Question 1 : Monsieur le
Président, vous venez de rencontrer une
délégation de députés français.
Pensez-vous que cette visite aura une
influence sur la position française à
l’égard de la Syrie ?
Bachar al-Assad : C’est une
question française. Nous espérons que
toute délégation qui viendra ici pourra
voir la vérité sur ce qui se passe en
Syrie durant ces dernières années,
depuis le début de la guerre il y a six
ans, et le problème maintenant,
concernant la France en particulier, est
qu’ils n’ont pas d’ambassade, ils n’ont
absolument aucune relation avec la
Syrie. Alors c’est comme si... on peut
dire que c’est un Etat aveugle. Comment
pouvez-vous forger une politique envers
une région donnée si vous ne voyez pas,
si vous êtes aveugles ? Il faut être
capable de voir. L’importance de ces
délégations est qu’elles représentent
les yeux des États, mais cela dépend de
l’État en question ; est-ce qu’il veut
voir (la réalité des choses), ou est-ce
qu’il veut continuer à adopter la
politique de l’autruche et refuser de
dire la vérité, parce que maintenant,
dans le monde entier, tout est en train
de changer à tous les niveaux à l’égard
de la Syrie, (aux niveaux) local,
régional et international. Jusqu’à
présent, le gouvernement français n’a
pas changé de position, ils maintiennent
leur rhétorique désuète qui est
déconnectée de la réalité en Syrie.
C’est pourquoi nous espérons qu’il se
trouvera quelqu’un au sein l’État qui
veuille bien écouter (ce que
rapporteront) ces délégations, (écouter)
les faits. Je ne parle pas de mon
opinion, je parle de la réalité en
Syrie. Donc, nous avons de l’espoir.
Question 2 : Monsieur le
Président, vous avez dit qu’Alep
constitue une victoire majeure pour la
Syrie, et un tournant majeur dans la
crise. Que ressentez-vous lorsque vous
voyez les photos des centaines de civils
qui ont été tués durant les
bombardements et la dévastation de la
ville ?
Bachar al-Assad : Bien sûr, il est
très douloureux pour nous, en tant que
Syriens, de voir une quelconque partie
de notre pays détruite, ou de voir tout
sang répandu où que ce soit, c’est
évident, c’est une réalité d’ordre
émotionnel, mais pour moi en tant que
Président ou en tant qu’officiel, la
question (qui se pose) pour le peuple
syrien (est celle-ci) : Qu’est-ce qu'il
va faire ? Qu’est-ce que je vais faire ?
Il ne s’agit pas des sentiments. Les
sentiments vont de soi, comme je l’ai
dit. (La question est) comment nous
allons reconstruire nos villes.
Question 3 : Mais le
bombardement d’Alep-Est était-il la
seule solution pour reprendre la ville,
avec la mort de civils, vos concitoyens
?
Bachar al-Assad : Cela dépend du
type de guerre que vous recherchez.
Recherchez-vous une guerre tranquille,
une guerre sans destruction ? Dans toute
l’Histoire, je n’ai jamais entendu
parler d’une bonne guerre, toute guerre
est mauvaise. Pourquoi mauvaise ? Parce
que toute guerre entraîne de la
destruction, toute guerre entraîne des
tueries, c’est pourquoi toute guerre est
mauvaise. Vous ne pouvez pas dire «
c’est une bonne guerre », même si c’est
pour une bonne raison, pour défendre
votre pays, pour une noble raison, mais
une guerre reste (toujours) mauvaise. Ce
n’est pas la (bonne) solution
(seulement) si vous avez une autre
solution. Mais la question est la
suivante : comment pouvez-vous libérer
les civils de ces zones de l’emprise des
terroristes ? Est-il préférable de les
laisser, de les abandonner entre leurs
mains, sous leur joug, à leur sort
défini par ces terroristes, à savoir la
décapitation, le meurtre, tout sauf la
présence de l’Etat ? Est-ce le rôle de
l’État, de rester passif et de regarder
? Vous devez libérer (ces régions), et
c’est parfois le prix à payer, mais à la
fin, les gens sont libérés des
terroristes. Telle est la question
maintenant : sont-ils libérés ou non ?
