Entretien
Syrie / Opposition : Interview d’Haytham
Manna
René Naba
Lundi 23 mars 2015
Propos
recueillis par Mahmoud Ali –
Adaptation en version française René
Naba, responsable éditorial du site
www.madaniya.info
-
Les pertes de la Syrie du fait du
conflit sont estimées à 350
milliards de dollars, une somme qui
excède les capacités de l’Allemagne
et du Royaume Uni.
-
Plus de la moitié des participants
au Congrès de l’opposition
démocratique du Caire déclineront
l’invitation si les Frères Musulmans
de Syrie y étaient conviés
-
La nouvelle approche diplomatique de
l’ONU vis à vis de l’opposition
démocratique syrienne est
qualitativement différente des
précédentes
-
Al Qaida n’a jamais tiré un coup de
feu contre Israël
-
« La destruction programmée du pays,
l’attaque menée sans discernement
contre l’institution militaire de la
part des groupement extrémistes
servent les intérêts d’Israël.
-
« Le projet de détruire les armées
arabes d’Irak, de Syrie, d’Égypte et
de Libye est un projet israélien par
excellence ».
Interview de Haytham Manna au « Journal d’Égypte »
et à la publication arabophone « Al
Badil »
La rencontre Haytham Manna–Staffan Di Mistura à
Genève, le 2 mars 2015, a constitué de
l’avis de nombreux observateurs, un
tournant diplomatique majeur du conflit
syrien et un camouflet à l’opposition
syrienne off shore, à la solde de la
France, du Qatar et de la Turquie.
Président de l’Institut Scandinave des Droits de
l’Homme (SIHR), Haytham Manna,
responsable pour la diaspora syrienne du
Comité de Coordination nationale pour le
changement démocratique (CCNCD,
opposition syrienne non armée), tire
pour l’opinion publique arabe et
internationale la signification de
cette rencontre et ses enseignements, à
deux semaines de la date prévue de la
grande conférence de l’opposition
démocratique syrienne au Caire, à la mi
avril.
Haytham Manna : « Nous sommes devant
une nouvelle orientation, sérieuse cette
fois, pour sortir de la crise dans
laquelle se débat la Syrie depuis quatre
ans. A coup sûr, la nouvelle démarche
est qualitativement différente de celle
de la réunion au Caire tenue en 2012,
sous l’égide la Ligue arabe.
En Août 2013, j’avais dit à Robert Ford,
l’émissaire américain auprès de
l’opposition off shore, que nous avions
besoin d’une conférence dotée de
plénitude de décision et de
souveraineté, d’où seraient bannis les
khawajat (notables en costumes trois
pièces), privés de leurs mobiles (pour
couper la voie à d’instructions
téléphonées), privés de dollars (qui
lubrifieraient leurs votes).
Robert Ford m’avait alors répondu : « Les Khawajat
sont présents car l’opposition syrienne
n’est pas en mesure de régler ses
problèmes par elle même. J’ai alors
répliqué : « L’opposition que vous avez
intronisée n’est pas en mesure
d’atteindre cet objectif ».
Le collectif des forces politiques et de
personnalités patriotiques syriennes»
constitué au Caire est «
indépendant de tout financement. De
toute instrumentalisation ». Réuni au
Caire du 22 au 24 janvier, à
l’invitation du « Conseil Égyptien des
Affaires Étrangères » le collectif a
dégagé une feuille de route reflétant le
plus largement possible les vues de
l’opposition en vue d’unifier les
efforts visant à réactiver la solution
politique, conformément au « Communiqué
de Genève » et les résolutions des
Nations unies y afférentes.
L’envoyé spécial de l’ONU en Syrie, M. Staffan Di
Mistura a procédé le 3 mars 2015 à un
échange de vues avec Haytham Manna sur
les préparatifs en cours en vue de la
tenue d’un congrès de l’opposition
démocratique syrienne à la mi avril. M.
Manna s’est exprimé en sa qualité du
président du comité du suivi chargé de
préparer la tenue de ce congrès.
« Indépendant de tout financement, de toute
instrumentalisation, il est à ce titre
différent qualitativement des
précédentes démarches.
