Opinion
Interview APS sur les gaz de schiste
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Samedi 31 janvier 2015
Voici le texte
exact de l'interview que j'ai donné à
l'APS et qui est loin de ce qui a été
publié par L'Agence.
L'Algérie vit
présentement une situation délicate dans
un contexte international difficile avec
des défis à la fois internes et externes
La chute des prix du pétrole est due non
seulement à des facteurs économiques,
comme le ralentissement de la demande
mondiale, mais à des facteurs
géopolitiques. L'Algérie est une victime
collatérale d’une géopolitique mondiale
où elle n’est pas partie prenante.
1. Le groupe
Sonatrach vient d’annoncer 70 milliards
de dollars d’investissements sur vingt
ans pour produire à partir de 2022 un
volume de 20 milliards de m3 par an.
Est-ce que c’est un investissement
rentable si on tient compte des prix bas
du gaz sur les marchés internationaux ?
comme vous le savez beaucoup de grandes
compagnies pétrolières comme Shell et BP
ont arrêté les forages en raison de
leurs coûts élevés.
Je ne suis pas sûr
que c’est le moment et je pense que ces
annonces auraient pu être mieux
communiquées. Je formulerai autrement.
Quand la faisabilité des forages
d’exploration aura été démontrée
notamment en terme de cout au moment de
l’exploitation qui pourrait intervenir à
partir de 2022 , Quand nous serons prêts
technologiquement en formant les
ingénieurs et les techniciens de
géologie de géophysique, de forage, de
mécanique, d’électrotechnique
d’informatique de management sans
oublier les spécialistes de
l’environnement, le gaz de schiste
jouera pleinement son rôle et permettra
par son exploitation sûre et sans danger
pour l’éco-système du Sahara à l’Algérie
des rentrées de devises pour des
investissements dans le développement du
Sahara notamment dans le domaine de
l’agriculture.
2. En 2022, la
demande gazière mondiale sera-t-elle au
rendez-vous pour permettre à Sonatrach
de placer ses 20 milliards de m3 de gaz
de schiste sur les marchés
internationaux , si on tient compte du
resserrement de la demande gazière en
Europe qui est le marché traditionnel de
l’Algérie et de la hausse de l’offre de
GNL provenant de grands pays producteurs
comme le Qatar et l’Australie et aussi
de l’augmentation de la part des
énergies renouvelables dans le mix
énergétique européen?
Nous ne sommes sûrs
de rien ! Il est connu que les
spécialistes qui lisent dans les boules
de cristal se trompent régulièrement
Personne ne prévoyait il y a un an que
le prix du pétrole perdrait les deux
tiers de sa valeur ! Dans ces conditions
les investissements à faire doivent être
bien étudiés et avec pondération.
Nous disposons de ressources
conventionnelles encore importantes
pourquoi ne pas les valoriser elles qui
ne présentent pas de risques nous avons
une densité de forage 100 fois moins
importante que celle des Etats Unis !
La question qui se
pose est : Que doit faire l’Algérie si
elle doit choisir entre l’exploitation
aléatoire du gaz de schiste avec
beaucoup d’inconnus notamment un marché
énergétique volatil et la vraie richesse
qui est celle de verdir le Sahara qui
devrait pouvoir contribuer à la
diminution de la dépendance alimentaire
en devenant le grenier à céréales et
maraichages en tout genre du pays
3. La porosité
de la roche schiste en Algérie nous
permet –elle des taux de récupération
importants. Le ministre avait avancé à
In Salah un taux de récupération de 10%
est-ce que c’est possible ?
C’est un fait ! La
majorité des études sur le gaz de
schiste montre que le gaz de schiste est
une technologie dangereuse avec les
techniques actuelles. Même aux
Etats-Unis, pionniers dans le domaine,
49% des Américains sont désormais
opposés à l’extraction du gaz de schiste
par fracturation. Le gouverneur de
l’Etat de New York, Andrew Cuomo, avait
décidé le 17 décembre 2014 d’interdire
la fracturation hydraulique à cause des
«risques qu’elle présente pour la santé
des populations».
Actuellement Il
n’existe pas d’extraction de gaz de
schiste sans risques sur l’environnement
Les raisons sont nombreuses, les
principales sont les suivantes:
1° La fracturation
hydraulique -600 kg/cm2- démolit
l'architecture interne des couches C'est
une technologie récente et nous n'avons
pas fait le tour de toutes les mauvaises
surprises
2° D'énormes
quantités d'eau douce (10 à 15000 m3
d'eau par puits étant entendu qu'un
puits peut être facturé plusieurs fois)
Pour un pays en stresscomme l’Algérie
chaque goutte compte
3° Un puits ne
draine donc qu'un faible volume de
roches et ramène relativement peu de
gaz. Pour produire une même quantité de
gaz, il faut multiplier les puits ce qui
nécessite, pour une même quantité de gaz
produit, des investissements nettement
plus importants.
4° Avec l'eau on
ajoute du sable pour maintenir les pores
ouverts pour libérer les gaz mais aussi
et c'est aussi un autre motif
d'inquiétude il y a plus de 2000
produits chimiques de nocivités
différentes d'après une étude faite pour
le Sénat américain en 2012. C'est-à-dire
que sur chaque puits de forage il y a
2000 litres de produits chimiques et on
sait que la nocivité se mesure en ppm,
Ces dizaines de milliers de litres
peuvent naturellement polluer la nappe
5° Des malaises
importants sont signalées Selon le site
France Libertés, «25% des produits qui
s'infiltrent dans les nappes
phréatiques, sont cancérigènes, 37% sont
des perturbateurs endocriniens, 40 à 50%
pourraient affecter les systèmes
nerveux, immunitaire et
cardiovasculaire, et plus de 75% les
organes sensoriels et le système
respiratoire».
