu’il
s’inscrit dans une autre dimension de ce
qui se fait habituellement chez nous.
Quel est l’impact de votre think
tank sur les cercles de décision et
au niveau de la population ?
L’idée de créer IBTYKAR vient d’un
constat que bon nombre d’entre nous
partagent. Celui de la crise de la
médiation politique et de son instrument
privilégié, le parti politique. Les
Algériens se détournent de la vie
partisane. Or, la crise que nous vivons
et les solutions que nous pourrons
élaborer sont d’abord politiques. Par
exemple, la question de la rente et de
sa distribution n’est pas d’abord
économique mais politique. Les choix
économiques dans notre pays sont dans la
majorité des cas le résultat
d’arbitrages politiques.
De plus, le champ du politique se
résume à des noms et des sigles. Les
programmes ont été évacués. Pour nous,
la question de l’Avenir est centrale
pour un pays dont la grande majorité des
habitants a moins de 35 ans. Il est
inconcevable et irresponsable de ne pas
se soucier de cette question et de
laisser cet espace à ceux qui ont pour
projet futur l‘éternité. Pour notre
part, nous nous situons résolument dans
les forces de progrès, celles qui
pensent qu’un autre avenir est possible.
J’ajouterai qu’il convient de
différencier la politique, la cuisine
politique du Politique que je résumerai
comme étant la participation du citoyen
à la vie de la cité. Là est l’enjeu
principal de notre action, contribuer à
accompagner l’émergence de la
Citoyenneté et donc de la
réappropriation par chacun de sa vie et
de son destin.
C’est pourquoi, IBTYKAR n’est ni un
parti politique ni un think tank.
Mouvement politique non-partisan, ouvert
à tous, intergénérationnel, inclusif,
nous désirons, à partir d’un socle de
Valeurs comme l’état de droit, la
liberté de conscience, le pluralisme, le
respect des minorités, la solidarité,
etc., porter notre réflexion sur
l’élaboration d’un programme résolument
tourné vers l’avenir et défendre nos
valeurs, notre vision citoyenne et nos
propositions dans le débat national.
Pour cela, nous nous organisons pour
porter en interne la réflexion et
l’action. Cela se traduit, entre autres,
par la constitution de pôles de
réflexion autour de questions d’avenir
telles que l’économie, la politique
extérieure, les libertés, l’énergie,
l’aménagement du territoire, la culture,
etc. Ces idées, choix et
recommandations, nous les porterons
activement, et chercherons chaque fois
qu’il sera possible, l’articulation avec
les autres forces de progrès sur la
scène politique. Mais sans ambitions
électorales.
L’Algérie de demain doit-elle
se doter de cercles de réflexion et
think tanks, à l’image de la norme
internationale, afin d’initier des
débats susceptibles d’aménager des
perspectives à moyen et à long terme ?
Organiser la réflexion, la
démultiplier, la décentrer est une
nécessité. La mise en réseau de
l’intelligence, son organisation sont à
la base de ce qui fait la puissance des
Nations, le balisage et la maîtrise de
leur avenir. Dans ce domaine comme dans
bien d’autres, il nous faut nous
reconnecter à la marche du monde.
Cultiver à tout prix une singularité
radicale équivaut à abdiquer son avenir.
L’Algérie n’est-elle pas en
retard dans le domaine des think
tanks et de la prospection en
général, et ce, dans tous les domaines ?
Comme je vous le disais plus haut, le
splendide isolement qui a été le nôtre,
notamment dans l’organisation de
l’intelligence, n’est plus possible. À
titre d’exemple, si nous essayons de
nous comparer aux pays faisant partie de
nos zones civilisationnelles, à savoir
le monde arabe, islamique, l’Afrique et
la Méditerranée, nous faisons partie du
peloton de queue en matière de think
tanks.
Le classement mondial 2014 établi par
l’Université de Pennsylvanie, référence
en là matière, indique que notre pays
dispose de 12 organismes répertoriés
comme think tanks. Dans le même temps,
nos voisins immédiats en comptent 39 en
Tunisie et 30 au Maroc. L’Égypte en a
50, le Kenya 57 et l’Afrique du Sud 88.
Le Burkina et l’Éthiopie, pays disposant
de faibles moyens, 18 et 25.
Je vous laisse tirer les conclusions
qu’il convient quant à notre retard en
la matière.
Les patriotes algériens
connaissent l’engagement de la famille
Oussedik durant notre glorieuse
Révolution, notamment dans la Willaya
historique 4. Pourriez-vous nous parler
de votre histoire familiale ?
Il est difficile de parler de ses
siens et de soi. Ce que je peux vous
dire c’est qu’à chaque moment crucial
qu’a connu notre pays, nous avons su
prendre, individuellement et
collectivement, nos responsabilités. La
période qui arrive sera déterminante
pour l’avenir de notre pays. Encore une
fois, nous saurons prendre nos
responsabilités et répondre présent au
rendez-vous de l’Histoire.
Sur quels dossiers
travaillez-vous en ce moment avec votre
cercle de réflexion ?
Compte tenu de la situation, tous les
dossiers sont prioritaires et
interdépendants. C’est pourquoi il nous
faut rapidement être opérationnel en
termes de réflexion et d’action. Aussi,
je consacre une grande partie de mon
temps à la structuration de notre
mouvement IBTYKAR qui verra le jour dès
le début de l’année 2016.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Biographie
Sammy Oussedik, fils de Saïd et
Fatima Ameur, est né le 7 juillet 1961 à
Alger. Après les cycles primaire et
secondaire effectués dans la capitale
algérienne, il poursuivra ses études
supérieures en France. Diplômé en 1983
de l’Institut d’Études Politiques
(I.E.P), section Économie et Finance, il
obtiendra également une maîtrise en
Relations Internationales à la Sorbonne
ainsi qu’un troisième cycle dans la même
spécialité, toujours à la Sorbonne. Au
cours de son passage à l’I.E.P, il
fondera la revue «Azimut». Avec
deux de ses condisciples, il mettra au
point, pour la première fois en France,
un système de notation des professeurs
par les étudiants. À ce titre, il aura
les faveurs du quotidien «Le Monde»,
qui y consacrera un article (mai 1983).
