Intervention
Syrie, six ans de guerre…Après le
cauchemar,
les rêves ou la réalité ?
Michel Raimbaud
Samedi 1er juillet 2017
Source :
ITRI
Intervention
de l’Ambassadeur Michel Raimbaud à la
Conférence organisée par « Chrétiens
d’Orient pour la paix » le 27 juin 2017.
Merci à notre
ami Michel Raimbaud de nous autoriser à
publier son excellente intervention
I/ Un conflit universel
Par un vilain jour de mars 2011 était
donné le coup d’envoi de cette
interminable guerre syrienne qui est
aujourd’hui l’objet de notre réflexion.
Qui aurait pu deviner alors qu’elle
allait s’installer dans l’opinion sous
l’image labellisée que nous lui
connaissons : celle d’une guerre
soi-disant « oubliée » entre un
mouvement populaire « démocratique et
pacifique » et un « régime massacreur »,
une bonne cause à défendre pour les
élites (de droite ou de gauche) qui
depuis vingt ans communient dans un
consensus bétonné autour de toutes les
certitudes molles héritées du «
néoconservatisme » à l’américaine.
L’adhésion spontanée ou calculée aux «
valeurs » véhiculées par ce consensus,
signant leur allégeance (ou leur
appartenance) à « l’Etat profond », leur
confère le droit – le privilège
devrait-on dire – de s’exprimer sur les
antennes, les écrans et dans les
gazettes.
C’est adossé à cette foi idéologique
sommaire que notre mainstream va très
vite se polariser sur l’urgence de faire
« dégager Bachar » et de renverser « le
régime syrien » tout en s’employant –
avec un certain succès – à faire
partager cette hantise par de larges
couches de la population.
Dans le paysage
audio-visuel, intellectuel et politique
naîtra donc comme par enchantement un
front sans faille qui veillera à rendre
inaudibles les contestataires de la
narrative officielle. Le conflit syrien
sera catalogué d’emblée comme un épisode
des « printemps arabes », dans la lignée
de ceux de Tunis, du Caire, du Yémen, de
Libye, et on décrètera une fois pour
toutes qu’un scénario à la libyenne est
inéluctable en Syrie.
On croyait naguère
le lavage de cerveau réservé aux régimes
totalitaires : or, le conflit de Syrie,
comme celui de Libye auparavant, aura
donné aux « grandes démocraties », la
nôtre y compris, l’occasion de montrer
tout leur savoir-faire en la matière. En
occultant la mise à mort d’un peuple
attaché à la souveraineté, à l’intégrité
et à l’indépendance de son pays, en
faisant le silence sur les destructions
massives, en falsifiant les réalités,
c’est la résistance stoïque du peuple
syrien qui sera volontairement ignorée,
l’image héroïque d’une armée nationale
qui sera défigurée, le déni amplifiant
d’autant la souffrance.
Il faut bien le dire, la volonté de
dégager Bachar al Assad (qui « ne mérite
pas d’être sur terre » mais serait mieux
« six pieds au-dessous »), la volonté de
détruire (Bachar ne partira peut-être
pas, mais nous aurons détruit sa Syrie,
comme osait le dire récemment encore un
opposant démocrate « modéré ») et la
volonté de tuer (nous sommes prêts à
sacrifier les deux tiers de la
population syrienne afin de sauver le
dernier tiers) n’ont pas choqué grand
monde du côté de chez nous durant ces
années de dévastation de la légalité et
de la morale internationales. Malgré les
contradictions, les évidences, les
révélations, les témoignages, on trouve
encore des fanatiques ou des naïfs, des
cas désespérés, pour défendre mordicus
la thèse selon laquelle la guerre de
Syrie serait réductible à la lutte d’un
peuple révolté contre un régime
oppresseur. Un épisode des « printemps
arabes » qui aurait mal tourné, mais
n’aurait pas dit son dernier mot…
Toutefois, trop c’est trop. Les rangs
des soutiers et des charbonniers de la «
révolution » auront fini par
s’éclaircir. Quand on a le nez plongé
dans les décombres du chaos créateur, si
l’on n’a pas les yeux emplis d’effroi
devant la sauvagerie et la conscience
révulsée par la gestion de la barbarie
djihadiste, c’est que l’on a choisi de
fermer les yeux. Il faut être aveugle et
se contenter d’analyses convenues ou
d’idées reçues pour ne voir dans la
tragédie syrienne qu’un évènement
banalisé dans une séquence épidémique de
« printemps arabes » épars. Il faut
avoir un cerveau délabré ou
particulièrement sommaire pour refuser
par principe d’insérer cette tragédie
dans le contexte qui est le sien, et qui
saute aux yeux si l’on se réfère aux
crises et aux guerres des dernières
décennies. C’est celui d’une entreprise
géopolitique et géostratégique globale
de déstabilisation et de destruction,
inspirée, planifiée, annoncée, conduite
par l’Empire sous direction
américano-israélienne, utilisant
systématiquement des régimes inféodés et
des complices de circonstance
(islamistes dans le cas d’espèce) dont
l’agenda, pour différent qu’il soit, est
compatible à court et moyen terme avec
celui des maîtres atlantiques.
