Opinion
Intervention de clôture de Jean-Guy
Talamoni aux Ghjurnate Internaziunale di
Corti, le 3 août 2014
Lundi 4 août 2014
- Remerciements aux
délégations étrangères et invités corses
d’autres formations politiques.
- Remerciements à
tous les militants de Corsica Libera qui
ont contribué à l’organisation des
journées internationales.
- Salut aux
prisonniers et à tous ceux qui sont
poursuivis par la justice française pour
avoir défendu la Corse.
Quelques semaines après une initiative
de portée historique, il nous faut
rendre un hommage fervent à tous les
Corses qui, depuis presque quarante ans,
ont rejoint les rangs du Front de
Libération Nationale de la Corse.
Nous avons une pensée particulière pour
ceux qui ont donné leur vie pour que
vive la Corse. Nous saluons
respectueusement leurs familles, dont
certaines sont représentées ce jour aux
Ghjurnate.
Par leur combat,
les militants clandestins ont permis à
notre peuple de ne pas disparaître.
La décision qui
vient d’être prise relève d’une démarche
unilatérale et généreuse, de la part
d’une organisation politico-militaire
invaincue, et ce malgré la disproportion
des forces en présence. Elle met un
terme à un parcours de plusieurs
décennies jalonné de nombreux
sacrifices.
Il y eu des
erreurs, sans doute. Le Front le
reconnait d’ailleurs dans son texte.
Mais il n’existe aucune action humaine
exempte d’erreur. Ceux qui ont assisté
les bras croisés à la disparition de
leur peuple sont en tout cas
singulièrement mal placés pour donner
des leçons. Et je ne parle pas de ceux
qui ont trahi la Corse pour servir leurs
ambitions et intérêts particuliers.
Quessi, ch’elli
stianu zitti.
Le FLNC a quant à
lui repris à son compte les attributs de
la souveraineté de l’Etat corse de
Paoli, dévasté par la conquête française
et la sombre période qui suivit.
L’organisation
clandestine doit donc être jugée comme
le serait un Etat, sur son action
politique globale, dans une période au
demeurant plus que difficile.
Ceux qui font
preuve de la moindre once d’honnêteté
intellectuelle ne peuvent que mettre au
crédit du FLNC :
-
Les statuts particuliers successifs
depuis le début des années 1980,
-
La préservation de notre patrimoine
naturel, en particulier de notre
littoral,
-
La réouverture de l’Université de Corse,
la prunelle de nos yeux et l’avenir de
nos enfants.
Surtout, le Front a
maintenu, au prix de multiples
sacrifices, la flamme fragile de la
liberté face à la domination française.
Alors, je vous
demande d’applaudir chaleureusement les
militants du Front de Libération
Nationale de la Corse, sans lesquels
rien n’aurait été possible hors la voie,
indigne, de la soumission.
Quelques mots sur
la situation politique actuelle de la
Corse et l’attitude du pouvoir parisien.
Le comportement du
gouvernement français est absolument
inacceptable. Le ministre Caseneuve est
venu dans l’île se livrer à une
insupportable provocation, formulant une
méprisante fin de non-recevoir aux
légitimes demandes de l’Assemblée de
Corse.
Quelle était donc
son intention en agissant de la sorte ?
Sans aucun doute ébranler la cohésion
des élus corses autour de leur projet de
réforme, cohésion qui de toute évidence
dérange une partie des responsables
français, les plus intransigeants, les
plus inaccessibles aux solutions
d’apaisement et de construction, ceux
qui se drapent dans les plis d’un
républicanisme suranné alors que leur
propre république part en lambeaux sous
les yeux d’un monde incrédule, qui se
demande comment la France a pu en
arriver là, entre le passage d’un
premier ministre en correctionnelle et
la garde à vue d’un ancien – et
peut-être futur – président de la
République…
La France fut un
grand pays, même s’il n’a jamais été le
nôtre, et c’est ce qui explique que
nombre de nos compatriotes ont accepté
l’idée d’unir à sa destinée celle de
notre peuple, et même d’offrir leur vie
– comme il y a cent ans cette année –
pour un drapeau qui désormais ne fait
plus rêver personne, en France même. Ce
drapeau, nous ne l’avons pour notre part
jamais arboré et nous ne le ferons
jamais. Quelle que soit l’évolution que
connaîtra la Corse sur le plan
institutionnel dans les années à venir,
nous ne reconnaitrons jamais le principe
de la tutelle française sur notre pays.