Parallèlement à ses études, en 1983, il
rejoindra le Cabinet britannique de
Conseil «Lanser Consultant Ltd.»,
spécialisé dans l’économie et le
financement des télécoms. Il sera, à
partir de Paris, en charge de la veille
économique dans la zone Europe du Sud et
Afrique du Nord.
En 1987, il prendra la décision de
rentrer en Algérie afin de participer à
l’effort de construction national. En
1988 et 89, il fera un passage comme
cadre supérieur à la Banque
Extérieure d’Algérie (B.E.A) et au
Crédit Populaire d’Algérie
(C.P.A). Suite à cette expérience durant
laquelle il a pu mesurer l’état dans
lequel était le système financier
algérien et sa faible propension à
évoluer, il réorientera sa carrière.
Ainsi, il rejoindra le Ministère de la
Communication et de la Culture, en tant
que cadre supérieur, Sous Directeur des
Études. Au cours de cette période, il
fera l’expérience de la haute
administration algérienne et de ses
rouages. En 1990, à 29 ans et à
l’initiative d’Abdou.B, Directeur
Général de la Télévision Algérienne, il
créera et dirigera la Direction
Commerciale de la Télévision Nationale,
jusqu’en octobre 1994. Sous sa
direction, sera mise en place la
première régie publicitaire de la
Télévision. Il lancera les activités de
création publicitaire télévisuelle, de
sponsoring et créera le premier
catalogue de la production télévisuelle
algérienne.
En 1991, très attaché à «la chose»
politique et dans une configuration
politique et partisane en pleine
mutation, il proposera et organisera,
dans le cadre de ses activités à la
Télévision Algérienne, la première
rencontre Gouvernement, Partis
politiques et Patronat. Durant les
années 90-95, dans un contexte politique
et sécuritaire compliqué, il poursuivra
sa mission.
En 1995, il s’expatriera à nouveau et
renouera avec la finance. La même année,
il deviendra conseiller auprès de la
G.P. Banque, banque d’affaires
française spécialisée sur le Maghreb et
le Moyen-Orient. Autour des questions
liées à la stratégie, il participera à
de nombreux dossiers de privatisation.
Dans le cadre de ses fonctions, il
mènera notamment une étude portant sur
«La mobilisation de l’épargne off-shore
algérienne». Il élaborera aussi, pour le
compte de la Banque Nationale de
Développement Marocaine (B.N.D.E),
une stratégie de conquête en direction
des résidents marocains à l’étranger.
En 1998, après le rachat de la
G.P banque par le Groupe
Natexis‐Banque Populaire, il sera
en charge du Pôle Conseil et Etudes de
la filiale du Groupe dédiée au Maghreb
et Moyen‐Orient. Il participera au
lancement de Natexis Algérie.
En 2000, il décidera de rentrer en
Algérie. Il fondera ainsi, la même
année, avec la S.F.I (Groupe
Banque mondiale) et C.C.I,
fonds d’investissement américain,
Algiers Investment Partners,
première structure de banque d’affaires
de droit algérien. Dès sa création, il
en deviendra le P.D.G.
Reconnue pour ses compétences,
Algiers Investment sera, dans le
cadre des privatisations, short-listée
par le Gouvernement Algérien. Elle
nouera des collaborations avec de
grandes banques internationales comme
BNP‐Paribas ou encore
Hypobank. Du fait du retard dans le
programme de privatisation et de
l’absence d’activité sur le marché
boursier, Algiers Investment
orientera ses activités en direction du
conseil aux groupes privés algériens et
des compagnies internationales. En 2002,
il sera, à Alger, un des fondateurs et
premier Vice‐Président du Cercle
d’Action et de Réflexion autour de
l’Entreprise (CARE).
En 2007, Sammy Oussedik deviendra
Conseiller du Président du premier
groupe financier libanais, la Banque
Libanaise d’Outre‐Mer (BLOM
Bank). À partir de Paris et
Beyrouth, il sera en charge du
développement au Maghreb. Intéressé par
la prospective ainsi que par les
problématiques internationales, il
fondera et présidera, en 2013, le
Cercle Ptolémée, cercle de
réflexion consacré aux questions et
enjeux méditerranéens. En mars 2014, à
la veille des élections présidentielles,
il rédigera la note «Reset‐Algeria». Ce
document présente nombre de propositions
économiques et politiques d’urgence afin
de faire face aux défis que doit relever
l’Algérie.
Aujourd’hui, il conseille des
institutions et des sociétés dans leur
stratégie et leur développement. Il est
également engagé dans une réflexion sur
le thème de la digitalisation et ses
usages comme levier d’émergence pour
l’Algérie. Impliqué dans la situation
actuelle en Algérie, Sammy Oussedik
travaille au lancement d’un Mouvement
Citoyen IBTYKAR. Transgénérationel,
collaboratif, ayant pour ambition
d’articuler réflexion et action, ce
mouvement a pour vocation de devenir un
réservoir d’idées, de thématiques et
d’actions innovantes. Résolument tourné
vers l’avenir et l’innovation, IBTYKAR
participera, aux côtés des autres forces
de progrès, à l’avènement d’un État
démocratique, pluraliste, social,
moderne et ouvert sur le monde.
Sammy Oussedik a rédigé de nombreuses
contributions, et participé à des
conférences et des émissions TV.
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