Journaliste
: Durant les dernières heures,
l’évacuation d’Alep a repris sous de
fortes neiges. L’ONU confirme que les
bus ont recommencé à circuler,
transportant les gens à l’extérieur de
la partie Est d’Alep. Les forces
gouvernementales syriennes sont à
l’arrêt, dans l’attente d’avancer vers
la dernière enclave rebelle, scellant
ainsi la plus grande victoire du
Président Assad à ce jour dans cette
guerre. Cela signifie-t-il qu’il est
temps pour le Royaume-Uni de
reconsidérer son soutien continu pour la
soi-disant « opposition armée modérée »
au Président Assad ? Doit-il
reconsidérer sa perspective selon
laquelle le Président Assad ne doit
jouer aucun rôle dans le futur de la
Syrie ? Peter Ford fut l’ambassadeur
britannique en Syrie de 2003 à 2006.
Peter Ford, pensez-vous qu’il est temps
de reconsidérer les choses ?
Peter Ford :
Absolument, il serait grand temps. Nous
nous sommes accrochés bien trop
longtemps à l’illusion selon laquelle la
soi-disant opposition modérée allait
vaincre Assad. C’est maintenant évident
avec la reconquête d’Alep par le
gouvernement, il faut cesser de nous
voiler la face et nous devrions regarder
la réalité telle qu’elle est : Assad
ne sera pas renversé par la force des
armes ni à la table des négociations. Le
Royaume-Uni doit à présent faire trois
choses. 1/ Nous devons cesser de
soutenir une opposition en déroute et
divisée. 2/ Nous devons commencer à
venir en aide au peuple syrien en levant
les sanctions. 3/ Nous devons travailler
avec les Russes sur un règlement
politique de la situation qui aurait dû
se produire il y a longtemps déjà.
Journaliste
: Mais comme nous le savons, pour
beaucoup de dirigeants occidentaux, le
règlement politique de la situation ne
laisse pas de place à Assad. Boris
Johnson, le Secrétaire d’Etat des
Affaires Etrangères, a déclaré au mois
de septembre dernier qu’il ne peut jouer
aucun rôle dans le futur gouvernement de
la nouvelle Syrie car tant qu’Assad sera
au pouvoir à Damas, il n’y aura pas de
Syrie à gouverner. Downing Street [le
cabinet du Premier Ministre] a déclaré
plus tôt ce mois-ci que la cruauté
barbare dont ont fait preuve les forces
du régime syrien démontrent que le
Président Bachar Assad (sic) n’a
aucune place dans le futur du pays.
Peter Ford :
Oui, mais c’est absurde. C’est vraiment
absurde. Assad contrôle maintenant plus
de 80% des zones habitées de Syrie. Il
n’y a aucune raison pour que dans les
mois à venir, lui et ses forces ne
reprennent pas les 10, 15 voire 20%
restants. Il sera alors le maître absolu
du pays. Bien sûr, il y aura toujours
des groupes mécontents de la situation.
Mais dans toute l’histoire écrite de
l’humanité, y a-t-il eu une seule guerre
civile d’une telle durée après laquelle
tout le monde ait été satisfait d’un
dirigeant ? Il n’y a pas de [Nelson]
Mandela syrien. Il n’y a aucun [autre]
dirigeant. Pouvez-vous me nommer ne
serait-ce qu’un chef de l’opposition qui
pourrait assumer le rôle d’Assad ? C’est
absurde. C’est grotesque. Boris Johnson
et Theresa May ont perdu contact avec la
réalité. Donald Trump va prendre la
relève, et s’il fait ce qu’il a annoncé,
il va normaliser les relations avec la
Russie, donner la priorité à la lutte
contre Daech en Syrie et cesser d’œuvrer
au renversement d’Assad. Quand
allons-nous nous réveiller ?
Journaliste
: Vous avez dit être très préoccupé par
le soutien du Royaume-Uni pour la
soi-disant opposition armée modérée, et
il y a effectivement aussi eu des
plaintes et allégations d’abus à leur
encontre. Néanmoins, si vous laissez le
Président Assad en place pour la
diplomatie future de la Syrie, cela ne
reviendrait-il pas à fermer les yeux sur
tout ce qu’il a fait jusqu’à présent ?
Comme l’usage d’armes chimiques contre
son propre pays ?
Peter Ford :
Ecoutez, ce soir, il y a un sapin de
Noël et des festivités au centre d’Alep.
Je pense que si Assad était renversé et
que l’opposition était au pouvoir, vous
ne verriez pas de sapin de Noël à Alep.
La diabolisation du régime a pris des
proportions grotesques. Même pour la fin
de ce conflit avec les bus
[d’évacuation] verts. Il n’y avait pas
de bus verts à Gaza. Il n’y avait pas de
bus verts lorsque l’OTAN bombardait la
Yougoslavie sans merci. Cette campagne
d’Alep est menée, dans ses dernières
étapes, avec une certaine humanité. Ce
n’est pas à la débâcle de l’humanité
qu’on assiste, contrairement à ce que
prétendent certains, mais à la débâcle
de la rationalité. Où se trouvent les
moindres preuves des prétendues
atrocités, de Guernica, des massacres,
du génocide, de l’Holocauste ?
Journaliste : Eh bien, je pense que
beaucoup de personnes ne seront pas
d’accord avec cela car elles ont vu des
personnes fuir Alep-Est, les allégations
selon lesquelles des gens ont été
attaqués, empêchés de quitter la
ville... Vous savez, il y aura ces
allégations et elles feront l’objet
d’une enquête. En attendant, il y a
certes des critiques contre les deux
côtés, oui, mais vous vous opposez
violemment à énormément de figures de
premier plan dans les gouvernements du
monde, selon lesquelles, et je
terminerai là-dessus, qu’il n’y a pas de
place pour le Président Assad dans la
Syrie de demain. Concluez sur votre
pensée, et nous allons terminer
l’interview dans quelques secondes.
Peter Ford : C’est vraiment être aux
antipodes de la réalité. Qui
mettraient-ils donc à la place d’Assad
? Persister à vouloir renverser le
régime en Syrie comme nous l’avons fait
ailleurs, en Irak, en Libye, ne mène
qu’à plus de souffrance chez les simples
citoyens.
Journaliste : Peter Ford,
ambassadeur britannique en Syrie dans
les années 2000, merci beaucoup.
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