Opinion
Intervention de
Jean-Guy Talamoni
Ghjurnate internaziunale 2011
Jean-Guy
Talamoni
Mardi 9 août 2011
Je voudrais, pour commencer cette
intervention, avoir à mon tour une
pensée pour Philippe Paoli. Militant
exemplaire, il était aussi et surtout
notre ami.
J’adresserai également un salut
fraternel à nos prisonniers.
Je remercierai les délégations
étrangères et corses qui ont, comme
chaque année, répondu à l’appel et
enrichi nos débats.
Enfin, je vous demanderai d’applaudir
tous les militants ayant contribué à
l’organisation des Ghjurnate.
La procédure d’Aix-en-Provence
Quelques mots pour commenter cette
dérisoire procédure lancée par le
parquet d’Aix-en-Provence pour une
prétendue « apologie du terrorisme ». Il
est vrai que ce procureur n’a pas mieux
à faire, étant en charge de traiter la
délinquance dans un département
particulièrement paisible, celui des
Bouches-du-Rhône, un département, comme
chacun sait, indemne de toute forme de
banditisme. C’est dans cette situation
de grand désoeuvrement qu’il a décidé de
commencer une collection de porte-clés…
Nous voudrions quand même rappeler
quelques évidences à notre procureur
copocléphile. L’histoire de la langue
française nous enseigne que le mot
« terrorisme », que l’on utilise
aujourd’hui sur l’ensemble de la planète
– en français, en anglais et même en
corse –
est né dans l’hexagone en 1794.
Il signifiait alors « doctrine des
partisans de la Terreur ». Il s’agit là
d’une période particulièrement sanglante
d’une Révolution dont les élites
françaises demeurent extrêmement fières,
ce qui est au demeurant assez étrange.
Par la suite, sous l’occupation
allemande, les autorités françaises –
notamment la magistrature –
l’appliquèrent, non pas à l’armée nazie
qui terrorisait littéralement leur
peuple, mais à ceux qui combattaient les
nazis. Allez comprendre ! Ces
combattants anti-nazis récusaient
évidemment le vocable de « terrorisme »
et s’appliquaient plus volontiers celui
de « maquisard ». Ici encore
l’étymologie est intéressante : le
« Grand Robert » nous apprend que le mot
français « maquis » vient du corse « machja »,
y compris bien sûr dans son acception de
« refuge de partisan » et, par
extension, d’« organisation de
résistance armée ».
Conclusion : laissons à la France la
paternité du mot « terrorisme » et de la
pratique terroriste, è noi, tenimu ci
u nostru machjaghjolu chì ùn hè micca, è
ùn serà mai, un terruristu !
Mais il s’agit là de « l’écume des
choses ». Intéressons-nous plutôt à la
situation morale et politique de la
nation.
Il y a un an ici même, nous évoquions la
nécessité de transformer le succès
électoral de mars 2010 en victoire
politique. À l’époque, suite au
changement intervenu à la CTC, un
certain nombre de frémissements
laissaient penser que des avancées
pourraient peut-être intervenir
concernant les questions essentielles :
prisonniers politiques, foncier, langue
corse…
Un an plus tard, il nous faut prendre
acte de ces avancées qui, bien
qu’insuffisantes, constituent néanmoins
quelques raisons d’espérer…
LA SITUATION POLITIQUE CORSE : LES
GRANDES QUESTIONS EN DEBAT
Les prisonniers
Avec l’adoption d’une motion unanime en
faveur du rapprochement et deux visites
au ministère français de la justice, les
élus de l’Assemblée on enfin, cette
année, commencé à prendre leurs
responsabilités. Devant ce début de
démarche commune et déterminée, Paris a
dû procéder à quelques transfèrements
significatifs. Nous sommes cependant
loin de l’aboutissement de la démarche
qui n’interviendra qu’avec la libération
de tous les prisonniers et l’arrêt de
toute poursuite.
La question foncière
Corsica Libera, nous le soulignions l’an
dernier aux Ghjurnate, avait
obtenu l’organisation des Assises du
foncier. Non sans mal et non sans
polémiques, après un an de travaux,
l’Assemblée a voté à une majorité de 35
voix sur 51 pour l’approfondissement de
la notion de résidence-citoyenneté, que
notre mouvement a porté seul jusqu’à il
y a seulement quelques mois. Observons
qu’à ce sujet, la majorité aux affaires
s’est divisée, ce qui démontre
l’importance de ce dossier. Il
conviendra de suivre avec attention la
suite des opérations.
La langue corse
Il y a quelques jours, l’Assemblée de
Corse a adopté une motion de Corsica
Libera favorable à l’officialisation de
la langue corse, par 36 voix sur 51.
