Madaniya
Iran – Nucléaire : Interview de René
Naba
au journal espagnol La Vanguardia
Mercredi 22 juillet 2015
Laurent Fabius se
rendra le 29 juillet 2015 à Téhéran pour
une prise de contact avec les dirigeants
iraniens, quinze jours après l'accord
international sur le nucléaire iranien.
En prévision de ce déplacement, l'Iran a
adressé deux messages codés au ministre
français des affaires étrangères, qui
s'était targué de faire preuve de
«fermeté constructive» lors des
négociations.
Le premier message
codé:
Téhéran a réservé son
premier accueil à l'Allemagne, rival
économique de la France et chef de file
de l'Union Européenne, en la personne du
vice chancelier allemand chargé de
l'économie, Segmar Gabriel;
Le second message
codé:
Téhéran a réservé son
second accueil à Staffan Di Mistura,
émissaire spécial de l'ONU pour la
Syrie, déjà en possession du document
adopté par le Congrès fondateur de
l'opposition démocratique syrienne, au
Caire (8-9 juin), en vue d'une
transition politique en Syrie.
Bon nombre
d'observateurs trépignent d'impatience à
l'idée de sa voir si Laurent Fabius
osera répéter sa bravade faite devant un
parterre de ses supplétifs du temps de
la splendeur de la diplomatie française
se croyant conquérante en Syrie, à
savoir «Jabhat An Nosra fait du bon
travail en Syrie».
Interview de René Naba au journal
espagnol La Vanguardia. Propos
recueillis par Rafael Poch De Féliu,
correspondant de La Vanguardia à Paris.
LV : Quel était l’intérêt
des États-Unis de parvenir à un accord
avec l’Iran ?
RN – 1er intérêt
avancé comme prétexte officiel :
Prévenir une prolifération nucléaire et
une course à l’armement atomique dans la
zone. L’argument ne tient pas la route
car les Occidentaux ont été les
principaux pollueurs atomiques de la
planète tant par l’usage directe de la
bombe atomique en zone de conflits au
Japon en 1945 (Hiroshima et Nagasaki)
que du fait de leur expérience atomique
à ciel ouvert du désert de Mexique à
Reggane en Algérie), que par leur aide à
l’équipement nucléaire d’Israël, de
l’Afrique du sud du temps de
l’Apartheid, de l’Inde et du Pakistan.
2ème intérêt qui constitue un «
véritable non dit de la stratégie
internationale » : Empêcher quiconque de
se doter de l’arme atomique hors la
caution occidentale et sans la
technologie occidentale, dont il devra
rester éternellement dépendant et donc
sous contrôle. Cette position est
constante depuis l’effondrement du bloc
soviétique.
L’Iran, hors de la sphère d’influence
occidentale, et surtout rival de
l’Arabie saoudite, le principal
partenaire arabe des États-Unis, en
accédant à la bombe atomique sans
l’accord des Occidentaux et leur
concours, aurait réduit à néant la
valeur dissuasive de la stratégie
occidentale.
3ème intérêt : L’accord sur le
nucléaire iranien revêt un double
avantage :
– Le fait que l’Iran ait accédé au rang
« de puissance du seuil nucléaire »
brise, au niveau du Monde musulman, le
monopole de l’arme atomique jusque là
détenu par les sunnites (Pakistan).
L’accord est valable dix ans. Au delà,
l’Iran pourrait servir de contrepoids
tant à Israël qu’au Pakistan happé par
la tentation talibane. L’accord ouvre le
jeu au niveau régional qui se ne réduit
plus à un binôme mais ouvre la
possibilité à d’autres combinaisons
d’alliance, ponctuelles, sur des
dossiers précis.
LV : Comment cet accord va
affecter la consolidation régionale et
mondiale de l’Iran ?
RN – Dans l’ordre
subliminal, tout en les noyant sous un
flot d’assurances, l’accord constitue un
coup de semonce indirect aux deux
trublions de la zone, Israël et l’Arabie
saoudite, et vise à réduire à néant leur
capacité de chantage.
Au delà des objectifs annoncés,
l’accord répond à deux objectifs :
- Premièrement, faire baisser en
intensité la capacité de nuisance
d’Israël et de l’Arabie saoudite, en
réduisant leur marge de manœuvre. Le
fait que les États-Unis soient
alliés des deux parmi les grands
États voyous (Rogue state) de la
zone, l’Arabie saoudite et Israël,
porte en lui les germes du
dépérissement du crédit moral de
l’Amérique et partant de son
leadership. Cette extraordinaire
tolérance de l’Amérique à l’égard de
ces deux pays la tirent vers le bas.
Un arrangement entre les États-Unis
et l’Iran, sur le modèle de la
réconciliation entre les États-Unis
et le Vietnam, constituerait un
moyen de pression indirect sur les
deux grandes théocraties que sont
l’Arabie saoudite et Israël pour les
amener à se conformer avantage aux
normes internationales.
- Deuxièmement, une phase de
pré-détente entre l’Iran et le Bloc
atlantiste pourrait favoriser une
convergence de fait dans le
traitement des points brûlants de
l’actualité régionale notamment le
combat contre le djihadisme
takfiriste (Da’ech), une éventuelle
stabilisation de la situation en
Syrie prélude à un règlement négocié
etc.
LV : Quel regard portez vous
les négociateurs iraniens ? Comment
jugez-vous la qualité de leur prestation
? D´ou cela provient-il ?
