Interview de Gilles Munier par Ramdane
Belamri
Libye :
Abdeljalil serait
peut être la prochaine victime après
Younes
Gilles
Munier
El Khabar- Algérie -27/9/11
Gilles Munier, journaliste
indépendant et écrivain, a vécu une
grande partie de sa jeunesse en Algérie
et au Maroc, où sa famille soutenait le
FLN. Il s’est engagé dans la vie
militante à Alger, de 1962 et 1970, en
soutenant la lutte du peuple
palestinien, et a approfondi sa
perception de l’islam grâce à Malek
Bennabi. Il est l’auteur du
Guide de l’Irak
(Jean Picollec Ed. 2000), des
Espions de l’or noir
(Alphée-Koutoubia, 2009) et a coordonnée
la traduction en français de
Zabiba et le roi
(Ed. du Rocher, 2003), roman écrit par
Saddam Hussein qu’il a rencontré à cinq
reprises. Il collabore aujourd’hui au
mensuel Afrique
Asie et rédige le
blog France-Irak
Actualité.
El Khabar : Où va
la Libye ? A votre avis, vers un avenir
de paix comme le proclame Nicolas
Sarkozy, ou vers des luttes de clans
entre membres du CNT, et entre le CNT et
l’AQMI ?
Gilles Munier :
Malheureusement, l’avenir de la Libye
est sombre et incertain. La guerre entre
clans du CNT, entre le CNT et le Groupe
islamique de combat, derrière lequel se
profile l’AQMI, a commencé avec
l’intervention de l’OTAN. Ces luttes se
sont manifestées lors de l’assassinat du
général Younès. Qui sera la prochaine
victime : Mustapha Abdeljalil, président
du CNT ? Mahmoud Djibril, son n°2 ? Ali
al-Issaoui, chargé des Affaires
étrangères ? Des personnalités comme
Abdel Hafiz Ghoga, avocat militant des
droits de l’homme, ou le cheikh salafite
Ali Salabi qui font aussi partie du CNT
ont évidemment plus de légitimité que
les agents occidentaux.
Dernièrement, tandis que le CNT
annonçait la constitution prochaine d’un
gouvernement « de crise », les
chefs des combattants de terrain
créaient à Misrata une Union des
Bataillons Révolutionnaires.
Aujourd’hui, les commandants des
conseils militaires de Tripoli et de
Benghazi – membres du Groupe
islamique de combat libyen (GICL) -
estiment ne pas avoir de comptes à
rendre au ministre de la défense du CNT,
désigné parmi les membres de la tribu du
général Younès pour calmer son désir de
vengeance. On a tort de mettre le GICL
et l’AQMI dans le même sac. La première
n’est pas inféodée à l’autre, mais il
existe des passerelles entre les deux
organisations qui se sont trouvées,
comme l’a dit Abdelkrim Belhadj,
commandant militaire de Tripoli,
« au même endroit, au même moment ».
Ce qui est certain, c’est que les
services occidentaux ont profité de la
guerre de Libye pour nouer des contacts
avec les organisations islamiques,
dresser des listes de leurs membres,
dans la perspective de les utiliser ou
de les éliminer. Les militants du GICL
savent par expérience qu’ils n’ont
aucune illusion à se faire sur les
arrière-pensées occidentales. Leur sort
dépendra du timing des
prochains pays à déstabiliser. Après la
Libye et la Syrie, qui ? L’Algérie
peut-être. La récente déclaration
attribuée à Sarkozy – « dans un an
l’Algérie, dans trois l’Iran » - et
les propos « off » tenus par
ambassadeurs français sur l’état de
l’Algérie – « pays pathétique », «
bloc monolithique »…etc… -,
obligeamment diffusés par le magazine
pro-israélien Valeurs Actuelles, le
laissent penser. La livraison d’armes
aux rebelles berbéristes du djebel
Nefoussa en Libye, n’était certainement
pas innocente.
El Khabar : Sur le
plan sécuritaire, pensez-vous que
Kadhafi puisse résister longtemps ?
Gilles Munier : Kadhafi
n’a pas les moyens de résister longtemps
frontalement. Le rapport de force est
trop inégal. Mais, quelle que soit la
suite des événements, le combat des
Libyens hostiles à l’occupation de leur
pays par l’OTAN se poursuivra. Si les
Occidentaux parviennent à arrêter ou à
tuer Kadhafi, d’autres leaders prendront
sa suite. A Tripoli, la résistance
s’organise, les pro-CNT rasent les murs.
Le « cirque Sarkozy », avec ses 160 CRS
en civil, n’a planté sa tente que
quelques heures en Libye pour des
raisons de sécurité. Pas très glorieux
pour un « vainqueur » ! Cela
rappelle George W. Bush sur son
porte-avion, déclarant qu’il a gagné la
guerre d’Irak… On connaît la suite.
El Khabar :
Justement, selon vous qui suivez depuis
des années l’évolution de la situation
en Irak, peut-on comparer les guerres du
Golfe et celle de Libye ?
Gilles Munier : Oui et
non. En Irak, l’intervention militaire
occidentale terrestre et aérienne était
massive. Le pays, sous embargo depuis 13
ans, était sur les genoux. Bagdad est
tombé après l’utilisation par les
Américains d’une arme nouvelle –
probablement à neutrons – dans la
bataille de l’aéroport. L’opposition
financée par la CIA est arrivée dans les
fourgons de l’armée d’occupation. Saddam
Hussein a été arrêté et exécuté, mais la
résistance n’a pas cessé. Les victimes
civiles se comptent par centaines de
milliers. Selon des statistiques
officielles américaines et irakiennes,
plus de 2.600 civils, policiers et
militaires irakiens, ainsi que 35
soldats américains, ont été tués en Irak
depuis un an. Ce qui n’empêche pas le
Premier ministre Nouri al-Maliki de
déclarer que l’Irak « est la région
la plus sûre du monde arabe » ! En
fait, le pétrole coule à flot. Ses
revenus font de l’Irak un des quatre
pays les plus corrompus du monde. Les
Irakiens manifestent tous les vendredis
pour réclamer de meilleures conditions
de vie et des élections réellement
démocratiques, dans l’indifférence des
médias occidentaux. Le label médiatique
« révolution arabe » n’est
alloué qu’en fonction des intérêts
occidentaux.
En Libye, ce sont les bombardements de
l’OTAN, les livraisons d’armes, les
valises d’euros et l’intervention au sol
des forces spéciales françaises et
britanniques, et des sociétés militaires
privées, qui ont permis aux opposants de
progresser et de prendre Tripoli. Le CNT
tiendra-t-il la promesse d’allouer 35%
du pétrole libyen à la France ? J’en
doute. Achètera-t-il les avions Rafales
et la centrale nucléaire refusés par
Kadhafi ? En Irak, les copains de Bush
s’en sont mis plein les poches ; en
Libye ceux de Sarkozy attendent qu’on
leur renvoie l’ascenseur. Quant au coût
de l’opération pour les Français, Alain
Juppé s’en moque, « c'est un
investissement sur l'avenir »,
dit-il. A voir…
http://fr.elkhabar.com/?Abdeljalil-serait-peut-etre-la
En arabe :
http://www.elkhabar.com/ar/monde/266321.html
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 27 septembre 2011 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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