Vu par la lorgnette des neo-cons qui
l’inspirent depuis maintenant un quart
de siècle, l’Occident (l’Amérique,
Israël et ses alliés européens) a pour
vocation de disputer à l’Eurasie
russo-chinoise la maitrise de la
planète, et la déconstruction du monde
arabo-musulman, qui sépare ces deux
ensembles, est une condition imposée par
la géopolitique. Pour les forces
islamistes radicales, la décomposition
des Etats de cette « ceinture verte
musulmane » en entités à base ethnique
ou confessionnelle est le passage obligé
vers la création d’une bouillie
d’Emirats, étapes incertaines vers la
refondation d’un Etat islamique fondé
sur la Charia (loi coranique) ou le
rétablissement du Califat, un siècle
après son abolition. Pour des raisons
historiques, culturelles, religieuses,
politiques et géopolitiques, la Syrie
est le centre et l’épicentre de cette
confrontation dont l’issue sera
déterminante pour l’instauration d’un
nouvel ordre mondial en gestation.
En tout cas, il est difficile de nier
que les guerres de Syrie (ou les guerres
en Syrie) ont dégénéré en un conflit
universel qui oppose deux camps, l’un
ayant démontré sa solidité et le second
se trouvant en pleine dislocation:
– Le camp de la Syrie légale et de ses
alliés (Iran, Hezbollah, Russie et
Chine, par extension les BRICS), mais
aussi des pays comme l’Algérie, et de
plus en plus l’Irak, ses forces armées,
son Hachd al Chaabi (rassemblement
populaire), le Yémen « légal » du
Président Ali Abdallah Saleh et d’autres
forces résistantes à l’hégémonie.
– Le camp adverse, regroupant les
régimes islamistes (Turquie, Arabie
Saoudite, Qatar et émirats du Golfe
Persique), les terroristes et
djihadistes ainsi que les groupes de
miliciens divers, financés, armés,
soutenus par Israël et – malheureusement
– les Occidentaux. Tous ces adversaires
de la « Syrie légale » se concerteront
régulièrement dans le cadre du groupe
dit « des Amis de la Syrie ».
Cet affrontement universel, qui a connu
depuis plus de six ans de nombreux
développements, peut se décliner – j’ai
tenté d’en faire une recension dans mon
ouvrage « Tempête sur le Grand Moyen
Orient » publié en février 2015, puis en
février 2017 – en une bonne douzaine de
conflits aussi impitoyables les uns que
les autres, mêlant l’odeur de sainteté
au fumet du gaz, les illuminations
messianistes et les ambitions
stratégiques, les références aux valeurs
morales et les valeurs boursières, la
guerre sainte pour la religion et la
lutte profane pour le pouvoir étatique :
1/ Sur le plan syrien proprement dit :
– 1/ C’est au premier abord une guerre
pour le pouvoir conduite par une
opposition soi-disant « démocratique et
pacifique » contre l’oppression d’un «
régime massacreur ».
– 2/ Cette lutte interne se militarisera
rapidement, transformée sous la plume
des analystes en une « guerre civile »,
qui n’en est pas une dans la mesure où
elle est importée…
– 3/ En effet, le conflit sera
internationalisé par l’intervention
massive des régimes sunnites radicaux et
de combattants étrangers aux côtés de
l’opposition (lourdement) armée, puis
par l’ingérence et le soutien ouvert des
Occidentaux, devenant clairement une
guerre d’agression, le crime
international par excellence, selon le
Tribunal de Nuremberg.
