Interview
Michael Parenti : « Toute victoire
démocratique ou éveil qui survient, même
infime, est un pas en avant »
Mohsen Abdelmoumen
Michael
Parenti. D.R.
Dimanche 26 avril 2015
Mohsen Abdelmoumen :
Après la lecture de votre ouvrage
percutant et très fort traitant de
l’impérialisme, « The Face of
Imperialism », on ressent la
nécessité de relire « L’impérialisme,
stade suprême du capitalisme » de
Lénine, parce que votre livre y apporte
une valeur ajoutée. Qu’en pensez-vous ?
Michael Parenti :
C’est généreux de votre part de
prétendre que mon travail ajoute de la
valeur à celui de Lénine. J’ai lu son
livre il ya quarante ans, je ne peux
donc pas prétendre en être influencé
directement. Mais nous pouvons
certainement dire que mon livre établit
quelques parallèles avec le sien, par
exemple: en essayant de montrer le lien
entre le capitalisme et l’impérialisme
colonial, le rôle clé joué par les
cartels, et comment les contradictions
imposantes du capitalisme entraînent des
impératifs brutaux.
Le capitalisme génère des
crises multiples et l’on voit des
guerres impérialistes partout dans le
monde, comment expliquez-vous qu’il n’y
ait pas un mouvement d’encadrement
révolutionnaire pour en finir avec le
grand capital ? A la place, on voit
surtout des mouvements réformateurs qui
veulent prolonger la durée de vie du
capitalisme. Quel est votre avis à ce
sujet ?
Les impérialistes bénéficient
d’immenses ressources au sein des
sociétés capitalistes et dans une grande
partie du monde, y compris le contrôle
des grands médias et le développement de
cadres avancés et d’instruments de
destruction, l’intimidation, la
manipulation, et le contrôle social.
Depuis le renversement de l’Union
soviétique et des autres pays
communistes, les mouvements
révolutionnaires ont peu de chance de
mobiliser des ressources suffisantes
pour une révolte fructueuse. Maintenant
que le capitalisme est en train de
devenir mondial, il n’y a pas de
mouvement de réforme qui tente de gagner
la classe ouvrière avec des promesses
d’une vie meilleure et la satisfaction
des consommateurs. Il y a de plus en
plus une organisation qui contrôle non
pas par un processus de réforme, mais à
travers un processus de duperie et de
répression. Donc, nous avons plus de
mensonges de Fox News Networks et
d’autres pôles, plus de manipulation de
l’ignorance des populations, et une
police plus militarisée et meurtrière.
Oui, en réponse nous avons besoin d’un
pouvoir plus révolutionnaire, mais en
plus nous avons besoin d’une
mobilisation de masse plus
révolutionnaire.
Peut-on parler d’une faillite
des élites progressistes en vue de créer
un changement ?
Les gens semblent être facilement
abusés et désorientés par les tromperies
et les manipulations des élites
capitalistes. Nous avons vraiment besoin
d’une organisation de parti qui puisse
rassembler des cadres politiquement
instruits qui puissent activer et
diriger la population et soulever leur
niveau de conscience politique. Nous
faisons face à une classe dirigeante
très intelligente qui sait distraire et
manipuler le peuple.
Concernant l’actualité en
Irak et de la montée de Daesh-IS, que
pensez-vous de la déclaration de Sean
Penn qui accuse ouvertement Dick
Cheney et George W. Bush d’avoir créé
L’Etat islamique ?
Non seulement les acteurs
d’Hollywood, mais de nombreuses
personnes politiquement conscientes ont
noté que Cheney et Bush ont commis
toutes sortes de crimes. Beaucoup
d’entre nous ont fait remarquer que les
moudjahidin, les Talibans, Al-Qaïda et
d’autres groupes terroristes ont reçu
des ressources et une aide de la part
des terroristes mondiaux américains. La
« guerre contre la terreur » est
largement fabriquée par les
impérialistes mondiaux pour effrayer la
population et pour l’encourager à
soutenir toute entreprise contre
n’importe quel mouvement politique ou
dirigeant qui ose prôner le nationalisme
économique, contre tous ceux qui osent
utiliser les terres, le travail, les
marchés et les ressources naturelles de
leur pays pour le développement et les
besoins de leurs populations, comme Hugo
Chavez au Venezuela et Kadhafi en Libye.
