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Opinion - El Watan

Fadila Chitour-Boumendjel : « Le régime est le mal absolu »


Fadila Chitour-Boumendjel © El Watan

Mardi 22 février 2011

Figure emblématique du féminisme et des luttes politiques des années durant, Mme Fadhila Chitour-Boumendjel croit dur comme fer au changement de régime. «C’est une nécessité historique», dit-elle. Elle met son expérience et sa fougue militante au service d’un mouvement en marche. Membre très actif de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), elle décrit
une situation politique «bloquée, fait d’un régime rongé par la corruption et qui fait du maintien de l’ordre sa préoccupation essentielle». S’inscrivant dans le prolongement du combat de son père, Ahmed Boumendjel, elle appelle toutes les forces politiques et sociales à saisir ce rendez-vous historique afin de «réaliser le rêve» porté par le mouvement de libération nationale.

- Vous êtes engagée au sein de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie. Quelle analyse faites-vous de la situation politique et sociale du pays ?

Il s’agit d’une situation politique bloquée, marquée par l’immobilisme de ce système autoritaire qui fait du maintien de l’ordre sa préoccupation essentielle. J’en veux pour preuve l’augmentation massive des effectifs de la police que le pouvoir a récemment cru bon de fidéliser en moyens et en revalorisation conséquente des salaires. Pourtant, on se rend compte de la mise en place de cette impressionnante «sécuritocratie» qui maintient l’état d’urgence depuis 19 ans ne contient pas toute l’agitation incessante menée par diverses catégories sociales. N’oublions pas que nous assistons à des dizaines d’émeutes spontanées et populaires qui éclatent en différents endroits du pays. La situation est caractérisée également par ce grand fossé entre la société et ce système fermé, autiste, sourd et muet à tous ces cris de détresse qui parviennent depuis longtemps de tous les coins du pays et de toutes les catégories sociales.

- Il a suffi de quelques jours de mobilisation populaire pour voir deux régimes aussi puissants que ceux de la Tunisie et de l’Egypte s’écrouler. Ils se sont avérés fragiles. Pensez-vous que le régime algérien l’est aussi ?

Bien entendu qu’il est fragile. Il l’est parce que totalement décrédibilisé, rongé par la corruption. Il est fragile aussi parce qu’il achète la paix sociale en dilapidant la rente pétrolière. Il est en rupture totale avec la population.
Et non seulement c’est notre analyse de l’extérieur, mais ce qui me paraît le plus intéressant, c’est de noter à quel point il se vit, il se sent fragile lui-même. Puisqu’il a eu besoin de mentir pendant deux décennies. Cet état d’urgence dont le but est d’entraver les libertés politiques et civiles. Il se sent fragile bien sûr puisque 30 000 policiers ont été déployés le 12 février pour empêcher une marche pacifique qui appelait au changement et à la démocratie.
J’ai bien aimé «l’analyse» d’un des ministres qui a dit que «de marche en marche, ils seront de plus en plus faibles». Et alors ! Pourquoi avoir besoin d’un rapport de force aussi disproportionné ? C’est bien la preuve que ce système est fragile, qu’il panique et qu’il se sent terriblement menacé. Il est fragile aussi parce qu’il fait face à des dissensions et des contradictions que trahissent non seulement les faits, mais aussi les quelques rares interventions publiques de responsables politiques. Les faits, c’est la marche non autorisée, paraît-il, seulement à Alger qui donc aurait bien se passer et être applaudie dans les autres régions. Or, on l’a vu à Oran et Annaba, des scènes de répression et des arrestations de manifestants. Donc cette cacophonie dans les faits, cette incohérence et cette dissonance sans ligne politique précise sont également un énorme symptôme, une énorme marque de fragilité du régime.
Ce qui me paraît le plus terrifiant et incompréhensible, c’est cette fragilité au sommet le plus haut de l’Etat au moment où le pays est plongé dans une crise absolument dramatique. Aucune prise de parole pour marquer la solidarité et la compassion du gouvernement et du chef de l’Etat vis-à-vis de tous les morts dus à ces horribles suicides par immolation. J’ai envie de dire au Président comment ne se sent-il pas à tel point interpellé face à ces êtres qui ont eu recours à cette forme terrifiante de sacrifice, dans une souffrance physique et morale intenable. Comment le Président ne s’adresse-t-il jamais aux citoyens ?

- Peut-être que tout comme le système qu’il représente, il est totalement indifférent ?

J’ai peine à le croire. Je pense que pour chaque Algérien, dans notre humanité, nous sommes atteints dans notre âme et dans notre chair par ces immolations. Je ne pense pas que ce soit de l’indifférence, mais que c’est un total désarroi. Un signe extrême de fragilité. Le Président a fait une gestion bureaucratique de cette question. Il a dépêché une enquête au même titre qu’un fait divers. C’est encore plus insultant, cette hogra qui est à l’origine de toutes ces émeutes. Je pense qu’il a ajouté au sentiment de hogra en faisant ce traitement déshumanisé, bureaucratique. Pour moi, cela a été le summum de l’absence, du mépris de la part de tous les responsables politiques. J’ai envie de dire qui est le témoin grave de cette crise morale et éthique en politique. C’est pour cela que nous devons appeler au changement, à la rupture et à la fin d’un système qui a déserté le champ de l’éthique politique.

- Etes-vous de ceux qui pensent que le système algérien a atteint ses limites historiques ?

