Opinion - El Watan
Djamel Zenati :
« Je serai présent à la marche du 12
»
Photo: El Watan
Dimanche 6 février 2011
Djamel Zenati, militant pour le combat démocratique, ancien du
FFS et du Mouvement culturel berbère (MCB), apporte, dans cet
entretien, un éclairage sur différentes questions liées à
l’actualité nationale, notamment les dernières émeutes et tout
ce qui en découle comme actions citoyennes.
-Quelles interprétations faites-vous des derniers
développements survenus sur la scène politique et sociale ?
Au-delà des manipulations et des manœuvres politiciennes
réelles ou supposées, le mouvement de colère que vient de
connaître notre pays signe l’échec de la politique antinationale
de l’une des dernières dictatures au monde. La dégradation
avancée des conditions de vie de l’écrasante majorité des
Algériens et l’opulence affichée avec arrogance par le pouvoir
et sa clientèle ont nourri un sentiment d’injustice et
d’indignation très fort.La fermeture des espaces de la libre
expression et la destruction des canaux institutionnels
d’épanouissement culturel et de promotion sociale ont poussé les
citoyennes et les citoyens vers des modes d’affirmation et
d’action extrêmes.
Nous vivons un moment d’une grande intensité politique,
car la situation explosive du pays est couplée à un contexte
régional en pleine ébullition. Ça peut donner le meilleur comme
le pire. Tout dépend du prolongement qui sera donné au
mécontentement populaire par les divers acteurs et intervenants
politiques. Une chose est cependant certaine, l’émeute ne peut
en aucun cas constituer une stratégie politique, et quand elle
s’installe dans la durée, elle renforce plus qu’elle ne
fragilise le régime en place. Lors des dernières émeutes, tout
le monde aura constaté que la dimension déviante a rapidement
pris le pas sur l’aspect contestataire.
-Comment expliquez-vous cela ?
Il y a d’abord le fait que la culture du pillage qui
caractérise le sérail a déteint sur la société. Mais plus grave
encore est cette jonction qui s’est établie entre les «nouveaux
riches» et les milieux du banditisme et de la délinquance. Ces
derniers sont utilisés comme «limes sociales» censées contenir
la contestation et lui enlever tout caractère politique. Ce
phénomène dangereux risque de démobiliser les populations. C’est
pour cela qu’il est nécessaire de privilégier l’émeute des
consciences et le travail de réflexion et de construction.
-La Tunisie semble être sur le point d’instaurer
un régime démocratique et l’Egypte est dans un mouvement de
contestation du régime. Peut-il en être de même pour l’Algérie ?
Je suis très confiant dans le processus tunisien à déboucher
sur un système démocratique. Je le suis moins en ce qui concerne
l’Egypte où la donne géopolitique va peser lourdement. Chaque
pays a sa propre trajectoire, ses spécificités, et
personnellement je réfute l’idée de vague démocratique, car je
ne crois pas à la fatalité historique. Il peut cependant y avoir
des interactions, mais il faut se garder d’en surestimer le
poids. Il ne fait pas de doute que les peuples de la région sont
en marche. Et c’est le cas de l’Algérie. Les évolutions qui
surviendront seront celles que choisiront les acteurs, bavards
et moins bavards, au pouvoir ou dans l’opposition, dans la
diversité de leurs démarches et perceptions.
Le sursaut qualitatif dépendra de la volonté et de la capacité
de ces acteurs à construire un consensus politique honnête et
durable loin du populisme et de la manœuvre. Un contrat
historique est aujourd’hui possible car le règne par «le verbe
et le bâton» est révolu et l’alibi du «rempart contre
l’extrémisme» fissuré. Bien au contraire, c’est le maintien de
ces systèmes qui nourrit l’extrémisme et menace la paix partout
dans le monde. Et les exemples ne manquent pas.
-Toujours aussi émiettée, l’opposition
démocratique peine à se constituer en véritable alternative au
régime. Quelles sont les causes de cet échec ?
L’histoire mouvementée de notre pays avec une irruption
récurrente de la violence a empêché l’émergence d’une culture et
d’un champ politiques. L’absence de traditions étatiques a
favorisé le repli dans les valeurs et structures traditionnelles
à solidarité primordiale. Depuis quelques années, il y a un
balbutiement du politique, mais le pouvoir a réussi à configurer
le champ à sa convenance et à insérer l’opposition dans un jeu
politique dont il a lui-même fixé les règles. Il lui a enlevé de
ce fait toute capacité stratégique. Avec le temps s’est
développé un rapport de suspicion entre le peuple et les élites.
Comment voulez-vous qu’il en soit autrement quand des élus se
réclamant de l’opposition alimentent eux-mêmes le phénomène de
la corruption par des recommandations appuyées au profit des
barons de l’alcool et autres secteurs maffieux ?
Enfin, il y a lieu de signaler cette discorde permanente qui
caractérise les forces politiques et qui ne s’explique pas
seulement par l’action des laboratoires du pouvoir. Il y a aussi
l’effet destructeur des pesanteurs de notre société qui baigne
dans un autoritarisme quotidien qui sert de réceptacle à
l’autoritarisme du pouvoir. L’opposition est-elle aujourd’hui
prête à rompre avec ce carnaval et à reconstruire un rapport de
confiance avec la population ? Je l’espère de tout mon cœur.