Les actes commis par les dirigeants
américains – escadrons de la mort,
assassinats, mercenaires, interventions
militaires musclées, « changements de
régime », prises de contrôle des médias,
élections truquées, et autres –
équivalent à des crimes de guerre.
L’État islamique n’est que le dernier
des terrorismes antirévolutionnaires que
les Etats-Unis ont propagé dans le monde
entier. Cheney et Bush ont lancé une
agression armée contre l’Irak à la face
d’un monde en proie aux manifestations
pour la paix, de Kyoto à Helsinki en
passant par San Francisco. L’agression
armée contre l’Irak était une violation
flagrante du droit international, un
crime pour lequel leurs auteurs n’ont
pas été traduits en justice.
Que pensez-vous de
l’hypocrisie des Occidentaux, avec à
leur tête l’impérialisme US et ses
alliés, qui prétendent combattre le
terrorisme alors que dans les faits,
celui-ci est un allié stratégique de
l’Arabie saoudite, génératrice du
terrorisme ?
Comme j’ai dit plus haut : tout en
prêchant la paix et en dénonçant le
terrorisme, les dirigeants américains
sont parmi les promoteurs les plus
astucieux d’actions terroristes et de
stratégies pour renforcer la réaction et
saper toutes les tentatives de réforme
sociale.
L’impérialisme est le même
alors que ses visages changent selon les
pays, allant de Daesh-IS en Irak aux
néo-nazis en Ukraine. Que pouvez-vous
nous dire sur cette ligne de front
impérialiste qui traverse la terre
d’Ukraine en Irak ?
Cela nous montre que les intérêts
capitalistes sont tout à fait prêts à
utiliser des intérêts fascistes et des
forces néo-nazies pour maintenir leur
pouvoir de classe, prêchant l’ultra
nationalisme et la gloire aux masses,
tout en rendant le monde plus sûr pour
les super riches. Les États-Unis mènent
une agression en Europe de l’Est à
travers le Moyen-Orient, pour le
pétrole, l’hégémonie, et
l’affaiblissement et le démembrement de
pays comme la Yougoslavie, la Libye,
l’Irak, la Syrie, et éventuellement la
Russie.
Je remarque que vos écrits
sont teintés d’une mélancolie qui me
fait penser au désespoir générateur
d’espoir de Gramsci. Pensez-vous que
nous sommes dans un désespoir qui peut
apporter des solutions, ou bien
sommes-nous dans un désespoir qui nous
mènera au chaos ?
J’essaie de ne pas désespérer. Je
considère toute victoire démocratique ou
éveil qui survient, même infime, comme
un pas en avant.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Biographie :
Né à New York en 1933, Michael
Parenti a obtenu son doctorat en
Sciences politiques à l’Université de
Yale. Il a enseigné dans plusieurs
collèges et universités aux États-Unis
et à l’étranger. Historien, politologue,
conférencier et critique des médias, il
a joué un rôle actif dans des luttes
politiques et dans divers mouvements
anti-guerre. Auteur primé et
intellectuel internationalement connu,
il a écrit de nombreux livres, traduits
dans plusieurs langues dont l’arabe, le
chinois, le français, l’allemand,
l’italien, le portugais, le russe,
l’espagnol, etc., et articles. Ses plus
récents ouvrages sont : Le visage de
l’impérialisme (The face of
Imperialism-2011) ; En
attendant Hier : Pages de la
vie d’un gamin de la rue (Waiting
for Yesterday : Pages from a Street
Kid’s Life-2013) ; Tuer une
nation : l’attaque sur la Yougoslavie
(To kill a Nation : The Attack on
Yugoslavia-2014) ; Pathologie
du profit et autres indécences (Profit
Pathology and Other indecencies-2015).
Pour plus d’informations, voir son site
personnel :www.michaelparenti.org.
Published in French in Oximity,
April 26, 2015:https://www.oximity.com/article/Michael-Parenti-Toute-victoire-d%C3%A9-1
in Whatsupic:http://fr.whatsupic.com/sp%C3%A9ciale-monde/1430061179.html
Reçu de l'auteur pour
publication
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