6° Enfin on doit
prendre en compte aussi car les coûts de
réalisation varient entre 10 et 18
millions de dollars, alors qu'aux USA le
coût moyen est de 5 à 7 millions de
dollars. Il faut donc une parfaite
maîtrise technologique afin de réduire
les coûts. Ce qui demande du temps et de
la compétence.
4.Quel mix
énergétique préconisez-vous pour
l’Algérie ? Est-ce le modèle énergétique
tel que conçu par le gouvernement va
assurer la sécurité énergétique du pays
à long terme ?
Le gaz de schiste
est une richesse qu'il nous faut
exploiter rationnellement. Les
forages d'exploration sont nécessaires
pour maîtriser la technique, leurs
faibles nombres n'hypothéquera pas les
fondamentaux de la vie. Le gaz de
schiste fera partie d’un bouquet
énergétique et aura toute sa place le
moment venu quand la technologie sera
mâture , que nous avons les compétences
nécessaires et pris toutes les
précautions en terme d’environnement.
Nous n’avons pas à parler de moratoire.
L’étude du gaz de schiste doit se
poursuivre, Nous devrons terminer
rapidement la phase d’exploration pour
procéder aux études d’évaluation réelles
de la ressource, ca jusqu’à présent
c’est une étude américaine qui nous
donne le chiffre de nos réserves
Il vient qu'une
transition énergétique vers le
développement durable de l'Algérie
est une voie qui peut nous permettre de
rebondir. Un modèle énergétique et
l'optimisation de l'efficacité
énergétique pourraient, elles aussi,
contribuer à prolonger la durée de vie
des gisements conventionnels
5.Enfin le
programme des énergies renouvelables tel
qu’il est mené actuellement par le
gouvernement est-il en mesure de
produire, selon les prévisions arrêtées
dans ce sens, un tiers de la demande de
l’électricité du pays à partir de 2030?
Le programme
d’énergie renouvelable est loin d’être
consistant. Les énergies renouvelables
représentent moins de 0.1% du bilan
électrique Une transition énergétique
bien élaborée permettra d’aller vers le
développement durable en mettant en
place un mix énergétique, un bouquet
énergétique où chaque énergie sera
développée rationnellement mais avec
détermination. Le solaire algérien est
l’un des plus important au monde en
intensité et en surface et pourtant il
ne se développe pas
Nous avons
plus de deux cent sources d’énergie
géothermique qui peuvent être
exploitées pour le chauffage des
habitations mais aussi à usage
industriel en dehors de l’aspect
médical, on en fait rien. La région
d’Adrar est connue pour la force de ces
vents et pourtant il n’ya pas d’éolien
mis à par les 8 MW alors que l’on
pourrait y placer 100 fois plus pour
irriguer, et développement
l’agriculture. La réhabilitation du
patrimoine forestier permettra de mettre
en valeur nos forêts pour aboutir la
mise en place d’une industrie du bois et
de ses dérivés de la production
d’énergie à partir du bois
Un partenariat winn
winn avec les leaders mondiaux du
solaire de l’éolien ( Chine, Allemagne,
Etats Unis) nous permettra d’adosser
chaque calorie d’hydrocarbure exportée à
la mise en place de systèmes de
production d’énergie renouvelable
Le moment est venu
de mettre tout à plat pour changer de
modèle de croissance en allant vers la
sobriété et le développement durable. Il
faut le marteler la plus grande réserve
de gaz et de pétrole pour l'Algérie, ce
sont les économies d'énergie pouvant
aller à 15/20%. Il n’y a pas de
petites économies. Tout est bon à
prendre Au vu de la consommation
actuelle 4 milliards de mètres cubes
gazeux par an cumulés horizon 2015/2030,
avec une progression arithmétique c’est
plus de 90/100 milliards de mètres cubes
gazeux d’épargné
Il est temps aussi
d'élaborer une stratégie pour la
rationalisation de l'énergie et
l'augmentation progressive de ses
tarifs. De ce fait, il sera nécessaire
de redéfinir la politique sociale et le
soutien d l’Etat aux classes
vulnérables. C’est d’ailleurs ce que
recommande les économistes C’est une
pédagogie de tous les jours qui amènera
le citoyen à être économe sobre et à
consommer algérien.
On identifie à
tort le Sahara au désert. Le Sahara est
un écosystème unique il y a une vie, il
y a une flore, il y a des habitants qui
sont là depuis la nuit des temps; La
plus grande richesse au Sahara c'est
l'eau, source de vie. Songez que nous
sommes à la latitude de la Californie
qui est un véritable jardin ou mieux
encore, plus près de nous, de Marrakech,
autre jardin, et il ne tient qu'à nous
d'en faire de même. Le développement
du Sud est le véritable challenge à
lever en mobilisant toutes les énergies,
Le gaz de schiste
aura toute sa place dans le cadre d'une
stratégie énergétique basée avant tout
sur la sobriété énergétique. Il ne
peut y avoir d’exploitation tant que
nous ne serons prêts scientifiquement et
technologiquement prêts et tant qu’il y
a un risque aussi mineur soit il sur le
danger d’une pollution que serait une
deuxième mort plus dangereuse que celle
des explosions atomiques et que les
expérimentations sur les armes chimiques
que notre Sahara a enduré
Dans cette
transition il nous faut un plan Marshall
pour les énergies vertes, pour la mise
en place d'un développement durable qui
doit concerner tout le monde La mise en
valeur de l’Algérie du Sud notamment
dans le domaine agricole et touristique
permettrait outre la création de
richesses, le brassage nécessaire au
vivre ensemble qui doit être plus
que jamais notre credo
Professeur
émérite Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
Alger
Publié avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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