Actualité
Nous ne sommes pas à République
parce que…
Houria Bouteldja
Dimanche 24 février 2019
Intervention d’Houria Bouteldja au
rassemblement contre l’antisémitisme et
son instrumentalisation, le 19 février
2019 à Menilmontant.
Nous ne sommes pas
à République car 14 membres d’un
gouvernement qui nie et perpétue le
racisme d’Etat y sont ! Nous ne sommes
pas à République car nous souhaitons
dénoncer ici l’incroyable imposture d’un
gouvernement qui prétend lutter contre
le racisme alors qu’il en est le
principal promoteur à travers ses
politiques anti-migrants, sa police et
ses lois. Nous ne sommes pas à
République parce que tout l’arc de force
présent, depuis le PS jusqu’à la droite
dure en passant par la LICRA ou le CRIF,
a œuvré pour promouvoir pendant
plusieurs décennies une politique
profondément islamophobe et
pro-israélienne.
Nous ne sommes pas
à République car sous couvert de lutte
contre l’antisémitisme, il y a pour les
forces politiques présentes les bons et
les mauvais juifs, les bonnes et les
mauvaises organisations juives. Celles
qu’ils promeuvent avec l’aide des medias
dominants et qui sont du côté du
pouvoir, du libéralisme économique, qui
sont pro-impérialistes et va-t-en-guerre
(CRIF) et celles qu’ils méprisent,
ignorent ou vilipendent et qui sont du
côté de la justice sociale, contre tous
les racismes sans distinction, contre la
Françafrique ou encore pro-palestiniens
(UJFP). Et j’irai même plus loin, pour
la plupart des formations présentes à
République il y a l’antisémitisme qu’il
faut combattre et celui qu’elles
ignorent. Ou pour le dire autrement, on
pourrait presque dire qu’il y a un
« bon » antisémitisme qu’elles tolèrent
et un « mauvais » qu’elles combattent.
Celui qu’il faut combattre est à juste
titre celui de l’extrême droite
profanatrice de cimetières (comme on
vient de l’apprendre en Alsace), celui
de certains GJ ou de Musulmans ou
d’habitants des quartiers (influencés
par les thèses conspirationnistes), mais
pas celui pernicieux de l’Etat, qui est
invisibilisé alors qu’il perpétue
l’oppression des juifs comme corps
subalterne à l’intérieur de l’Etat
nation blanc. C’est ce qui permettra à
Jacques Chirac ou à Raymond Barre de
dire que les juifs de France ne sont pas
pleinement des citoyens français. Cet
antisémitisme là, s’il est toléré et pas
combattu, c’est qu’il est tolérable.
Nous ne sommes pas
à République car nous refusons
l’instrumentalisation de l’antisémitisme
ou d’un quelconque racisme contre le
mouvement des gilets jaunes. Ne nous y
trompons pas : la plupart de ceux qui
manifestent aux côtés du gouvernement,
du PS, de la droite et du CRIF sont tout
sauf des antiracistes. Mais ils
utilisent la bonne conscience anti
antisémite contre un mouvement qui, sans
être clair sur un certain nombre de
questions, a réussi à faire vaciller le
pouvoir et a réussi pour le moment à
échapper aux griffes de l‘extrême droite
en se focalisant d’abord et avant tout
sur la remise en cause du pouvoir et sur
des revendications sociales. Faire
endosser aux GJ de manière généralisée
des actes antisémites parfaitement
condamnables et condamnés par nous tous
est une forfaiture intellectuelle. Mais
c’est surtout une politique cynique pour
affaiblir et discréditer le mouvement.
Nous ne sommes pas
à République car pour nous la lutte
contre l’antisémitisme est trop sérieuse
pour la laisser entre les mains de
guignols ou de pyromanes. Et si pour
nous, décoloniaux, la lutte contre
l’antisémitisme est importante c’est
qu’elle est indissociable de la lutte
contre le racisme structurel de l’Etat
et de l’histoire de ce pays. En effet,
l’antisémitisme n’a jamais quitté la
constitution intime, mentale et
politique de l’Occident expansionniste.