Souvenez-vous qu’il y a seulement deux
ans, la même motion avait été largement
rejetée. Ici encore, la majorité s’est
divisée, laissant de côté les éléments
les plus hostiles au changement. Pour
notre part, bien que le vote constitue
une victoire, nous ne nous satisfaisons
pas de voir les élus corses se diviser
sur une question qui devrait être
consensuelle, la langue corse étant
celle de l’ensemble de notre peuple.
Nous allons donc poursuivre notre
travail pédagogique auprès de tous les
élus et veiller à ce que le contenu soit
suffisant pour faire face aux enjeux.
L’agenda 21
Il y a quelques semaines, le Conseil
exécutif annonçait qu’il engageait un
processus visant à doter la Corse d’un
« Agenda 21 », programme ayant pour
objet de garantir un développement
durable, environnemental et social. Lors
de la campagne électorale de 2010,
Corsica Libera avait été la seule
formation à le proposer. Observons au
passage que le Conseil exécutif a repris
jusqu’à l’intitulé de notre projet « Corsica
21 ». Nous n’en demandions pas tant !
Tout ceci, aux dires de certains
observateurs, devrait nous satisfaire.
Il nous semble pour notre part que nous
aurions tort de relâcher notre vigilance
et notre présence politique : rien n’est
aujourd’hui acquis, même si les
militants de Corsica Libera peuvent être
légitimement fiers du travail qu’ils ont
accompli.
LA SITUATION MORALE
DE
L’ILE : LA VIOLENCE
Nous avons, depuis plusieurs mois,
participé aux travaux de la Commission
Bucchini sur la violence. On se souvient
que cette commission avait été créée
suite aux nombreux assassinats ayant
endeuillé l’île ces dernières années, et
qui se sont d’ailleurs poursuivis
depuis. Cette commission a rapidement
montré ses limites, notamment quand
certains participants ont cru devoir
mêler aux vrais problèmes un certain
nombre de considérations tenant
davantage de propos de café du commerce
que de l’analyse politique. Comment ne
pas sourire amèrement quand un élu vient
exposer que le stationnement gênant
constitue une violence insupportable ?
Pourtant, cette commission a le mérite
d’exister et de montrer que les
représentants légitimes de l’île ne se
désintéressent pas d’un fléau s’étant
abattu sur l’île avec la force d’un
cataclysme. Alors, nous y avons siégé et
analysé soigneusement les éléments mis à
notre disposition dans le cadre de ses
travaux. Nous adresserons dès la rentrée
un document au Président Bucchini
faisant part de nos propres conclusions,
afin qu’elles soient soumises au débat
et que les différents courants
politiques se prononcent sur leur
validité. Mais comme ce débat doit être
mené de façon publique et dans la plus
grande transparence, nous vous en
donnons ici les grandes lignes.
D’abord, il convient de rappeler que les
institutions corses ne disposent pas des
pouvoirs de police et de justice et qu’à
cet égard, les autorités françaises ont
failli, laissant se développer le
banditisme pour se consacrer
exclusivement à la poursuite des
militants politiques.
Comme indépendantistes, nous sommes
évidemment favorables à ce que les
autorités publiques corses acquièrent au
plus vite ces compétences policières et
judiciaires, même si nous craignons que
ce ne soit pas pour demain. Toutefois,
sachant que la Mafia ce n’est pas
seulement la grande délinquance mais le
lien entre banditisme, économie et
politique, nous demandons aux
institutions politiques corses de faire
toute la transparence sur leurs
activités à travers la création d’un
organisme territorial de contrôle des
fonds publics et d’évaluation des
politiques publiques.
Ceci étant dit, sur un plan plus général
et compte tenu des compétences actuelles
de la CTC, il nous paraît évident que le
levier essentiel dont dispose
l’Assemblée de Corse pour entraver les
activités mafieuses, c’est le choix du
mode de développement économique.
À cet égard, il suffit de superposer la
carte des assassinats de ces dernières
années et la carte de la spéculation
immobilière pour se rendre compte que
les deux phénomènes sont intimement
liés. Sur une terre aux atouts naturels
indéniables et encore préservés, la
seule en méditerranée, les perspectives
de profit pour les spéculateurs sont
incommensurables. Je ne voudrais pas
accabler certains politiciens encore
hier aux affaires et qui ont depuis
largement perdu leur capacité de
nuisance, mais quand même : grande est
la responsabilité de ceux qui ont parlé
de « désanctuariser la Corse ». Ce fut
un signal qui a aiguisé tous les
appétits et déchaîné les entreprises
spéculatives avec toutes les
conséquences que nous constatons
aujourd’hui, y compris sur le plan du
nombre des assassinats enregistrés. Les
autorités judiciaires françaises sont
d’ailleurs aujourd’hui contraintes de
rompre avec leur analyse habituelle qui
réduisait ce phénomène de violence à une
« recomposition du milieu ». Elles
reconnaissent à présent le lien entre
ces actes de violence et la spéculation
immobilière.