RN – L’équipe de
négociateurs iraniens a été formée dans
les universités américaines, notamment
Jawad Zarif, ministre des Affaires
étrangères, et surtout Ali Salehi,
diplômé en physique nucléaire de la
prestigieuse université américaine
Massachusetts Institute of Technology
(MIT), la plus importante université
scientifique au Monde.
Leur expertise est doublée d’une
ardente obligation de servir leur pays
et d’une farouche volonté
d’indépendance. L’équipe iranienne
constitue dans les faits, la négation du
comportement des zombies médiatiques
arabes qui sont succédé sur les écrans
de télévision à l’occasion du mal nommé
« printemps arabe » de Bourhane
Ghalioune, premier président de
l’opposition syrienne off shore, et sa
porte parole Basma Kodmani, qui
faisaient office de supplétifs syriens
de l’administration française dont ils
étaient les salariés… pour diriger la
révolution en Syrie… depuis la France.
LV : Pourquoi la France
a-t-elle une attitude si belliqueuse
envers la Syrie et l’Iran ?
RN – La France, dans
ses deux versions néo gaullistes et
socialistes, assume une fonction de
mercenaires auprès des pétromonarchies
soutenant inconditionnellement leurs
positions même les plus farfelues, même
les plus dangereuses pour la sécurité de
la France à long terme (Libye, Syrie).
De surcroît, co-belligérante de
l’Irak dans sa guerre contre l’Iran,
dans la décennie (1979-1989), un des
principaux pollueurs atomiques de la
planète, équipementier nucléaire du
régime d’apartheid d’Afrique du sud et
d’Israël, de même que l’Iran impériale
via le consortium Eurodif, la France
passe pour être la grande perdante de la
redistribution régionale, malgré les
propos soporifiques de son ministre des
affaires étrangères, Laurent Fabius.
L’Iran vient de lui adresser un
message limpide à l’effet de calmer ses
ardeurs, en recevant dimanche 19
juillet, le vice chancelier allemand
chargé des finances pour la première
visite d’une délégation occidentale en
Iran, depuis l’accord sur le nucléaire,
soit cinq jours après sa conclusion. Le
ministre allemand est accompagné d’une
importation délégation du patronat et de
scientifiques. Tout un programme qui se
passe de commentaires.
LV : Que connaît-on de
l’aide français à Jabhat an Nosra, la
franchise d’Al-Qaïda en Syrie, dénoncé
par certains députés de la droite a
Paris ?
RN – Laurent Fabius,
le plus capé des hiérarques de gauche, a
été le seul chef de diplomatie d’une
grande puissance occidentale, à avoir
donné un quitus favorable à Jabhat an
Nosra en Syrie.
« La phrase, célèbre, est passée à la
postérité : Jabhat An Nosra fait du bon
travail en Syrie ». Cela a pu être
interprété comme un feu vert au djihad
de la part de ses compatriotes français
et la France paie le prix de cette
légèreté.
La phrase pèse lourd et demeurera
longtemps présente dans la mémoire des
peuples, notamment en France parmi les
sympathisants de « Charlie hebdo » dont
il a commandité le massacre de son
équipe rédactionnelle. En France, comme
chacun sait, nous sommes « responsables
pas coupables ».
LV : Le 14 Juillet, François
Hollande a dit que l’accord avec l’Iran
est important « parce que si Téhéran
aurait l’accès à la bombe atomique
Israël (et la Arabie Saoudite) voudrait
aussi l’accès.» Le Président peut
ignorer la réalité qu’Israël dispose
d’un arsenal nucléaire depuis la
décennie 1960 avec la collaboration de
la France ?
RN – Visiblement
François Hollande n’a pas fini de cuver
le vin qu’il a bu en compagnie de
Benyamin Netanyahu dans la cuisine du
dirigeant le plus xénophobe de
l’histoire d’Israël.
En fait François Hollande a associé
Israël à l’Arabie Saoudite dans un
artifice de langage pour ne pas donner
l’impression de se faire exclusivement
l’interprète des craintes de l’Arabie
saoudite, l’incubateur absolu du
djihadisme planétaire et à ce titre
indéfendable auprès de larges segments
de l’opinion publique française.
L’enrober d’Israël, « l’unique
démocratie du Moyen Orient » et «
sentinelle du Monde libre face à la
barbarie arabo-musulman » permet, dans
son esprit, de faire mieux avaler la
couleuvre aux téléspectateurs.
À propos
Rafael Poch De Féliu, correspondant
de La Vanguardia à Paris, est titulaire
d’un double diplôme d’histoire
contemporaine de Barcelone et de Berlin
Ouest. Natif de Barcelone (1965), il a
été en poste successivement à Moscou
(1988-2002), Pékin (2002-2008) et Berlin
(2008-2014). Auparavant, il a été
correspondant tournant en Europe
centrale pour l’agence de presse
allemande DPA, avec Hambourg pour base.
La Vanguardia est un journal édité à
Barcelone, publié en deux éditions
parallèles : espagnol et catalan. Son
premier exemplaire est sorti le 1er
février 1881, ce qui en fait l’un des
plus vieux périodiques d’Espagne.
http://www.lavanguardia.com/pr/internacional/20150720/54433490666/rene-naba-francia-gran-perdedora-acuerdo-iran.html
Le texte complet de l’interview
en version espagnole : http://www.pressreader.com/spain/la-vanguardia/20150720/281672548631381/TextView
Reçu de René Naba pour publication
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