Mais comme nous l’a appris Aimé Césaire,
cet antisémitisme et son expression la
plus ignoble, le nazisme, ont pris leur
source dans l’histoire du génocide des
indiens, de la traite transatlantique et
de la colonisation. Ainsi, on ne peut
pas penser les camps d’extermination en
faisant l’impasse sur l’histoire des
grands crimes de la modernité
occidentale comme on ne peut pas penser
l’islamophobie, la rromophobie et la
négrophobie sans les raccorder à
l’histoire coloniale et à l’histoire de
l’Etat-nation français et de
l’antisémitisme qu’il a engendré à
l’intérieur de ses propres frontières.
J’attire cependant
votre attention sur des tentations
idéologiques qu’il faut combattre. Ce
n’est pas parce qu’il existe une colonne
vertébrale du racisme moderne qui permet
de penser l’unité de tous ces grands
crimes qu’ils n’ont pas chacun leur
singularité. En effet, il existe à
gauche une tentation de faire de
l’antisémitisme un étalon du racisme,
une référence absolue, comme il existe
chez les non blancs qui se sentent niés
par cette approche une tentation de
relativiser le génocide juif. Je dis ici
avec force qu’il y a une unité
historique de tous ces racismes mais que
chacun a sa singularité propre et
irréductible. Rien n’est comme le
génocide nazi mais rien n’est comme la
traite négrière. Nous ne devons, nous ne
pouvons moralement ni les relativiser ni
les sublimer. Et ce n’est pas parce que
l’antisémitisme ancien s’est
métamorphosé en partie en philosémitisme
que ce racisme spécifique a disparu. Il
est toujours fortement présent à
l’extrême droite et dans la droite
française, il l’est sous des formes
euphémisées dans la gauche de pouvoir.
Et parce qu’il est structurel, il ne
peut pas ne pas être présent sous une
forme ou une autre dans les classes
populaires.
Nous ne sommes pas
à République car les occasions de
dénoncer le racisme sont nombreuses, à
commencer par les saillies négrophobes
ou islamophobes des Finkielkraut et
consorts, et pourtant aucun de ces
grands partis ne s’en émeut comme ils ne
s’émeuvent pas des quelques 20 crimes
policiers visant des Noirs, des Arabes,
des Rroms que nous déplorons chaque
année. Au moment où je parle, un jeune a
failli trouver la mort dans le quartier
des Izards à Toulouse dans
l’indifférence générale.
Nous ne sommes pas
à République car pour nous, il n’y a pas
de racismes scandaleux et de racismes
acceptables. En revanche, nous refusons
de travestir la réalité. Ce ne sont pas
les Juifs qui sont aujourd’hui la cible
du racisme institutionnel. Les cibles
actuelles sont les Musulmans, les
Maghrébins, les Africains, les Rroms,
les sans-papiers et les migrants. Aucune
lutte antiraciste digne de ce nom ne
peut ignorer cette réalité glaçante.
Aucune lutte antiraciste ne peut ignorer
que la Méditerranée est devenue un
cimetière de ces damnés de la terre,
pour la plupart Africains. Et si ce
sursaut de bonne conscience prétendument
en faveur des Juifs n’existait que pour
cacher ce grand crime dont nous sommes
tous ici moralement responsables ?
Enfin, nous ne
manifestons pas à République car nous
refusons de nous associer à un
gouvernement et à toute la chaine de
complicité autour de lui, à commencer
par la cohorte des partis d’opposition
comme le PCF, la FI ou Ensemble qui,
capitulards ou tétanisés, s’associent à
une marche orchestrée par un pouvoir qui
tente aujourd’hui de criminaliser
l’antisionisme et réhabiliter le délit
d’opinion en France. Nous refusons de
nous associer à ceux qui sur la scène
internationale dansent le tango avec
Netanyahou, bombardent le Tchad au nom
de la « guerre contre le terrorisme » et
participent à la déstabilisation
impérialiste du Venezuela aux cotés des
USA et du fasciste Bolsonaro.
Bref nous
manifestons à Ménilmontant parce que
nous tentons d’être les dignes héritiers
de Fanon qui nous enseigne que tout
antisémite parle tout à la fois des
Noirs, des Musulmans ou des Rroms. Ce
soir, je déclare donc Ménilmontant
capitale de l’antiracisme politique.
Houria Bouteldja
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