Algérie
patriotique
Malik Aït Aoudia à Algeriepatriotique :
« Le livre de Dubois et Tabet suinte le
paternalisme colonialiste »
Malik Aït
Aoudia D.R.
Mardi 28 avril 2015
Algeriepatriotique :
Vous êtes intervenu sur les réseaux
sociaux Twitter et Facebook par une
vingtaine de publications assez féroces
sur le livre Paris-Alger : une
histoire passionnelle de
Marie-Christine Tabet et Christophe
Dubois. Pourquoi ce coup de gueule ?
Malik Aït Aoudia : Je trouve au
contraire que c’est Marie-Christine
Tabet et Christophe Dubois qui ont été
féroces avec les faits et la rigueur
journalistique. Je n’ai fait que relever
des erreurs grossières et ridicules que
n’importe qui aurait pu relever en
s’infligeant la corvée de lire le livre
jusqu’au bout. Situer par exemple la
bataille d’Alger en 1954 est presque
comique. Quand on fait autant de fautes
factuelles sur des dates d’élections ou
des grades d’officier, il est difficile
d’être crédible. N’étant pas porté sur
les «selfies», je préfère intervenir sur
les réseaux sociaux pour partager des
opinions, c’est pourquoi j’ai rendu
publiques mes remarques sur Twitter et
Facebook parce que j’ai l’habitude d’y
intervenir comme d’autres interviennent
pour critiquer des ouvrages, des
reportages, des articles ou des films.
Sur plusieurs sujets, je me suis épargné
la lecture de livres farfelus grâce aux
interventions pertinentes de
spécialistes.
Nous avons aussi constaté en le
lisant que le livre était truffé
d’informations erronées et de fausses
analyses, comme s’il avait été commandé
dans l’urgence…
Que le livre ait ou non été commandé
dans l’urgence n’est pas à mon avis très
important. Ce qui est plus inquiétant,
c’est qu’une maison d’édition sérieuse
ait associé son nom à une imposture
journalistique, comme si la rigueur et
l’exigence n’avaient plus de sens. En le
lisant, je me suis souvent demandé si un
livre aussi médiocre aurait pu être
publié sur les relations
franco-américaines avec autant d’erreurs
factuelles. Je pense que non. Ce n’est
pas parce qu’on écrit sur l’Algérie
qu’on peut écrire n’importe quoi, c’est
aussi pour cela que j’ai partagé mes
remarques sur les réseaux sociaux.
Dans vos tweets, vous n’avez pas
parlé du fond du livre et des
révélations annoncées par les auteurs…
C’est un livre qu’il faudrait écrire
pour relever toutes les aberrations.
Quand on voit la désinvolture avec
laquelle les auteurs l’ont écrit, il est
difficile d’accorder du crédit à ce
qu’ils prétendent être une enquête.
Maintenant, sur le fond, c’est un vrai
sentiment de malaise qui se dégage ;
Paris-Alger : une histoire passionnelle
suinte par tous les pores le
paternalisme colonialiste. Ecrire dès
l’introduction une monstruosité comme
«le dernier tabou des relations entre la
France et l’Algérie, ce n’est pas la
guerre, mais bien les cent trente ans de
colonisation qui l’ont précédée, dont
les aspects positifs ne sont pas à
démontrer» résume bien le parti pris de
Marie-Christine Tabet et Christophe
Dubois. Quand on sait ce que
l’entreprise coloniale a été en Algérie,
les millions de vies qu’elle a coûtées,
les souffrances qu’elle a engendrées,
lire en 2015 de telles insanités faisant
l’apologie d’un système totalitaire m’a
juste donné envie de vomir.
Les auteurs du livre vous ont
cité comme étant «proche des généraux»…
Le livre est par bien des aspects
obsessionnel, Marie-Christine Tabet et
Christophe Dubois ont même réussi à
transformer le colonel Boumediene en
général, alors que le grade n’existait
pas encore dans l’ANP, et vu des
généraux en 1979 derrière la
non-nomination de Bouteflika à la tête
de l’Etat. Ils voient des généraux
partout. Dans Le malade imaginaire,
Molière se moque des médecins charlatans
qui prescrivent des saignées pour
n’importe quoi. Il faut s’habituer à ce
que dans la profession journalistique,
il y ait aussi des charlatans qui
pensent pouvoir tout expliquer en
Algérie en parlant des généraux. Mais
comme ils n’ont pas le talent de
Molière, ils ne font rire personne.
On a le sentiment que les
auteurs du livre ont une dent contre
vous…
Je ne les connais pas et je ne les ai
jamais rencontrés. Il n’a échappé à
personne que les calomnies me concernant
sont placées dans un chapitre sur les
moines de Tibhirine et il n’est pas
difficile de comprendre pourquoi. Depuis
la diffusion, en mai 2003, sur France 3,
du documentaire Le martyre des sept
moines de Tibhirine que j’ai réalisé
avec Séverine Labat, aucun fait ou
témoignage de notre enquête n’a été
contesté. Comme ils sont bien en peine
de dire quoi que ce soit de sérieux sur
notre travail, ils préfèrent s’en
prendre à nos personnes et à notre
probité. Tout le monde connaît le
proverbe chinois : «Quand le sage montre
la lune, l’imbécile regarde le doigt»,
eh bien, avec Paris-Alger : une
histoire passionnelle, je découvre
que quand le sage montre la lune, des
imbéciles insultent le sage et son doigt
!
Le livre dit aussi que vous
seriez avec Séverine Labat en «mission
commandée pour le pouvoir algérien»…
Je dois voir prochainement Séverine
Labat pour décider si nous ignorons ces
vomissures ou si nous poursuivons
Jean-Baptiste Rivoire, Marie-Christine
Tabet et Christophe Dubois pour
diffamation. Comme les mots ont un sens,
il leur faudra expliquer quelles
missions, commandées par qui et pour
quelles rémunérations. Je me demande ce
qu’ils vont pouvoir encore inventer pour
convaincre le tribunal.
Malgré les preuves irréfutables
qui démontent la thèse du «qui tue qui»
dans l’affaire des moines de Tibhirine,
certains journalistes français n’en
démordent pas. Qu’est-ce qui les fait
courir ?
C’est à eux qu’il faut poser la
question, je ne m’intéresse pas à leur
personne. En revanche,
professionnellement, je m’intéresse à ce
qu’ils racontent et cela ne vole pas
très haut. Tout ce qui a été produit par
les révisionnistes concernant la
tragédie de Tibhirine ne résiste pas à
un examen sérieux. Nous avons déjà eu
l’occasion de nous exprimer là-dessus
avec Séverine Labat sur votre site (voir
lien). La publication du livre
Paris-Alger : une histoire passionnelle
montre que le vrai problème est que
l’exigence journalistique est en chute
libre et comme on peut dire n’importe
quoi sur l’Algérie, les délirantes
thèses complotistes ont encore de beaux
jours devant elles.
Interview réalisée par Mohamed
El-Ghazi
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