– 4/ Elle constituera en fait un
politicide – qui est à l’encontre d’un
Etat ce que l’homicide est à l’encontre
d’un être humain – visant à provoquer un
éclatement de l’Etat-nation syrien en
mini-entités à base confessionnelle ou
ethnique, conformément aux plans
israélo-américains. C’est l’objectif du
Protocole de Doha adopté sous l’égide du
Qatar en novembre 2012 par la Coalition
Nationale Syrienne des Forces de
l’Opposition et de la Révolution.
2/ Sous l’angle religieux :
– 5/ C’est une guerre au nom de l’islam
contre un « régime impie », placée sous
le signe du djihad, de « la sauvagerie
et la gestion de la barbarie » qui
constitue la stratégie officielle de
l’Etat Islamique (Da’ech).
– 6/ Recyclée en guerre sainte par les
islamistes, la guerre d’agression se
résumera donc bientôt pour la communauté
internationale à une guerre terroriste.
– 7/ Elle engendrera ainsi une reprise
de la guerre globale contre le dit
terrorisme, considéré (en paroles du
moins) comme l’ennemi numéro un de tous
les pays, une guerre vouée à servir de
feuille de vigne à la guerre d’agression
contre la Syrie.
– 8/ Un assaut des radicaux sunnites
wahhabites (et assimilés) contre « l’axe
chiite » allant de Téhéran au Liban, via
la Syrie et l’Irak, présenté par les
wahhabites et leurs alliés comme un
volet du combat anti-terroriste.
– 9/ Une guerre acharnée entre les deux
camps du radicalisme sunnite (Turquie et
Qatar contre Arabie Saoudite, Frères
Musulmans contre Wahhabites) pour la
direction de l’islam sunnite et de
l’islam.
3/ Du point de vue géopolitique
– 10/ Une guerre Atlantique/Eurasie par
procuration
– 11/ Une guerre pour l’énergie, pour le
gaz notamment
– 12/ Une guerre pour l’intérêt
supérieur d’Israël, omniprésent dans les
préoccupations américaines et
occidentales
– 13/ Pour couronner l’ensemble, un
kriegspiel planétaire joué sur le «
grand échiquier », ayant pour enjeux le
contrôle du « Grand Moyen-Orient »
revisité et le leadership du monde.
Le bilan humain, matériel et financier
de ces seules guerres syriennes à
tiroirs est terrifiant, à l’image du
bilan global de la « démocratisation du
Grand Moyen-Orient » que l’on doit à
George W. Bush et ses sbires .
II/ En légitime défense, la Syrie fait
vaillamment face à la guerre d’agression
1/ La légitimité de l’Etat syrien.
Membre des Nations-Unies, la Syrie est
un Etat indépendant et souverain. Son
régime est républicain et de style
laïcisant. Parler du « régime syrien »
pour désigner son gouvernement vise
évidemment à le délégitimer, au mépris
d’un principe en général oublié : si
l’on mentionne volontiers le droit des
peuples à l’autodétermination, on oublie
fréquemment le droit des Etats à décider
de leur régime politique, hors de toute
ingérence étrangère.
Selon la loi internationale, le
gouvernement dispose du monopole d’usage
légal de la force : ceci doit être
rappelé à tous ceux qui ont rêvé de
détruire un Etat récalcitrant, à ceux
qui voulaient le « politicider » parce
qu’il résistait à leurs visées
néocoloniales.
L’armée syrienne n’est pas « l’armée du
régime alaouite », mais une armée
nationale, de conscription. Elle a le
droit absolu de reconquérir ou de
libérer toute portion du territoire sans
demander l’autorisation de quiconque. En
restaurant la souveraineté de l’Etat sur
le sol national, elle ne fait que
permettre à l’Etat dont elle est l’un
des organes régaliens d’exercer son
droit de contrôle du territoire. Elle ne
fait qu’affirmer le droit de la Syrie à
préserver sa souveraineté, son
intégrité, son indépendance.
Depuis plus de six ans, un pays qui
n’agressé personne, doit résister à une
guerre d’agression impliquant d’une
façon ou d’une autre (ressortissants,
combattants, gouvernements…) plus d’une
centaine de pays membres des
Nations-Unies, se heurtant en outre à un
appareil international et onusien qui
est loin d’être neutre. La résistance du
« régime syrien » et de ses alliés a
pourtant grippé l’entreprise des «
neocons » et des takfiristes, ses
détracteurs et ennemis admettant
désormais (comme l’ancien ambassadeur US
à Damas Robert Ford) que la Syrie a
potentiellement gagné.