Nous n’accepterons jamais comme une
fatalité la prééminence du
bleu-blanc-rouge sur la tête de maure,
ni même la présence concurrente de ces
deux drapeaux entre Ersa et Bunifaziu.
Certains vous
diront : « les symboles n’ont pas
d’importance, il faut être
pragmatique ». Mais l’homme ne vit pas
que de pain. Dans le même esprit, une
dame demandait, lors d’une réunion
publique organisée à Bastia sur la
langue corse, à quoi bon cette langue
pouvait bien servir dans le monde
actuel… Une question étrange mais
significative de certaines évolutions.
La langue corse est évidemment utile,
mais ce n’est pas pour cela que nous
voulons la conserver et la développer.
Nous la défendons, non parce qu’elle
fait partie de ce que nous avons mais
parce qu’elle participe de ce que nous
sommes. Si l’on accepte d’entrer dans
cette conception utilitariste de la
politique, malheureusement fort répandue
aujourd’hui, si les symboles n’incarnent
plus la voie commune à suivre, si tout
ce qui est immatériel est écarté au nom
du pragmatisme, que reste-t-il de la
politique : di sparte si a manghjatoghja cum’elli
ferebbenu i porchi ?
Une société humaine se construit dans
l’équilibre entre le matériel et
l’immatériel, entre le pragmatique et le
poétique, entre le pratique et le
symbolique…
Chacun l’aura
compris, à Corsica Libera, nous ne
sommes pas pour « l’autonomie interne
dans le cadre de la République
française », comme l’on proposé des
générations d’autonomistes, et c’était
leur droit le plus strict. Pour nous, la
Corse est une nation de droit naturel et
il nous paraît nécessaire qu’elle
retrouve un jour la pleine souveraineté.
C’est la raison pour laquelle
nous nous sommes prononcés non pour un
objectif figé d’obtention d’un nouveau
statut institutionnel, mais pour un
processus évolutif de dévolution des
pouvoirs, du type de ceux qui se
développent actuellement en
Grande-Bretagne. Du reste, la vie
politique, comme la vie tout court, ne
peut être figée, et rien n’arrêtera
demain la marche des Corses vers leur
souveraineté.
Ne voit-on pas au demeurant, ailleurs en
Europe, avec notamment les référendums
d’indépendance d’Ecosse ou de Catalogne,
que pour une nation, le terme naturel du
parcours est la pleine liberté ?
Pour autant, nous respectons les Corses
qui, ne partageant pas nos convictions
nationales, se refusent encore à
envisager la rupture avec la France.
Nous les respectons et reconnaissons
leur part de légitimité politique comme
ils reconnaissent aujourd’hui la nôtre.
C’est cette
reconnaissance mutuelle qui a permis
l’ouverture du dialogue à l’Assemblée de
Corse.
C’est cette
reconnaissance mutuelle qui a permis le
débat auquel vous venez d’assister.
C’est cette
reconnaissance mutuelle qui permet
aujourd’hui la réconciliation de notre
communauté avec elle-même.
Car face à nous,
nous avons toujours la même arrogance
parisienne. Nous avons face à nous un
semblable mépris, et même si les
discours ministériels ne sont pas
identiques,
ne nous y trompons pas : rien ne viendra
jamais de la bienveillance de la France
qui n’en a du reste jamais manifesté à
notre égard. Il y a à Paris des
responsables plus intelligents que
d’autres et ceux-ci savent déjà que tôt
ou tard, la position intransigeante
deviendra intenable. Elle deviendra
intenable car nous ferons tout pour
créer de nouveaux rapports de forces en
faveur des intérêts insulaires.
Une nouvelle phase
de lutte vient de s’ouvrir avec
l’initiative du FLNC. Désormais, chacun
est face à ses responsabilités.
En ce qui nous
concerne, nous sommes conscients des
nôtres. Le Front a appelé ses militants
et l’ensemble des Corses qui se
reconnaissent dans sa démarche à
renforcer nos rangs. Cette confiance
nous honore mais elle nous oblige
également. Nous ferons tout pour nous en
montrer dignes.
Dans les semaines à
venir, nous nous attacherons à
créer les conditions d’une riposte
massive, populaire, et d’union
nationale, face au refus parisien de
prendre en compte le fait démocratique.