Mohamad Ali : Cette démarche ne
participe-elle pas, ainsi que cela a été
le cas depuis le début du conflit
syrien, d’une opération de diversion en
faveur d’Israël en ce que nous
considérons que la Syrie relève du
groupe des pays du champ de bataille,
engagée dans une crise visant à la
détourner du Golan et aux efforts visant
à sa restitution ?
Al Qaida
Haytham Manna : Il s’agit d’une
analyse superficielle. Nous ne saurons
oublier qu’Al Qaida, dont le fondateur
est mort sans que son mouvement ne se
distingue par la moindre opération
contre Israël. Nous ne saurons oublier
que d’autres unités combattantes se sont
impliquées dans le jeu israélien. Nous
ne saurons oublier le combat de notre
peuple pour sa dignité, sa liberté et sa
libération. Ceux qui se sont livrés à
des manifestations de protestation et
des marches pacifiques ont une claire
position vis à vis de l’entité
israélienne, spoliateur des terres
arabes syriennes. Ce sont leurs familles
qui avaient offert l’hospitalité à leur
domicile aux victimes des agressions de
2006.
Beaucoup de dissidents de l’armée syrienne qui ont
déserté l’armée pour ne pas tirer contre
leurs familles portent des distinctions
honorifiques pour bravoure durant la
guerre d’Octobre 1973.
La destruction programmée du pays, l’attaque menée
sans discernement contre l’institution
militaire de la part des groupement
extrémistes servent les intérêts
d’Israël. Le projet de détruire les
armées arabes d’Irak, de Syrie, d’Égypte
et de Libye est un projet israélien par
excellence. Les groupes extrémistes
mènent cette mission par procuration.
Certes, il est évident que la dictature
ne saurait libérer le pays en ce qu’elle
a refusé de traiter l’homme en tant que
citoyen».
QAMH
Mahmoud Ali : QAMH : Un
nouveau parti politique d’opposition ?
Haytham Manna : « QAMH n’est pas un
projet visant à constituer une nouvelle
formation d’opposition. Il répond à un
triple objectif :
- Primo : Un projet de sensibilisation culturel et
civilisationnel ; une riposte au niveau
intellectuel consécutif à la défaite des
idéologies et à la forte attractivité
exercée par la sauvagerie dans les rangs
de la jeunesse. Au vu du comportement de
Da’ech, de Jabhat An Nosra et de leurs
semblables, nous avons besoin de
répliquer par la civilisation, la
méditation, la réflexion en période de
takfirisme, (d’apostasie à tout va),
d’innover en période de ténèbres, de
repli sur soi et de suivisme. … D’entrer
dans l’histoire et de plain pied dans
l’époque moderne. Les obscurantistes
poussent les gens vers les marécages du
Moyen Age.
- Deuxio : Un projet de résistance civile relevant
du grand mouvement civique par ses
attaches sur le plan régional et
international. A notre grand regret, les
termes « mouvement civique » et «
société civile » ont été galvaudés et
déformés par les enfantillages de
l’extrémisme confessionnel. Il nous
importe de restaurer son crédit au terme
« résistance civile », de même qu’autres
modes d’expression qui protègent la
société.
- Tertio : Un projet de portée politique. Un de ses
objectifs directs, dans un pays baignant
dans une sale guerre, est la recherche
d’une solution politique. Un règlement
politique s’impose plus que jamais par
l’arrêt de la violence destructrice.
QAMH considère que la proclamation du
Caire constitue une base solide en
mesure de servir de tremplin à un
règlement politique dans le cadre de la
proclamation de Genève.
En prévision de la tenue du congrès de l’opposition
démocratique du Caire, à la mi-avril,
des opposants syriens ont annoncé la
formation d’un nouveau courant politique
« QAMH », qui signifie blé en arabe mais
qui constitue, en fait, l’acronyme de
valeurs professées par cette nouvelle
formation politique : Qyam (Valeurs),
Mouwatana (con citoyenneté) et Houqouq
(Droits).
Ce mouvement civil pacifique s’engage ainsi dans
l’arène, d’une manière unifiée, par
fidélité à la mémoire de ceux qui ont
sacrifié leur vie pour l’édification
d’un état démocratique et civil… en vue
de, mener le combat pour l’édification
d’un pays libre qui assume la pleine
protection de ses citoyens, défendre les
valeurs humaine ; approfondir une
meilleure connaissance des cultures tant
arabes que musulmanes qu’universelles,
ancrer la légalité internationale des
droits de l’homme dans les cœurs et les
esprits, jeter un pont à tous les hommes
libres d’Orient et de l’Occident en vue
d’édifier une humanité plus juste, une
société civile démocratique, créer enfin
un réseau de relations internationales
dégagé de toute emprise, domination ou
exploitation.