2/ La Syrie vit
dans une atmosphère de fin de guerre
Sur le front des
opérations militaires : depuis la
libération d’Alep qui a fait date et
marqué les esprits en décembre 2016,
l’armée syrienne est partout à
l’offensive, du côté de Damas, d’Alep,
de Homs, de la frontière jordanienne, de
la steppe syrienne. Malgré les
intimidations américaines, elle
reconquiert peu à peu le territoire
national. Même si la guerre risque
d’être encore longue, l’évolution
favorable de la “bataille du désert”
actuellement en cours laisse entrevoir
une accélération des avancées.
Passant outre aux injonctions et menaces
américaines, l’armée syrienne a opéré sa
jonction avec les forces irakiennes du «
Hachd Chaabi » sur la frontière entre
les deux pays, exploit qui semblait
improbable il y a quelques mois. Cette
remise en cause des frontières
Sykes-Picot entre la Syrie et l’Irak est
un fait considérable, puisqu’elle
signifie la mise en échec ab initio du
mémorandum concocté par Tel-Aviv et
présenté à Trump avant ses voyages en
Arabie et en Israël, qui proposait une
nouvelle base de coopération avec les
Etats-Unis. Repris tel quel lors des
sommets de Riyad, ce plan mort-né
prévoit :
°la reconnaissance par Washington de la
souveraineté d’Israël sur le Golan
°le refus de toute présence militaire
permanente de l’Iran en Syrie
°l’alourdissement des sanctions contre
Téhéran en raison de « son soutien au
terrorisme »
°l’accroissement de la pression sur le
Hezbollah
°Un engagement visant à empêcher
l’établissement d’un corridor Iran –
Irak – Syrie – Liban qui donnerait à
l’Iran un débouché sur la Méditerranée.
Les multiples
provocations (un avion, puis un drone
syriens abattus par les Américains, des
frappes ici ou là, des attaques
ponctuelles contre l’armée syrienne) ne
changeront rien, tant elles apparaissent
contre-productives. Loin d’intimider, ce
combat d’arrière-garde mené par une
puissance en déclin (et donc dangereuse)
a provoqué un raidissement de Moscou
quant aux conditions futures de la
coopération technico-militaire entre
Russes et Américains contre le
terrorisme. Il a inspiré aux Iraniens
une grande première, sous la forme d’un
tir de missile sur Da’esh en Syrie, à
partir de leur territoire.
On pourrait dire la même chose des «
Forces Démocratiques de Syrie »,
qu’elles soient kurdes, arabes ou
turkmènes, qui pourraient faire un
mauvais calcul en recherchant la
création d’un Kurdistan « introuvable »
en Syrie.
Sur le plan
politico-médiatique, la Syrie semble bel
et bien avoir gagné. Les officines de
propagande et les donneurs de leçons de
morale ont prétendu et prétendent
toujours avec l’aplomb des escrocs qu’un
peuple unanime se dressait et se dresse
contre « le dictateur » ou le « tyran
massacreur ». Depuis 2011 pourtant, il
n’est pourtant pas difficile de voir,
malgré l’omerta, que les narratives
officielles sèment à tous vents des
farandoles de « false flags » (faux
drapeaux), arme favorite des terroristes
démocrates, des cannibales modérés, des
révolutionnaires du circuit Elizabeth
Arden et des révérends prêcheurs de
l’Axe du Bien.
Les populations votent toujours avec
leurs pieds lorsqu’elles en ont la
possibilité, et ce genre de scrutin n’a
pas besoin d’un long dépouillement. Au
fur et à mesure que l’armée reconquiert
le territoire national, ceux qui en ont
la possibilité fuient les zones rebelles
et accueillent l’armée syrienne en
libératrice.
Durant des années, il a été à la mode en
France, en Navarre ou ailleurs, de
répéter comme des perroquets que «
Bachar doit partir », que « Bachar n’a
pas de place dans l’avenir de la Syrie »
: or, on ne compte plus les arrogants
perroquets qui ont disparu et n’ont plus
de rôle à jouer dans l’avenir de leur
pays, alors que leur tête de turc est
toujours là. C’est que ce président,
cette tête de turc est resté pour
beaucoup et devenu pour beaucoup
d’autres le symbole de la résistance de
l’Etat et de l’attachement du peuple
syrien à son modèle de société
tolérante.
