Algérie Résistance
Eric Draitser : « L’Algérie demeure
résolue
à lutter contre le terrorisme »
Mohsen Abdelmoumen
Eric
Draitser. DR.
Jeudi 16 juillet 2015
English version here:https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2015/07/16/eric-draitser-algeria-remains-resolved-to-fight-terrorism/
Mohsen Abdelmoumen :
Vous avez étudié le cas du chaos libyen,
comment envisagez-vous la sortie de
crise dans ce pays ?
Eric Draitser :
Malheureusement il n’y a aucune solution
réelle au chaos en Libye dans un proche
avenir. La guerre terroriste menée par
l’OTAN à ce pays a efficacement détruit
toutes les institutions politiques,
économiques et sociales, de telle façon
que tout gouvernement futur devrait
utiliser un temps et des ressources
énormes pour reconstruire le pays à
partir de zéro. Étant donné que le
soi-disant « gouvernement » en Libye est
plus un symbole politique qu’une
direction efficace de l’État, il est peu
probable qu’il puisse y avoir une
stratégie cohérente concertée pour
reconstruire le pays et de ses
institutions.
La chose importante à retenir est que
la Libye, pays composé de groupes
disparates qui avaient été unis sous le
gouvernement arabe libyen de la
Jamahiriya mené par le Colonel Kadhafi,
n’est plus un État cohésif au niveau des
intentions et des buts. À présent, c’est
plutôt une collection informelle de
tribus, de gangs armés, de réseaux
terroristes et de groupes criminels qui
contrôlent des petites poches de
territoire et qui représentent un
pouvoir local. L’OTAN et ses mercenaires
terroristes ont détruit le pays et l’ont
transformé en un État défaillant qui est
tout à fait incapable de rétablir une
entité politique qui fonctionne.
Tout espoir d’une solution d’avenir
pour la Libye reposerait sur le reliquat
éventuel de loyalistes de Kadhafi
combinés avec des groupes tribaux et
ethniques locaux centrés dans le Sud,
pour raviver la résistance et lutter
efficacement afin de rendre à la Libye
quelque chose qui ressemble à ce qu’elle
était avant-guerre. Mais
malheureusement, c’est tout simplement
impossible étant donné les conditions
actuelles.
Hillary Clinton est candidate
à l’élection présidentielle américaine
malgré la perte de son ambassadeur quand
elle était secrétaire d’Etat. La mort de
Christopher Stevens à Benghazi
n’est-elle pas un obstacle à la
candidature de Clinton?
Une des choses les plus importantes à
retenir au sujet des Américains en
général et de la politique américaine en
particulier, c’est que les gens ont la
mémoire très courte. Malgré le fait que
le scandale de Benghazi ait été assez
dommageable pour Clinton parce que le
parti républicain et ses porte-parole
médiatiques ont maintenu le sujet dans
les manchettes de journaux, cela n’a pas
vraiment endommagé sa position au sein
de son propre parti. C’est en partie dû
à l’effet pernicieux des médias privés,
et d’autre part, tout simplement parce
que les Américains en général ne se
soucient pas de ce qui se passe dans
d’autres pays à moins que cela ne les
affecte directement. Par exemple, seule
une fraction infime des Américains a une
compréhension claire de ce que faisait
la CIA à Benghazi concernant le trafic
d’armes et le recrutement de terroristes
pour la guerre en Syrie, sur le rôle de
Belhadj et la présence d’ISIS dans le
pays. Pour la grande majorité des
Américains, ils ne se souviennent
probablement même pas qu’il y ait eu une
guerre contre la Libye menée par Obama
et ses homologues européens.
En fin de compte, Clinton sera en
mesure d’exécuter sa campagne sans
crainte que Benghazi lui porte trop
préjudice. Il n’y a aucune remise en
cause réelle des politiques américaines
dans nos prétendues élections,
particulièrement la politique étrangère.
Au lieu de cela, il y a juste un débat
tactique. Le bellicisme impérialiste est
au-delà de tout reproche et à cet égard,
Clinton est très habile.
La Libye aujourd’hui
serait-elle devenue un nouveau
sanctuaire terroriste qui menace les
pays du Maghreb et du Sahel, avant
d’attaquer l’Europe?
Oui, elle est devenue absolument un
sanctuaire terroriste et ceci n’est pas
un accident. Il faut rappeler que les
États-Unis ont recruté et lâché des
groupes terroristes d’Al-Qaïda bien
formés et bien financés, comme le Groupe
combattant islamique libyen (GICL), pour
faire la guerre contre Kadhafi et le
gouvernement libyen, détruire l’État et
établir leur contrôle du pays.
Abdelhakim Belhadj, chef du GICL, est
même devenu le commandant militaire de
Tripoli jusqu’à ce qu’il ait été appelé
à « rejoindre le processus politique ».
Maintenant, il est considéré comme le
chef de file d’ISIS en Libye. Donc, un
atout US depuis des années se déchaîne
sur la Libye, puis devient magiquement
la tête d’ISIS, tout cela en quatre ans?