Nous proposons de concrétiser cette
riposte par la constitution d’une
plate-forme politique associative et
syndicale, réunissant l’ensemble des
forces vives de l’île, pour
manifester publiquement la volonté des
Corses de voir prendre en compte les
décisions majoritaires de leur
Assemblée. D’une telle démarche, notre
jeunesse a d’ailleurs montré la voie et
je veux ici rendre hommage à la
Ghjuventù Indipendentista qui a été ces
derniers mois à l’origine de
mobilisations exemplaires.
Dans le même temps, Corsica Libera
lancera une démarche visant à
internationaliser la question corse.
Nous savons que l’Europe est attentive à
l’évolution de la situation dans l’île
et au-delà-même des frontières du
continent, certains Etats s’étonnent de
voir les Français, si prompts à donner
des leçons de démocratie au reste du
monde, demeurer sourds aux demandes
démocratiquement formulées par les élus
d’un peuple autrefois conquis par les
armes et qui exige – dans un premier
temps – de voir profondément changer des
relations que partout ailleurs on
qualifierait de coloniales.
La démonstration du
caractère colonial de la domination
française sur l’île avait du reste
naguère été faite par un premier
ministre de la France devant la
représentation parlementaire. Il
s’agissait, chacun s’en souvient, de
Michel Rocard. Cet aveu, formulé au plus
haut niveau de l’Etat Français,
demeurera une pièce de notre dossier
face aux autorités internationales, mais
l’essentiel sera bien entendu les
délibérations récentes de notre
Assemblée demeurées lettre morte. Au
XVIIIe siècle, face à la tyrannie
génoise, les Corses s’adressèrent à
l’opinion internationale au nom du droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes,
concept qu’ils venaient d’inventer et
d’insérer dans leur Constitution de
1755.
Aujourd’hui, il
nous appartient également d’attirer
l’attention internationale sur
l’injustice qui nous est faite, d’autant
qu’à notre époque, personne ne croira
plus sur parole les dirigeants français,
comme cela aurait encore pu être le cas
il y a seulement quelques années.
Voici pour les
perspectives immédiates qui, une fois de
plus, seront des perspectives de lutte.
Mais il nous faut
cependant, pour la première fois,
envisager une séquence d’une nature très
différente. Dans un an et demi auront
lieu des élections territoriales qui
seront importantes pour la Corse. Plus
importantes que jamais compte tenu du
changement qui, d’une façon ou d’une
autre, sera alors
en cours.
Chacun s’accorde à reconnaître que
Corsica Libera a apporté la plupart des
idées qui sont actuellement au cœur de
la réforme : transfert de fiscalité,
agenda 21, compagnie publique maritime
de la Corse, cooofficialité du corse,
statut de résident, réforme de la
Constitution française pour permettre
ces différentes innovations…
Si nous rappelons
tout ceci, ce n’est pas par vanité
d’auteur mais simplement pour dire que
l’apport qui a été le nôtre jusqu’à
présent rend évident, non seulement
l’utilité, mais la nécessité absolue de
la présence de Corsica Libera au cœur de
la prochaine construction politique qui
aura lieu en Corse.
Que les choses soient bien claires :
nous ne souhaitons pas être associés à
la gestion de l’île mais, avec les
autres forces vives, participer
pleinement au gouvernement de ce pays.
Il y a quelques
semaines, un vieux politicien insulaire,
Nicolas Alfonsi, s’exprimait dans la
presse. Nous devons avant tout rendre
hommage à sa longévité électorale ainsi
qu’à sa constance, à l’opiniâtreté qui a
été la sienne dans l’expression de son
inimitié politique à notre égard. Il
disait pourtant une chose intéressante :
« Corsica Libera a gagné la bataille des
idées à l’Assemblée de Corse ». Et il
ajoutait, formulant davantage un vœu
qu’un pronostic : « Mais cette victoire
restera virtuelle ». Que l’on ait gagné
la bataille des idées, il en sait
quelque chose car nous l’avons gagnée
contre sa famille politique, du reste en
voie de disparition. Quant au caractère
« virtuel » de notre victoire, sur ce
point il nous appartient, il vous
appartient, il appartient au peuple
corse de le démentir…
Dumane, tutti inseme,
Metteremu in ballu una forza populare,
tamanta,
Contru à u
disprezzu pariginu,
Contru à tutti quelli chì volenu fà di
noi ciò chì ùn seremu mai: un populu
sottumessu.
Per a Corsica,
Per u nostru populu,
Inseme vinceremu!
Evviva a Corsica!
Evviva a nazione!
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