3/
Diplomatiquement, les évènements se
bousculent
La solidité de l’alliance entre la Syrie
et ses alliés (Hezbollah, Iran, Irak,
Russie, Chine) contraste avec la
dislocation de la coalition adverse:
°La dislocation du
bloc islamiste (entre l’Arabie et la
Turquie, entre l’Arabie et le Qatar, la
scission au sein du Conseil de
Coopération du Golfe) est si évidente
qu’elle se passe de commentaires.
°Le désengagement progressif de Trump
vis-à vis de l’Arabie de Ben Salman et
son souci de faire payer très cher à
Riyad (des centaines de milliards de
dollars déjà) le maintien d’une fiction
d’alliance à la vie à la mort est assez
transparent. Il faut être aussi
inexpérimenté et brouillon que Mohammad
Ben Salman pour ne pas voir que le
contrat sécurité contre pétrole a cédé
la place à un arrangement armes contre
dollar. De même, ses décisions ambigües
concernant le Qatar, son attitude
ambigüe sur les Kurdes et la Turquie, ne
sont pas très rassurantes pour les
intéressés. Pour reprendre la formule
usuelle des humoristes : « il est
dangereux d’avoir les Etats-Unis pour
ennemis, mais il est deux fois plus
dangereux encore de les avoir pour amis
».
°Le désamour entre l’Europe et les
Etats-Unis, mis en lumière par le sommet
de l’OTAN a déjà introduit une manière
de schisme atlantique, sur la même base
: les Européens veulent de la sécurité à
nos dépens ; qu’ils la paient le juste
prix ».
°L’interview accordée par le nouveau
Président de la République à plusieurs
journaux européens et consacrée à sa
vision à venir de la politique de la
France a été qualifiée par beaucoup de
virage à 180° en ce qui concerne la
Russie, la Syrie et le Président Bachar
al Assad:
– Pour Emmanuel Macron, le départ de
Bachar al Assad ne serait plus une
obsession. Il n’y a pas de « successeur
légitime » à Bachar al Assad. Le chef de
l’Etat syrien n’est pas l’ennemi de la
France.
– Le seul ennemi de la France en Syrie
est Da’ech…Il faut une solution
politique, avec une feuille de route.
– M. Macron a du respect pour Vladimir
Poutine et souhaite engager une
coopération avec Moscou, y compris sur
la Syrie.
– Le Président affirme vouloir tourner
la page sur dix années de « logique
néo-conservatrice »…
III/ La Syrie est désormais à la croisée
des chemins
1/ « Syria invicta » : c’est le titre
d’un sous-chapitre de « Tempête sur la
Grand Moyen-Orient », mentionné
précédemment. Participant en février
dernier à une conférence à Damas,
j’avais avancé l’idée que si « la Syrie
victorieuse » (c’était le slogan choisi
par les organisateurs) n’avait pas
encore gagné, elle le ferait de toute
façon. S’agissant d’une conviction
intime depuis le début de la crise, il
serait malvenu de me dédire, alors que
se produisent des changements radicaux,
militaires d’une part, politiques et
diplomatiques d’autre part. Les
clignotants s’allument de toutes parts
pour signifier que la victoire politique
de la Syrie légale semble acquise. Cette
perspective devrait aller de pair avec
le maintien du Président en place et
avec un « adieu aux révolutions arabes
», dont la flamme – on peut en être
certain – sera entretenue pendant
quelque temps dans les palaces
occidentaux et les palais orientaux.