Devant une telle situation, l’Assemblée
de Corse doit prendre ses
responsabilités : à travers une
stratégie de développement bien
affirmée, un nouveau PADDUC rompant avec
la logique de l’économie résidentielle
et un statut de citoyenneté corse, il
convient de faire baisser les enjeux
économiques liés à la construction
immobilière.
Entendons nous bien, il ne s’agit pas
pour nous d’entrer dans une logique
malthusienne et d’interdire tout
développement et tout enrichissement en
matière immobilière. Simplement, ce
développement doit être maîtrisé et les
perspectives de gains financiers
redevenir raisonnables. Aujourd’hui, les
profits attendus des opérations
spéculatives échappent à toute logique
et nous sommes entrés dans une spirale
infernale favorable à toutes les dérives
financières et mafieuses.
Nous plaidons donc, en ce qui nous
concerne, pour une certaine « resanctuarisation »
de la terre de Corse, ce qui signifie
que le nécessaire développement de l’île
doit se faire au profit du peuple qui
l’habite et la fait vivre depuis le fond
des âges.
Nous savons que ce que nous disons ne va
pas plaire à tout le monde, mais il
n’existe pas d’autre solution sérieuse
que de s’engager résolument dans cette
voie, pour préserver l’accès des Corses
à l’immobilier, mais également pour voir
une certaine sérénité revenir sur l’île.
LES PERSPECTIVES POLITIQUES
L’élection de 2010 a prouvé la
représentativité du mouvement national,
mais également la pertinence de la
stratégie adoptée à travers la
formulation de deux offres politiques
distinctes au sein de ce mouvement.
Depuis, les deux courants se sont
exprimés de façon claire et sont
parfaitement identifiés par les Corses,
dans leurs accords mais également dans
leurs différences. Il reste à présent,
tout en gardant à l’esprit les
enseignements des expériences passées, à
nous mettre en ordre de bataille pour
les échéances futures, en recherchant
une cohésion d’ensemble qui ne nuise en
rien à la nécessaire diversité, à la
pluralité de la famille nationaliste. Ce
mouvement national pluriel doit devenir
l’alternative politique. Nos débats ont
montré que la chose était possible. Il
reste à en faire la réalité de demain.
Les mois à venir vont être déterminants
pour notre pays : pour la première fois
depuis le processus de Matignon de
Lionel Jospin, une forte majorité de
l’Assemblée de Corse a décidé de prendre
en compte nos propositions. Mais depuis
le processus que nous évoquions à
l’instant, dix années se sont écoulées
et la situation corse s’est encore
dégradée. C’est dire qu’en cas d’échec,
il n’y aura peut-être pas de nouvelle
chance de sauver un peuple voué par
Paris à une disparition certaine.
Le peuple corse, nous en sommes
convaincus, est conscient aujourd’hui,
tant de la réalité des problèmes que
nous soulevons que de l’intérêt de nos
propositions pour les traiter. Et c’est
bien pour cela que la majorité de
l’Assemblée de Corse a fait un pas vers
nous. En fait, en termes de prise de
conscience, les Corses sont en avance
sur leur Assemblée, et c’est ce qui a
été démontré à travers le référendum de
Siscu. À l’occasion de cette
consultation, les électeurs ont été plus
clairs dans leur vote que les
Conseillers territoriaux dans leurs
interventions : 94% des votants se sont
prononcés pour une citoyenneté fondée
sur dix ans de résidence à titre
permanent. Il sera donc indispensable,
dans les mois et les années à venir, de
continuer à construire de nouveaux
rapports de forces politiques, et de le
faire dans la cohésion du mouvement
national.
Nous sommes donc dans cette situation
instable et indécise, mais recélant
quand même quelques motifs d’espérance :
jamais notre peuple n’a été autant
menacé, mais jamais la prise de
conscience des Corses n’a été aussi
élevée.
Simu à l’orlu di l’infernu, eppuru u
paradisu hè à purtata di manu.
Oghje, ci tocca à fà e scelte maiò per
l’avvene di a nostra terra.
Ci tocca à fà e scelte chì anu da fà a
Corsica di dumane, quella di i nostri
figlioli :
Una Corsica in manu à i speculatori,
induve u populu corsu serà smaritu,
O una Corsica Libera, nazione fatta,
avanzendu versu a so supranità, versu a
so indipendenza ?
Aiò ch’hè l’ora di fà a sola scelta
degna, quella di stà arritti è di luttà
per u so paese,
Aiò ch’è l’ora di fà triunfà e forze di
a vita nantu à sta terra sacra,
Aiò ch’hè l’ora, torna un sforzu,
Aiò ch’avemu da vince, chì a vulintà
d’un populu ùn si pò parà !
Aiò ch’è l’ora !
Evviva a Lotta di Liberazione Naziunale !
Evviva a Corsica !
Evviva a Nazione !
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