C’est au-delà de la coïncidence, au-delà
du simple hasard.
En outre, les États-Unis savaient
parfaitement que dans le cas d’un
scénario de changement de régime, les
stocks d’armes libyennes inonderaient la
région et tomberaient dans les mains de
nombreuses factions, des rebelles
touaregs au Mali jusqu’au soi-disant
Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et
les réseaux criminels et ou terroristes
associés à Mokhtar Belmokhtar. Les
impérialistes avaient parfaitement
compris qu’un changement de régime en
Libye engendrerait une déstabilisation
de toute la région du Sahel / Maghreb,
et ils étaient très heureux d’un tel
résultat. Ceci est ce que j’appelle la
stratégie du « Chaos géré », et il a
bien fonctionné.
Comment analysez-vous la
situation actuelle en Syrie et en Irak
avec le retour en force de Daesh ?
La situation actuelle est très
complexe. La résurgence d’ISIS
(Daesh) en Syrie et en Irak a été
favorisée par le renouvellement de la
campagne internationale contre la Syrie.
La Turquie a intensifié son soutien à
des groupes terroristes le long de la
frontière turco-syrienne, tandis qu’Al
Nusra s’est retranché dans les montagnes
de Qalamoun, à Zabadani et ailleurs,
affrontant à la fois l’Armée arabe
syrienne et le Hezbollah. Il y a eu
également le renouvellement du soutien
des Saoudiens, de la Jordanie, d’Israël
et d’autres qui a permis aux terroristes
en Syrie de reprendre l’initiative. Mais
heureusement, ils ont été repoussés et,
dans certains cas, mis en déroute par
les forces syriennes et le Hezbollah.
Depuis, la situation reste plus ou moins
stable avec le gouvernement syrien qui a
résisté à l’assaut d’ISIS et d’Al Nusra
et qui livre désormais ses propres
contre-attaques.
Il y a eu des rapports, et j’ai écrit
à ce sujet, que d’autres acteurs
régionaux, plus particulièrement l’Iran,
ont été directement impliqués
militairement dans la défense de la
Syrie contre la Turquie et ses
mercenaires terroristes. Ceci est
l’élément-clé de l’histoire en Syrie, à
savoir si les éléments étrangers qui
soutiennent les terroristes vont reculer
face à la défense continue, ou s’ils
vont choisir l’escalade. Seul le temps
nous le dira.
Concernant l’Irak, la situation est à
certains égards plus complexe. Les
États-Unis continuent à jouer un rôle
majeur dans la déstabilisation du pays
en favorisant d’armer les factions
sunnites et kurdes en dehors de
l’autorité de Bagdad. Cela provoque une
nouvelle division sectaire dans le pays,
ce qui est précisément ce que les
États-Unis souhaiteraient voir. C’est la
partition de facto du pays qui fait
partie d’une stratégie américaine plus
large centrée sur l’idée de vérifier
l’influence iranienne en affaiblissant
les chiites et en les positionnant
contre les éléments sunnites et kurdes.
L’Arabie saoudite qui arme et
finance le terrorisme international a
placé l’Algérie sur la liste noire des
pays qui supportent le terrorisme.
Pourtant, l’armée algérienne a récemment
abattu un groupe terroriste très
dangereux et combat le terrorisme depuis
des années, l’État algérien ayant plaidé
pour criminaliser le payement des
rançons. Qu’en pensez-vous ?
L’État algérien subit l’assaut d’Al
Qaïda et d’autres groupes terroristes
depuis longtemps. Bien entendu, seule
l’attaque terroriste d’In Amenas est
retenue par beaucoup, mais en fait la
guerre contre le terrorisme en Algérie
remonte à plus de vingt ans. À ce titre,
le gouvernement de l’Algérie doit
comprendre clairement la menace sérieuse
que l’Arabie saoudite représente, car
les Saoudiens sont les principaux
bailleurs de fonds et les patrons des
groupes terroristes, y compris AQMI et
beaucoup d’autres. La nature robuste des
structures militaires et policières
algériennes ont permis au pays de rester
ferme face à la guerre permanente du
terrorisme. Peut-être est-ce l’héritage
de la lutte révolutionnaire héroïque
contre le colonialisme et l’impérialisme
menée par le peuple algérien qui leur
donne une telle résolution face à une
campagne de terreur prolongée. Peut-être
est-ce la fierté nationaliste qui a
conduit à une telle auto-défense
vigoureuse. Peu importe la raison,
l’Algérie demeure résolue à lutter
contre le terrorisme quels qu’en soient
les coûts, c’est précisément la raison
pour laquelle elle est diabolisée par
les Saoudiens.
Vous êtes un activiste
anti-impérialiste américain, peut-on
savoir quel est l’impact des actions
anti-impérialistes aux États-Unis ?