Si c’est le cas, c’est bien ce que nous
devons faire.
Question 4 : Monsieur le
Président, un cessez-le-feu a été signé
le 30 décembre. Pourquoi l’armée
syrienne se bat-t-elle toujours près de
Damas, dans la région de Wadi Barada ?
Bachar al-Assad : Tout d’abord, le
cessez-le-feu concerne différentes
parties, alors pour pouvoir dire qu’il y
a un cessez-le-feu viable, il faut que
chaque partie cesse de combattre et de
tirer, et ce n’est pas le cas dans
beaucoup de régions de Syrie, et cela a
été rapporté par le Centre d’observation
russe du cessez-le-feu. Il y a des
violations de ce cessez-le-feu tous les
jours en Syrie, y compris à Damas, mais
principalement à Damas parce que les
terroristes occupent la principale
source d’eau de Damas où plus de cinq
millions de civils sont privés d’eau
depuis trois semaines, et le rôle de
l’armée syrienne est de libérer cette
zone afin d’empêcher ces terroristes
d’utiliser cette eau pour asphyxier la
capitale. Voilà pourquoi.
Question 5 : Monsieur le
Président, Daech n’est pas une partie
prenante du cessez-le-feu...
Bachar al-Assad : Non.
Question 5 (suite) :
Avez-vous l’intention de reprendre
Raqqa, et quand ?
Bachar al-Assad : Permettez-moi de
poursuivre (ma réponse à) la deuxième
partie de la première question. Ce
cessez-le-feu ne concerne pas Al-Nusra
et Daech, et la zone dans laquelle nous
avons récemment combattu pour la
libérer, concernant les sources d’eau de
la capitale Damas, est occupée par Al-Nusra
et Al-Nusra a officiellement annoncé
qu’ils occupent cette zone. Cela ne fait
donc pas partie du cessez-le-feu.
En ce
qui concerne Raqqa, bien sûr, c’est
notre mission, selon la constitution et
selon les lois, que de libérer chaque
pouce de territoire syrien. Il n’y a
aucun débat à ce sujet, qui n’est pas à
discuter. Mais il s’agit de savoir
quand, quelles sont nos priorités, et
c’est une question militaire, touchant à
la planification militaire, aux
priorités militaires. Mais à l’échelle
nationale, il n’y a pas de priorité :
chaque pouce de territoire (occupé) est
syrien, et (sa libération) doit être du
ressort du gouvernement.
Question 6 : D’importantes
discussions auront lieu à Astana à la
fin du mois, avec de nombreuses parties
syriennes, y compris certains groupes
d’opposition, disons. Qu’êtes-vous prêt
à négocier directement avec eux, et
qu’êtes-vous prêt à négocier pour aider
la paix à revenir en Syrie ?
Bachar al-Assad : Bien sûr, nous
sommes prêts, et nous avons annoncé que
notre délégation à cette conférence est
prête à s’y rendre lorsqu’ils
définiront... quand ils auront fixé le
moment de cette conférence. Nous sommes
prêts à négocier sur tout. Lorsque vous
parlez de négociations pour savoir s’il
faut mettre un terme au conflit en Syrie
ou parler de l’avenir de la Syrie, tout
est pleinement ouvert, il n’y a pas de
limites pour ces négociations. Mais qui
va être là de l’autre côté ? Nous ne le
savons pas encore. Est-ce que ce sera
une véritable opposition syrienne – et
quand je dis « véritable », cela
signifie qui ait des racines en Syrie,
pas en Arabie Saoudite, en France ou en
Angleterre, il doit s’agir d’une
opposition syrienne pour discuter des
questions syriennes. Donc, la viabilité
ou, disons, le succès de cette
conférence dépendra de ce point.
Question 7 : Êtes-vous-même
prêt à discuter de votre poste de
Président ? Cela a été contesté.
