Interview
L'après-Bouteflika
en Algérie: une solution de changement
pacifique pourrait s’inspirer de la
révolution des œillets au Portugal
Gilles
Munier
Gilles
Munier
Jeudi 2 mai
2013
Interview de
Mourad Dhina,cofondateur du mouvement
Rachad
(2èmepartie)
:
Propos recueillis à Genève par Gilles
Munier
(15 mars 2013)
L’hospitalisation d’urgence en France du
Président Abdelaziz Bouteflika, le 27
avril dernier, a relancé en Algérie le
débat sur l’avenir du pays gouverné
depuis 50 ans, directement ou
indirectement, par l’armée.
L’entretien que nous a accordé en mars
Mourad Dhina, opposant en exil à Genève
où il dirige une ONG des droits de
l’homme, fait le point sur la crise
grave qui couve dans ce pays.
Q : Finalement, la guerre du Mali ne
risque-t-elle pas de déstabiliser le
régime militaire algérien ?
Mourad Dhina : En France, il y a des
forces qui disent que c’est tant mieux
si Alger s’est laissé embarquer dans
cette opération, car cela peut aider à
déstabiliser l’Algérie. Mais, ce n’est
pas si simple : en Algérie, il n’y a pas
un pouvoir, mais des pouvoirs. Chacun
tire des ficelles dans l’ombre. Chacun
aborde la question des relations avec la
France à sa façon, selon ses affinités.
A moins d’un changement fondamental en
Algérie, les relations
franco-algériennes ne seront jamais
normales. Elles sont passionnelles,
basées sur la méfiance, la ruse, la
corruption et trop souvent aussi sur la
vassalité.
En fait, si la
situation est instable à ce jour en
Algérie, c’est parce que le régime paye
le prix lourd ce qui s’est passé en 1992
et dans les années qui ont suivi : le
terrorisme n’existait pas avant le coup
d’Etat et la décennie de massacres.
Depuis, l’Algérie ne retrouve plus ses
équilibres. Franchement, si rien n’est
fait, l’Algérie va tout droit vers des
situations à l’irakienne ou à la
syrienne… des pays condamnés
probablement à être démantelés. La
responsabilité de tous les nationalistes
algériens, y compris ceux dans les
sphères du pouvoir – il y en a beaucoup
– est engagée. N’oublions pas que pour
triompher, le mal n’a besoin que de
l’inaction des gens de bien, comme l’a
dit Burke..
Les dictatures et les interventions
étrangères n’empêchent pas le terrorisme
: elles le nourrissent.
Q : On dit que le 11 septembre –
la guerre lancée par George W. Bush
contre le terrorisme international -
a sauvé le régime algérien. Le discours
de François Hollande contre le
terrorisme au Sahel ne risque-t-il pas
d’avoir le même effet.
Mourad Dhina : C’est un discours
usé. Les gens en ont assez d’entendre
cela. Le décor qui a été mis en place
est là pour générer le terrorisme qu’il
est censé combattre. Les révolutions
arabes ont montré que cet alibi ne tient
plus. Mais, c’est quoi ce terrorisme ?
Si le régime qui le combat n’est pas
capable de résoudre ce problème… c’est
qu’il fait partie du problème !
Q : Les prises d’otages au Sahel ont mis
sur le devant de la scène politique et
médiatique des organisations comme l’AQMI
(Al-Qaïda au Maghreb Islamique)
installées au sud de l’Algérie. Quelle
est leur influence réelle sur le
terrain, et au-delà ?
Mourad Dhina : C’est difficile à
dire. Il y a toujours des jeunes,
originaires des pays la région, qui
s’engageront pour combattre les
«
mécréants » qui s’en prennent au
Sahel. Mais, sur un plan politique, le
jeu de ces organisations n’est pas très
clair. Elles ont un pouvoir certain de
nuisance dans des pays en faillite comme
le Mali, ou qui le sont presque comme la
Mauritanie et le Niger. Elles y trouvent
des terreaux qui leur sont favorables.
Mais, elles sont aussi manipulables.
N’oublions pas que les
«
services » algériens et français
sont dans la région depuis des dizaines
d’années… et que les Américains y
arrivent en puissance. Il faut rappeler
que les dictatures et les interventions
étrangères n’empêchent pas le terrorisme
: elles le nourrissent.
La guerre du Mali : un calcul de
rentabilité à court terme
Une intervention
étrangère avec de gros moyens détruit
des pays, c’est sûr –
on l’a vu en Afghanistan - mais ne
résout rien sur le fond. Le chaos, comme
en Irak, n’empêche pas le pétrole de
couler à flot. Tant que ce sont des
Kurdes, des sunnites ou des chiites qui
sont massacrés, cela ne gêne pas
vraiment le parisien lambda. La preuve
est faite qu’avec une présence militaire
occidentale et le soutien d’alliés
locaux, les intérêts vitaux des pays
agresseurs sont assurés, du moins pour
un temps. Pour la France, il est évident
que la priorité c’est qu’Areva poursuive
l’exploitation des ressources en uranium
au Mali et au Niger.
Q : Oui, mais ces opérations ont un coût
humain et financier…
Mourad Dhina : Les gouvernements
occidentaux font maintenant du
management, de la gestion. Ils savent
que ces opérations militaires se
solderont, peut-être, par 50 ou 100
soldats tués, sur deux ans. Ils assument
ce genre de pertes et les sociétés
occidentales les acceptent. Cela
justifie leurs budgets de la défense et
la création d’armes nouvelles. Ils font
un calcul très froid et de rentabilité à
court terme. A long terme, c’est une
toute autre histoire.