Je souhaiterais pouvoir répondre
positivement à cette question, mais je
ne le peux tout simplement pas. La
triste vérité est que très peu de gens
aux États-Unis ont ne fut-ce qu’une
compréhension de base de ce que les
États-Unis font à l’échelle mondiale, et
encore moins le considère comme
impérialisme. Le genre d’analyse et
d’activisme dans lesquels je suis
impliqué n’attire tout simplement pas
l’attention aux États-Unis. Il est
presque complètement ignoré,
marginalisé, et considéré comme dénué de
pertinence. Avec le système politique
contrôlé par des sociétés et des
milliardaires puissants, les grands
médias contrôlés par les mêmes intérêts,
et le complexe militaro-industriel qui
continue à produire des armes en série
et à fomenter des guerres,
l’anti-impérialisme est malheureusement
pratiquement inexistant.
De quels outils disposent les
mouvements et les organisations
anti-impérialistes pour contrer les
plans de domination impérialistes ?
Ce que nous essayons de faire est
d’éduquer les gens, de leur montrer
comment ce que font les États-Unis
partout dans le monde est connecté à un
agenda impérial plus vaste. Nous
essayons de faire le lien entre la
Palestine, la Libye, la Syrie,
l’Ukraine, le Venezuela, le Congo, le
Yémen, la Somalie et de nombreux autres
conflits qui sont tous, à leur origine,
causés par le système impérial mondial.
Nous essayons de pénétrer dans les
médias autant que possible, à la fois
les médias alternatifs et
non-occidentaux, de façon à contrer le
récit présenté dans les médias
corporatifs qui servent l’empire, plutôt
que de nous y opposer. Nous restons
actifs sur les médias sociaux pour
diffuser le message autant que nous le
pouvons. C’est une lutte longue et
difficile qui, hélas, ne se ressent pas
toujours comme une réussite.
Votre organisation « Stop
imperialism » basée aux États-Unis
est-elle sujette à des pressions de la
part des lobbies impérialistes et
sionistes ?
Pour être honnête, il y a très peu de
pression de la part de ces groupes,
principalement parce que les médias
indépendants sont presque totalement
marginalisés et ignorés aux États-Unis.
Il y a eu quelques cyber-attaques
mineures contre le site, mais elles
n’ont pas été trop significatives.
Généralement, le genre de censure vécue
aux États-Unis n’est pas la censure
directe, mais plutôt la censure par
omission. On ne nous donne pas accès aux
grands médias, donc nous n’avons pas
d’importance pour la plupart des gens.
Vous êtes intéressé par la
question palestinienne, quelle est votre
opinion sur la situation du peuple
palestinien et sur la souffrance qu’il
endure depuis des décennies dans le
silence de la communauté internationale
?
Le peuple palestinien a vécu et
continue à vivre chaque jour, la pire
espèce d’oppression et d’asservissement
de la part des sionistes, ceci est très
clair. Ils ont été dépossédés de leur
pays, de leurs ressources, de leurs
moyens de subsistance et de leur droit
même à l’existence. C’est clair et
incontestable. Mais ce qui est d’autant
plus grave, c’est que la plupart des
pays qui exercent une influence dans la
Bande de Gaza et en Cisjordanie et
beaucoup de pays qui prétendent les
soutenir, travaillent main dans la main
avec les Israéliens et utilisent
seulement les Palestiniens comme
accessoires humains pour leur propre
agenda politique et les relations
publiques. De cette manière, les
Palestiniens sont doublement victimes,
d’abord de la part Israël, ensuite de la
part de leurs supposés « alliés ».
En outre, à mon avis, les
Palestiniens souffrent également d’une
direction politique confuse qui, soit
collabore avec Tel-Aviv (par exemple
l’Autorité palestinienne et Abbas), soit
en étant alignée avec les Frères
musulmans, le Qatar et l’Arabie saoudite
(le Hamas). Les dirigeants ont
complètement trahi leurs anciens
partisans en Syrie et en Iran et,
effectivement, se sont isolés eux-mêmes
politiquement en se rangeant du côté des
impérialistes et de leurs chiens
d’attaque régionaux, plutôt que du côté
de l’Axe de la Résistance.
C’est une période sombre pour les
Palestiniens. Tant qu’ils ne se rendent
pas compte que c’est seulement à travers
la solidarité et l’alliance avec les
forces de la résistance, plutôt qu’avec
les forces de la collaboration, que
leurs libérations seront gagnées… jusque
là, les Palestiniens continueront à
souffrir.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Biographie :
Eric Draitser est un analyste
géopolitique américain indépendant,
fondateur de Stop Imperialism :
http://stopimperialism.org/
Son travail d’écriture est apparu
dans de nombreuses publications, autant
aux Etats-Unis qu’au niveau
international, et a été traduit dans une
douzaine de langues. Eric Draitser est
établi à New York City.
Published in Oximity, July 16,
2015:https://www.oximity.com/article/Eric-Draitser-L-Alg%C3%A9rie-demeure-r-1?faid=714379
In Whatsupic:http://fr.whatsupic.com/sp%C3%A9ciale-monde/eric-draitser34098785329.html
Reçu de l'auteur pour
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