Bachar al-Assad : Oui, mais ma
position est liée à la Constitution, et
la Constitution est très claire quant au
mécanisme par lequel vous pouvez élire
un Président ou vous débarrasser d’un
Président. Donc, s’ils veulent discuter
de ce point, ils doivent discuter de la
Constitution, et la Constitution n’est
ni la propriété du gouvernement, ni du
Président, ni de l’opposition. Elle doit
être la propriété du peuple syrien, donc
vous avez besoin d’un référendum pour
toute Constitution. C’est un des points
qui pourraient être discutés lors de
cette réunion, bien sûr, mais ils ne
peuvent pas (simplement) dire « nous
voulons ce Président » ou « nous ne
voulons pas ce Président » parce que le
Président est lié aux urnes. S’ils ne
veulent pas de lui, remettons-nous en
aux urnes. Le peuple syrien (dans son
ensemble) doit élire un Président, et
pas (seulement) une partie du peuple
syrien.
Question 8 : Et avec cette
négociation, quel sera le sort des
combattants rebelles ? [sic]
Bachar al-Assad : Conformément à ce
que nous avons mis en œuvre au cours des
trois dernières années, parce que nous
voulons vraiment avoir la paix en Syrie,
le gouvernement a offert l’amnistie à
chaque militant qui dépose les armes, et
cela a fonctionné. Et ils ont toujours
la même option s’ils veulent revenir à
la normalité, revenir à leur vie
normale. C’est le maximum que vous
puissiez offrir, l’amnistie.
Question 9 : Monsieur le
Président, comme vous le savez,
l’élection présidentielle française aura
(bientôt) lieu. Avez-vous un favori,
avez-vous une préférence pour l’un des
candidats ?
Bachar al-Assad : Non, parce que
nous n’avons de contact avec aucun
d’entre eux, et nous ne pouvons pas
beaucoup compter sur les déclarations et
la rhétorique pendant la campagne
électorale, donc nous disons toujours
qu’il faut attendre et voir quelle
politique ils vont adopter quand ils
seront en poste. Mais nous gardons
toujours l’espoir que la prochaine
administration, le prochain gouvernement
ou le prochain Président veuillent
considérer la réalité de la situation,
se déconnecter de la politique (actuelle
qui est) déconnectée de notre réalité.
C’est notre espoir, et ils pourraient
(alors) œuvrer pour l’intérêt du peuple
français, parce que la question que
doivent maintenant se poser, après six
ans, les citoyens français, est
celle-ci : vous sentez-vous plus en
sécurité ? Je ne pense pas que la
réponse soit oui. Le problème de
l’immigration a-t-il amélioré la
situation dans votre pays ? Je pense que
la réponse est non, que ce soit en
France ou en Europe. La question est
maintenant : quelle en est la raison ?
C’est la question que la prochaine
administration, le prochain gouvernement
ou le prochain Président devront traiter
pour faire face à notre réalité, et non
pas à leur imagination comme cela s’est
produit au cours des six dernières
années.
Question 10 : Mais l’un des
candidats, François Fillon, n’a pas la
même position que la position
officielle. Il voudrait rétablir le
dialogue avec la Syrie. Pensez-vous que
son élection – s’il est élu – pourrait
changer la position de la France sur la
Syrie ?
Bachar al-Assad : Sa rhétorique au
sujet des terroristes, ou disons la
priorité de la lutte contre les
terroristes et non l’ingérence dans les
affaires d’autres pays, est la
bienvenue, mais nous devons être
prudents, car ce que nous avons appris
dans cette région au cours des dernières
années, c’est que beaucoup d’officiels
disent quelque chose et font le
contraire. Je ne dis pas que M. Fillon
ferait cela. J’espère que non. Mais nous
devons attendre et voir, parce qu’il n’y
a pas de contact. Mais jusqu’ici, s’il
met en œuvre ce qu’il a dit, ce sera
très bien.