L’option militaire
Mahmoud Ali : Quid de l’option
militaire ?
Haytham Manna : Au sens sociologique
et culturel, la violence n’assume plus
aucun rôle positif en Syrie, tant la
violence du pouvoir que la violence des
porteurs d’armes en provenance de
l’étranger. La population a été bercée
d’illusions. Plus d’un opposant m’a
pressé à faire mes valises et à me
préparer à retourner au pays, dans un
délai d’un mois.
Mettons sur le même plan, les trois légendes qui
ont alimenté la guerre de Syrie : la
légende de l’équilibre des forces, la
légende du gain de temps en vue de
modifier les rapports de force et la
légende de la victoire militaire.
La Syrie a perdu 350 milliards de dollars du fait
du conflit ; une somme qui excède les
capacités de l’Allemagne et du Royaume
Uni. L’unique solution est politique
avec une caution internationale, une
garantie et des obligations régionales
et internationales.
L’abdication préalable de Bachar Al Assad
Mahmoud Ali : Dans le passé,
l’abdication de Bachar Al-Assad était
posée comme la condition absolue à la
recherche d’un règlement. Ce sujet ne
parait plus à l’ordre du jour.
L’opposition a-t-elle renoncé à cette
condition préalable ?
Haytham Manna : Cessons de mentir.
L’opposition off shore s’est rendue à
Genève 2 et a négocié avec une
délégation de Bachar Al Assad. Elle n’a
donc pas posé comme préalable le départ
de Bachar Al-Assad. Ils espèrent que le
Congrès de l’opposition au Caire fasse
de la surenchère sur ce sujet.
L’Égypte
Mahmoud Ali : Votre analyse du rôle
de l’Egypte dans le nouveau cours
politique syrien. Quelle est l »attitude
du Caire vis à vis de l’opposition
syrienne, particulièrement le fait que
certains fractions soient liées à la
confrérie des Frères Musulmans.
Haytham Manna : J’ai attiré
l’attention d’un ministre des Affaires
étrangères d’un pays membre permanent du
Conseil de sécurité de l’ONU sur le fait
que les Affaires étrangères égyptiennes
constitue une institution en soi. A
l’image d’une hôtesse de l’Air de la
compagnie aérienne égyptienne Egypt Air
qui assure les prestations à chaque vol,
de manière immuable. Une permanence
malgré le changement de cinq présidents.
Les empreintes de la diplomatie
égyptienne étaient bien visibles avant
et après la révolution. Les Frères
Musulmans ont tenté de la domestiquer.
En vain. Nous sommes satisfaits de nos
relations avec les Affaires étrangères
d’Égypte. De bonnes intentions reposant
sur le respect mutuel avec nos frères
d’Égypte. Il est admirable de constater
que nous invitons les responsables
égyptiens à déjeuner et qu’ils nous
rendent la pareille, par la même voie.
Pas de réseau. Pas de gratifications.
Pas d’affiliés à des intermédiaires.
Les Frères Musulmans de Syrie
Le problème des Frères Musulmans par rapport aux
démocrates syriens ne concerne pas
l’Égypte. Les FM de Syrie ont été les
avocats de la confessionnalisation du
conflit et de Jabhat an Nosra, des
partisans de la militarisation du
conflit et de l’armement des
contestataires. Ils nous ont accusé
d’être des agents stipendiés car nous
avons refusé de nous transformer en
mercenaires, en refusant le suivisme et
l’ingérence étrangère.
Plus de la moitié des participants au Congrès de
l’opposition syrienne au Caire, à la mi
avril 2015, déclineront l’invitation si
les FM de Syrie y étaient conviés. Le
sujet est complexe au plus haut degré.
Notre expérience avec les FM de Syrie
est amère.
La mission de l’envoyé spécial de l’ONU à Alep
Mahmoud Ali : Que pensez vous de la
mission à Alep (Nord de la Syrie) de
Staffan di Mistura, émissaire de l’ONU
en Syrie ?