J’en suis convaincue. Toutes les chances de changement du système de l’intérieur ont été largement vécues. J’adhère complètement à l’idée de ceux qui proclament que le système ne peut changer de l’intérieur. Parce qu’il est dans le mal absolu et dans la gangrène morale et éthique et il contamine toutes les franges de la société. Nous assistons, au niveau des directions et pouvoirs catégoriels, à une reproduction des tares d’un système autocratique. Chacun, dans sa petite sphère, est grisé par le pouvoir et écrase plus petit que soi. Et donc ce n’est pas possible de changer en maintenant ces modes de gouvernance, c’est la nature de gouvernance qu’il faudrait complètement changer. Le poisson est pourri par la tête. Au final, Il ne peut y avoir du changement dans le système mais plutôt il faut changer le système.

- Justement, cette revendication de changement, comment la voyez-vous ? La société est-elle suffisamment organisée pour s’y faire ou bien c’est en cours de lutte que la décantation se fera ?

Vous posez la question centrale qui est celle du temps et de la forme que prendra ce changement. Mais je voudrai relever quelque chose. Ça ne commence pas avec cette Coordination. Il faut refaire un peu l’historique et rendre à ceux qui sont les acteurs du changement depuis longtemps le mérite d’être à l’origine du combat pour le changement. N’oublions pas que début janvier, tout à fait de manière contemporaine au drame de Mohamed Bouazizi, des manifestations de jeunes ont eu lieu  un peu partout en Algérie.
Des émeutes qui n’ont pas été, de mon point de vue, suffisamment prises en considération par les forces politiques qui auraient pu les reprendre à leur compte et les encadrer. Ce sont les drames sociaux provoquant le ras-le bol et l’insupportable qui entraînent la mobilisation populaire. C’est seulement ensuite que certains responsables syndicaux, politiques et militants des droits de l’homme ont pris la mesure de cette déferlante de démocratie et de demande de liberté de la jeunesse de la région et ont créé la Coordination nationale. 
Ces revendications sociales qui touchent tout le monde, contrairement à ce qu’affirment les responsables politiques, ont une base et une nature éminemment politique. Nous ne faisons pas l’affront à tous ces frondeurs qui réclament de meilleures conditions sociales, la dignité et la fin de la hogra. Ils veulent décider de leur destin et de leur avenir. Les revendications ont un sens politique, humain, qui s’articule avec toutes les revendications de tous les peuples qui vivent sous la dictature policière ou militaire dans la sphère régionale.

- Certaines forces politiques d’opposition se sont montrées réticentes à l’égard de la Coordination et de ses actions. Quel commentaire faites-vous ?

J’ai envie de vous dire que, fort heureusement, nous sommes en face d’une chance historique pour le changement. Il ne faut surtout pas rater ce rendez-vous avec l’histoire. Il est nécessaire de saisir la dimension de ce mouvement social général. Aujourd’hui, toutes les forces sociales et politiques sont convoquées pour mettre au vestiaire leur appartenance partisane, les contentieux du passé, l’amour-propre et l’ego pour ce rendez-vous historique et pour être digne de ce que les émeutes sociales nous lancent à la figure tous les jours. J’appelle, en ce qui me concerne, à ce que les élites, les intellectuels et les partis politiques réalisent à quel point les forces de rupture et de changement sont réunies pour aboutir, pour peu qu’il y ait un rassemblement sur un minimum de revendications politiques.
Il n’est plus question pour ce mouvement de se trouver un leader ou d’avoir un leadership quelconque. Mais notre sagesse devrait nous amener simplement à écouter et que nos cœurs battent avec ceux qui sont dans la détresse sociale. Les apparences d’émeutes sociales ont, en fait, comme racines profondes la dignité, la liberté et la justice sociale.

- Vous êtes issue d’une famille de révolutionnaires, vous êtes la fille d’un des grands dirigeants de la Révolution, Ahmed Boumendjel en l’occurrence. Pensez-vous que le vent de la seconde libération soufflera ?

Il est très émouvant d’évoquer mon père et mon oncle Ali Boumendjel en cette phase très sensible dans l’histoire de notre pays. Effectivement, je ne suis pas capable de faire un pronostic sur le court terme, mais il faut que nous soyons à la hauteur de cet évènement historique qui dépasse de beaucoup nos petites personnes, nos partis et les querelles de petites dimensions.
C’est vrai que nous devrons être dignes de ce que nos aînés qui, à un moment donné, dans le multipartisme qui avait eu envie de mener à la libération du pays avec une voie pacifique en demandant des réformes progressives, ces hommes ont été capables de mettre de côté leurs convictions profondes pour saisir ce qu’un petit groupe d’hommes déterminés, en novembre 1954, a décidé et qui a été le déclic de la lutte de Libération. Le changement auquel nous appelons est à articuler avec le prolongement du mouvement de libération puisque le rêve de nos pères n’a pas été réalisé. Quand on sait que normalement, la libération nationale devrait forcément être suivie de progrès social, de justice et de liberté pour tous les Algériens. Malheureusement, force est de reconnaître que, 50 ans après l’indépendance, le rêve n’a pas été réalisé. Je pense que nous avons le devoir, aujourd’hui, de prendre en charge ce qui, dans le rêve de nos aînés, n’a pas été exaucé.

Entretien réalisé par Hacen Ouali

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Source : El Watan
http://www.elwatan.com/...


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