Question 11 : Appréciez-vous
François Fillon comme politicien ? [sic]
Bachar al-Assad : Je n’ai pas eu de
contact avec lui ni de coopération, donc
tout ce que je pourrais dire maintenant
ne serait pas très crédible, pour être
franc avec vous.
Question 12 : Y a-t-il un
message que vous souhaitez adresser à la
France ?
Bachar al-Assad : Je pense que si je
voulais m’adresser aux politiciens, je
dirais cette chose évidente : vous devez
œuvrer pour l’intérêt des citoyens
syriens, mais depuis six ans, la
situation va dans l’autre sens, parce
que la politique française a nui aux
intérêts français. Donc pour le peuple
français, je dirais que les médias
dominants ont échoué (manqué à leurs
devoirs) dans la majeure partie de
l’Occident. Leur récit a été démystifié
en raison de la réalité, et vous avez
les médias alternatifs, vous devez
rechercher la vérité. La vérité a été la
principale victime des événements au
Moyen-Orient, y compris en Syrie. Je
demanderais à tout citoyen en France de
rechercher la vérité, l’information
véritable, à travers les médias
alternatifs. Lorsqu’ils rechercheront
ces informations, ils pourront être plus
efficaces face à leur gouvernement, ou
du moins ne pas permettre à certains
politiciens de fonder leur politique sur
des mensonges. C’est ce que nous pensons
être la chose la plus importante au
cours des six dernières années.
Question 13 : Monsieur le
Président, votre père a été Président de
la Syrie à vie. Envisagez-vous la
possibilité de ne plus être le
Président, un jour ? [sic]
Bachar al-Assad : Oui, cela dépend
de deux facteurs : le premier est la
volonté du peuple syrien. Veulent-ils
que cette personne soit Président ou non
? Si je veux être Président alors que le
peuple syrien ne me veut pas, même si je
gagnais les élections, je n’aurais pas
de soutien fort, je ne pourrais rien
faire, surtout dans une région complexe
comme la Syrie. Vous ne pouvez pas être
simplement élu Président, cela ne
fonctionne pas, vous avez besoin de
soutien populaire. Sans cela, je ne
pourrais pas réussir. Donc, dans ces
conditions, il n’y aurait aucun sens à
être Président.
Le
second : si j’ai le sentiment que je
veux être Président, je vais me
présenter, mais cela dépend du premier
facteur. Si je sens que le peuple
syrien ne veut pas de moi, bien sûr, je
ne serais pas candidat. Donc, il ne
s’agit pas de moi principalement, il
s’agit du peuple syrien : me veulent-ils
ou non ? Voilà comment je vois les
choses.
Question 14 : Dernière
question : Donald Trump doit être nommé
Président des États-Unis dans moins de
deux semaines. Il a été clair sur le
fait qu’il veut améliorer les relations
avec la Russie, qui est l’un de vos
principaux alliés...
Bachar al-Assad : Oui, exactement.
Question 14 (suite) :
Considérez-vous... Pensez-vous que cela
changera la position des États-Unis
envers la Syrie ?
Bachar al-Assad : Oui, si vous
voulez parler de façon réaliste, parce
que le problème syrien n’est pas isolé,
ce n’est pas seulement syro-syrien. En
réalité, la plus grande partie... ou
disons que la majeure partie du conflit
syrien est régionale et internationale.
La partie la plus simple à traiter est
la partie syro-syrienne. La partie
régionale et internationale dépend
principalement de la relation entre les
Etats-Unis et la Russie. Ce qu’il a
annoncé hier était très prometteur, s’il
y a une authentique approche ou
initiative visant à améliorer la
relation entre les États-Unis et la
Russie, cela affectera tous les
problèmes dans le monde, y compris la
Syrie. Donc, je dirais que oui, nous
pensons que c’est positif en ce qui
concerne le conflit syrien.
Question 14 (fin) : Qu’est-ce
qui est positif ? [sic]
Bachar al-Assad : La relation,
l’amélioration de la relation entre les
Etats-Unis et la Russie se reflétera
positivement sur le conflit syrien.
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