L’Algérie a vécu ces dernières années une expérience très dense
en événements et à chacun de faire son introspection et tirer
les enseignements utiles. C’est à ça que doit servir le passé et
non pas à actualiser des conflits qui ne serviraient pas la
dynamique actuelle. Mais il est vrai que certains doivent, plus
que d’autres, faire montre de modestie et de sens de la mesure.
-Comment voyez-vous l’après-Bouteflika ?
Après les alternances claniques, nos dirigeants semblent
tentés par la succession familiale. Hantés par l’idée de laisser
la place, ils ont trouvé là une manière de quitter le pouvoir
sans le quitter. La nouvelle configuration du système mise en
place par Bouteflika répond justement à ce souci.Jamais un
Président n’a eu autant d’atouts entre les mains, et le résultat
après douze ans de règne est tout simplement un énorme gâchis.
Il a fait perdre à l’Algérie toutes ses opportunités, notamment
la possibilité de rejoindre le concert des pays émergents.Il a
affamé le peuple, affaibli les institutions, érigé le
régionalisme en critère d’accès aux postes et ressources, livré
l’économie aux réseaux maffieux. Et j’en passe. La guerre de
succession a déjà commencé et ses anciens sponsors entendent se
réapproprier les prérogatives dont ils ont été dépouillés.
Et c’est l’éternel recommencement. L’après-Bouteflika se
présente selon deux scénarios possibles. Le premier consiste en
un retour à l’avant-Bouteflika. Le second est celui de l’amorce
d’une transition démocratique. La raison et le sens patriotique
dicteraient à tout un chacun d’opter pour le second scénario.
Mais les réflexes néo-patrimonialistes de nos dirigeants et le
peu de considération qu’ils ont pour le pays risquent de nous
fourvoyer dans une nouvelle aventure meurtrière. L’empressement
qu’ils ont à mobiliser les technologies les plus sophistiquées
de répression des masses contraste avec un silence honteux et
un «aplat-ventrisme» indigne quand des pays comme la Palestine
ou l’Irak se font humilier et martyriser au quotidien.Ils
peuvent aller jusqu’à susciter un état de guerre pour se
maintenir. Et si les choses se corsent, ils choisiront, à
l’exemple de Ben Ali, de fuir comme des malfrats plutôt que
d’accompagner le peuple dans une meilleure perspective
historique.
-Quel est votre rapport au FFS ? Que pensez-vous
de sa position dans la conjoncture actuelle ?
Le rapport est certes distant depuis quelque temps, mais le
FFS demeure le parti dont je me sens le plus proche. Son rôle
durant les années de braise a été décisif dans l’évitement d’un
embrasement généralisé du pays. Ses problématiques et
propositions demeurent pertinentes et d’actualité. Ce qui le
prédestine à jouer un rôle moteur dans cette dynamique de remise
en cause du système politique actuel. Il est assez
caractéristique que les exigences les plus insistantes du FFS, à
savoir la levée de l’état d’urgence et l’amorce d’une période de
transition, soient reprises par l’ensemble des organisations, y
compris par celles qui les avaient combattues auparavant. C’est
un fait important dont je me réjouis. Mais je serai encore plus
heureux si le FFS retrouvait la place qu’il mérite sur la scène
politique et je ne comprends pas qu’il se mette en marge en
pleine effervescence sociale. Nul n’a le droit de priver les
citoyens d’un instrument de lutte ou d’un espace d’expression
quelconque.
-Y a-t-il des chances de voir Djamel Zenati
réinvestir bientôt le terrain politique ? Etes-vous prêt à
prendre des initiatives personnelles ou à vous joindre aux
dynamiques qui semblent se profiler à l’horizon comme la marche
du 12 février ?
Je n’ai jamais quitté totalement le terrain politique mais je
dois reconnaître que je me consacre plus au travail de réflexion
qu’à l’activité politique. De plus, il est devenu difficile
d’être visible dans un champ de plus en plus rétréci et surtout
pollué.
Pour ce qui concerne les initiatives, je crois que plus il y en
a et moins c’est bon. Le foisonnement des initiatives n’est pas
de nature à favoriser les convergences. Je n’ajouterai donc pas
au risque dispersif. Toutefois, je voudrai souligner avec
insistance que toute action qui ferait l’impasse sur les
attentes et les indignations exprimées par les citoyens serait
perçue comme une tentative de récupération politicienne du
désarroi du peuple. Ce qui est au centre des préoccupations de
la population peut se résumer en deux phrases : suppression des
injustices et élargissement des libertés.
Pour cela, toute initiative politique devra s’articuler
autour de deux axes essentiels. Le premier a trait à une série
de mesures d’urgence, comme la levée de l’état d’urgence, ou
encore la mise en œuvre d’un plan immédiat et concret dans les
domaines de l’emploi, du logement et du cadre de vie en général.
Le deuxième axe concerne l’amorce d’une transition démocratique
dont les séquences et le contenu seraient à définir par
l’ensemble des acteurs. Prudence et patience sont nécessaires
pour éviter les impasses du passé.Quand à la marche du 12
février, il est certain que j’y serai.
Entretien réalisé par Djamel Alilat
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