Aller vers un Grand Maghreb indépendant,
stable et prospère
Q : Quel avenir pour les pays du Maghreb
qui résistent au changement ?
Mourad Dhina : Quel que soit ce qui
risque de se produire, nous avons tous
intérêts, dans nos pays respectifs, à ce
que ce soit dans la perspective de la
construction d’un Grand Maghreb
indépendant, stable et prospère. En
Tunisie, en Egypte et en Libye, les gens
ont goûté à la liberté, ils
n’accepteront plus de se laisser marcher
sur les pieds. Ceux qui sont arrivés au
pouvoir auront des comptes à rendre, ils
seront jugés à leurs résultats. Et,
c’est déjà une avancée considérable.
Q : Et ailleurs : en Syrie ?
Mourad Dhina : L’après-Assad sera
très dur à gérer. Je ne vois pas les
Iraniens abandonner les Alaouites. Assad
est bien sûr un tyran, mais
l’intervention des puissances
occidentales et de pays du Golfe ont
aussi des visées géostratégiques autres
que celles visant à donner liberté et
démocratie aux Syriens. Le chaos semble
s’installer d’autant plus que les enjeux
sont énormes et que des pays comme
l’Iran ou des groupes comme le Hezbollah
n’abandonneront pas leurs alliés. D’un
côté comme de l’autre, on arme ses
«
favoris »… mais pour faire quoi ?
Les pays du Golfe jouent avec le feu.
Ils ne se rendent pas compte qu’eux
aussi seront concernés par des
changements dans le futur. L’argent
n’est pas tout.
En Arabie, un vent
de révolte souffle déjà dans l’est du
pays et la société saoudienne, dont on
oublie qu’une grande partie vit dans la
pauvreté et souffre de violations des
droits humains, commence à réclamer ses
droits et à poser des questions
fondamentales sur la légitimité du
pouvoir en place et de l’influence des
Etats-Unis …
Q : Mais revenons au Grand Maghreb…
Mourad Dhina : Je suis de plus en
plus convaincu que nous, Algériens,
devons nous placer dans une perspective
d’Afrique du nord. Ironie du sort,
l’Algérie et le Maroc sont les deux pays
qui résistent le plus au changement...
Des révolutions à la tunisienne ou à
l’égyptienne pourraient s’y produire,
emportant tout ou presque. Ce scénario a
actuellement plus de chance d’arriver en
Algérie qu’au Maroc qui a moins de
problèmes structurels et une économie
mieux gérée. Le roi tient à ses pouvoirs
personnels et croit avoir échappé aux
«
révolutions arabes » tout simplement
en faisant un lifting de la
Constitution et en appelant au
gouvernement des
«
islamistes » encore bien maîtrisés
par la
Makhzen.
Pour cette région,
Algérie et Maroc principalement, une
version soft de changement
méritant d’être explorée fait son chemin
: s’inspirer de ce qui s’est passé dans
des pays voisins –
l’Espagne et le Portugal - longtemps
soumis à des dictatures. Le Maroc
pourrait évoluer –
avec ses spécificités, bien sûr –
vers ce à quoi est parvenue l’Espagne :
une monarchie vraiment constitutionnelle
avec des institutions franchement
libres. Et, l’Algérie évoluant peut-être
selon une variante de la révolution
portugaise, verrait la conjonction d’un
mouvement social non-violent auquel se
joindrait assez vite les militaires pour
convenir d’un véritable changement. La
concrétisation de ces deux étapes
mènerait certainement à la construction
d’un Grand Maghreb viable et fort.
Est-ce que ce sera toléré par les
grandes puissances, notamment par la
France ? Laisseront-elles faire ? Le
problème se situe aussi à ce niveau là.
Je crois que malheureusement, vu de
certains cercles parisiens, l’avènement
d’un tel Maghreb pose problème. Ne
serait-ce que pour des raisons
économiques, la France n’aurait, selon
eux, pas intérêt à ce qu’une nouvelle
puissance se constitue au nord de
l’Afrique, juste de l’autre côté de la
Méditerranée. Mais, je reste cependant
optimiste et pense que cette option a
des chances réelles d’aboutir et que
même la France, débarrassée de ses
rémanents colonialistes, aurait intérêt
à ce que ceci se produise.
* Mourad Dhina -
physicien algérien formé au MIT, ancien
chercheur au CERN et professeur à
l’université polytechnique de Zurich
- est un opposant algérien résidant à
Genève où il dirige
Alkarama, une ONG arabe des droits
de l’homme. En 2007, il a cofondé le
mouvement Rachad
(« droiture » en français) après
avoir représenté le
Front Islamique du Salut (FIS) à
l’étranger. Il milite pour un changement
politique non-violent
dans son pays, ce qui par les temps qui
courent effraie le plus les régimes
militaires. Arrêté le 16 janvier 2012 à
l’aéroport d’Orly, suite à une demande
d’extradition des autorités algériennes
qui l’accusent de
«
terrorisme », il a été libéré six
mois plus tard. L’avocat général,
Jean-Charles Lecompte, s’est en effet
déclaré
«
défavorable » à son extradition,
compte tenu des
«
incohérences », des
«
approximations » et de nombreuses
«
discordances » dans les documents
transmis par le régime d’Alger. Le
magistrat a qualifié la justice
algérienne d’
«
ubuesque » !
* Le parcours de
Mourad Dhina : une brève histoire de
l’avenir
(31/1/12)
http://hoggar.org/index.php?option=com_content&view=article&id=3139:le-parcours-de-mourad-dhina-une-breve-histoire-de-lavenir&catid=94:hoggar&Itemid=36
La 1ère partie
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 2 mai 2013 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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