Haytham Manna : J’ai évoqué avec
Staffan Di Mistura (Italie) un scénario
national qui mettent un lien entre la
situation au niveau des provinces
syriennes, la situation sur le terrain
dans la perspective de la proclamation
de Genève. Nous observerons le degré de
réceptivité à nous vues et aviserons en
conséquence.
La Russie: La conférence de Moscou, « un grand
échec »
Mahmoud Ali :
Une fraction de
l’opposition syrienne et le régime
syrien ont participé à une conférence à
Moscou, en Février 2015. À ce jour,
aucun indice positif n’est apparu. De
quelle chance de succès créditez vous le
rôle de l’intermédiaire russe ?
Haytham Manna : La conférence de
Moscou, telle qu’elle s’est déroulée, a
constitué un grand échec. Il est
nécessaire d’en modifier l’optique,
l’approche, son orientation, définir sa
mission et son cours. L’initiative a
crée une dynamique nouvelle qui n’a pas
été mise à profit, en tut vas pas comme
cela était souhaité. Nus souhaitons
qu’ils tirent profit des leçons de cette
expérience.
L’Iran : Un partage des rôles : le nucléaire aux
Affaires étrangères et les affaires
régionales aux Gardiens de la révolution
Mahmoud Ali : Le rôle de l’Iran
s’étend sur plusieurs fronts (Yémen,
Irak, Liban Syrie). Quel est le rôle de
l’Iran dans le conflit syrien ?
Haytham Manna : Sur le plan
stratégique, la notion de vacuité
n’existe pas. L’expansion de la Turquie
et de l’Iran a pour origine l’absence
d’une force arabe en mesure de sécuriser
l’espace national arabe.
Avant Qousseir, nous nous sommes prononcés contre
toute présence d’une force combattante
non syrienne, à quelque pays qu’elle
appartienne, d’où qu’elle vienne. À
notre regret, l’opposition n’a pas
partagé notre vue sur ce sujet.
Finalement, la communauté internationale
a souscrit à notre position dans deux
résolutions du Conseil de Sécurité de
l’ONU, considérant que toute présence
non syrienne constitue un facteur
d’escalade militaire du conflit et un
facteur de sa confessionnalisation. En
aucun cas, un facteur contribuant à
l’édification d’un état syrien moderne
et souverain.
(NDLR : Qousseir, ville de l’ouest de la Syrie,
conquise en 2012 par la Brigade Omar al-Farouq,
de l’Armée syrienne libre, soutenue par
le Fatah Al Islam. En mai 2013, la ville
est assiégée par l’armée arabe syrienne,
soutenue par le Hezbollah. Le 5 juin
2013, les médias officiels annoncent la
défaite des rebelles et le contrôle de
la ville par l’armée arabe syrienne).
Depuis l’arrivée du président Hassan Rouhani au
pouvoir, un partage des rôles s’est
opéré à Téhéran : le nucléaire aux
affaires étrangères et les affaires
régionales aux Gardiens de la
révolution. Face à une telle
conjoncture, il est difficile de prévoir
un reflux de la violence et de
l’ingérence.
L’Arabie saoudite et le Golfe pétromonarchique :
une absence de rationalité
Mahmoud Ali : quelle était votre
vision du rôle de l’Arabie Saoudite et
des pétromonarchies du golfe ?
Haytham Manna : La rationalité a été
absente du Conseil de Coopération du
Golfe (le syndicat des six
pétromonarchies – Arabie saoudite,
Bahreïn, Émirats Arabes Unis, Koweït,
Qatar, Sultanat d’Oman). Le Qatar
continue de jouer sa partition. La
position des pétromonarchies a varié
plus d’une fois au cours des quatre ans
du conflit. Nous ne cachons pas notre
joie devant la fin de la séquence
bandarienne, par référence à Bandar Ben
Sultan, ancien chef des services de
renseignements saoudiens. Nous
avons enregistré avec satisfaction la
position de l’Arabie et d’autres
pétromonarchies sur la nécessite de la
solidarité arabe, la fraternité, la
nécessité de protéger la sécurité
nationale arabe et de passer à une
solution politique en Syrie, mettant un
terme à la violence, la dictature et au
terrorisme.
Illustration
afp.com / Mohamed el-Shahed
Reçu de
René Naba pour publication
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