Invaincue, la Syrie est néanmoins
dévastée. A elle seule, elle compte
environ 400 000 morts, sans doute 15
millions de réfugiés, déplacés et
exilés, 1,5 million de blessés et
handicapés divers. Près des 2/3 du pays
sont en ruines, avec des dégâts estimés
par certains à 1 300 milliards de USD,
sans compter l’impact continu des
sanctions, blocus et embargos divers…
Une question reste posée : Faut-il
arrêter la guerre ? De l’avis des
experts russes, bien placés pour en
débattre étant donné l’investissement de
leur pays dans le conflit syrien, il n’y
a pas d’issue militaire à la crise. Il
faudrait garantir un règlement politique
en établissant un dialogue avec les
représentants de l’opposition, les plus
présentables d’entre eux du moins. Selon
la directrice de recherches au Centre
d’Etudes Arabes et Islamiques à
l’Académie des Sciences de Russie, une
désescalade serait susceptible de
permettre le déploiement de forces de
maintien de la paix. Selon Alexander
Aksenyonok, membre du Conseil russe des
Affaires Etrangères, l’engagement «
nécessaire » de la Russie dans les
dossiers du Moyen-Orient a eu des
résultats positifs, en interdisant
l’arrivée des forces radicales au
pouvoir à Damas. Mais il pourrait y
avoir des retombées négatives, telles
que le risque de compétition militaire
entre Russie et Etats-Unis : d’où la
nécessité de maintenir ouverts des
canaux diplomatiques et d’accepter de
grands compromis, comme celui de
s’asseoir à la table des négociations
avec certaines organisations qui n’y
sont pas vraiment à leur place. (Club de
Valdai, 27 et 28 février 2017 à Moscou).
Cette option diplomatique est discutable
et discutée, au vu des expériences de la
guerre de Syrie. Certes, la guerre ne
peut mettre fin à la guerre et la
diplomatie seule mettra fin à la
tragédie. Cependant, il est clair que
l’Etat syrien doit pouvoir négocier en
position de force relative : l’évolution
actuellement constatée n’est pas le
fruit de bons sentiments, mais le
résultat de la montée en puissance de
l’option militaire face aux
provocations.
Le Moyen-Orient ne
sera plus jamais le même. Il en ira de
même pour la Syrie. Avant même
l’après-conflit, la fin de guerre risque
d’être longue. Pourtant il est temps de
songer :
°A la poursuite du difficile dialogue
politique qui aura été entamé à
l’occasion des pourparlers de Genève ou
d’Astana. Selon toute vraisemblance, il
n’est pas facile pour ceux qui ont
défendu leur pays contre l’agression
dans des conditions éprouvantes de
discuter « diplomatiquement » avec des
interlocuteurs qui ont appelé avec
constance à l’intervention étrangère
afin de détruire la Syrie.
°A l’immense travail de reconstruction
du pays, de ses infrastructures, de son
économie, ramenée plusieurs décennies en
arrière par le chaos. Le choix des
partenaires s’annonce délicat.
°A la réconciliation de sa société
(sérieusement ébranlée dans ses valeurs
ou ses fondements), avec la poursuite du
travail discret mais impressionnant
conduit par le gouvernement, en
particulier le ministère de la
réconciliation nationale. Des
expériences comme celles de l’Algérie,
serviront d’inspiration.
°Au réapprentissage du vivre ensemble
des forces vives, avec un soin
particulier pour la jeunesse qui a
grandi dans la guerre, et qui constitue
à la fois l’avenir de la Syrie et un
bassin de recrutement pour les groupes
terroristes.
A l’incitation au retour et à la
réinstallation des millions de migrants
(déplacés, réfugiés, exilés), un enjeu
décisif pour l’avenir du pays.
Mais, ce sera mon mot de la fin, au plan
diplomatique et politique, la France, à
l’origine de tant de décisions hostiles
et ravageuses contre la Syrie
(sanctions, soutien à la rébellion
armée, rupture des relations
diplomatiques, appui aux régimes
islamistes et aux « amis de la Syrie »)
et qui a entraîné l’Europe dans son
sillage, devrait bien admettre qu’elle a
un devoir de réparation. En tant
qu’ancien diplomate, je ne puis que
souhaiter le retour à la grande
tradition gaullienne de la France, cette
politique de dialogue, d’ouverture, de
conciliation envers tous les autres
partenaires de la communauté des
nations, qui faisait notre fierté, mais
qui a sombré dans les eaux de
l’atlantisme.
La priorité des priorités pour la
France, étant donné ses responsabilités,
serait qu’elle décide la levée
unilatérale des sanctions qui ont été
imposées, en bonne partie à son
initiative et sous ses pressions, au
peuple syrien. Mais le fera-t-elle ?
Espérons sans trop y croire que M.
Macron joindra les actes à la parole et
les mettra en conformité avec ses effets
d’annonce, espérons au minimum que ses
actes ne contrediront pas ses discours.
Dans le climat empoisonné qui règne
depuis des années du fait de notre
diplomatie, il faudra plus qu’une
déclaration pour réparer les dégâts.
Michel Raimbaud, le 27 juin 2017
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|