Actualité
Election présidentielle en Algérie : ce
que dit Mourad Dhina, co-fondateur du
mouvement d’opposition Rachad
Gilles Munier
Vendredi 28 février 2014
Propos recueillis par Gilles
Munier (28/2/14)*
« La
mégalomanie et l’insistance de ceux qui
tirent profit du système Bouteflika ont
eu le dernier mot »
Quelle a été votre réaction
en apprenant qu’Abdelaziz Bouteflika se
représentait ? Est- ce que vous vous y
attendiez ?
Mourad Dhina: Que
Bouteflika se représenterait était
évidemment une éventualité. Il faut
aussi savoir que Bouteflika est un
mégalomane qui ne peut se voir que comme
chef et homme providentiel. On a
cependant cru un moment que son état de
santé, manifestement incompatible avec
les exigences de la fonction
présidentielle, l'inciterait à se
retirer. Mais apparemment la mégalomanie
et l’insistance de ceux qui tirent
profit du système Bouteflika ont eu le
dernier mot. Il est cependant évident
que le contexte actuel, qui a atteint
son paroxysme avec le conflit ouvert et
étalé sur la place publique entre le
clan Bouteflika et le clan «
Etat-DRS », est différent des «
scrutins » précédents. La fameuse
devise du « consensus » au
sommet semble arriver en fin de vie et
pour peu qu'il y ait une classe
politique à la hauteur de la mission, la
conjoncture actuelle peut être
l'occasion d'en finir une fois pour
toutes avec ces clans et s'engager
effectivement dans un processus qui
amènera l'Etat de droit à l'Algérie. Une
telle démarche n'est en fait pas une
simple option mais bien une nécessité
vitale, sinon l'Algérie risquerait la
dislocation.
« La
nature même du pouvoir algérien est en
totale contradiction avec la notion
d'élections libres »
La partie électorale semble
jouée d’avance, des personnalités
politiques militent pour l’abstention.
Quelle est la position de Rachad?
Mourad Dhina:
Rachad considère que la nature même
du pouvoir algérien est en totale
contradiction avec la notion d'élections
libres. Le pouvoir ne conçoit les
élections que comme une cérémonie visant
à introniser ceux qu'il a décidé de
coopter. En plus de pratiques connues et
non constitutionnelles – conclaves
de hauts gradés pour prendre des
décisions politiques – il y a un
attirail législatif qui muselle toute
action concrète de l'opposition comme
par exemple les lois sur les
associations (et partis politiques)
et sur l'information. La position
de Rachad est dans ce contexte
la « non-participation » qui diffère du
boycott par le fait que nous refusons ce
mode de gouvernance dans son intégralité
et que nous considérons que l'urgence
réside dans un changement de fond de la
nature du système politique algérien.
Ceci pourrait venir à travers un
consensus et une période de transition.
Le pouvoir actuel pourrait participer à
ce processus s'il choisit la voie de la
sagesse et ne continue pas dans une
fuite en avant qui conduirait
inéluctablement à son effondrement. En
effet, comme le démontre la grave crise
que l'on a vue en ce début 2014 au
sommet du régime, le pouvoir est tout
simplement en faillite.
« Il ne
faut pas oublier que l'Algérie est
toujours sous l'emprise de « l'Etat-DRS
»
Plusieurs anciens vrais
moudjahidine – dont Djamila Bouhired et
Yassef Saadi, pour ne citer que les plus
connus – appellent à manifester contre
le quatrième mandat. Soutenez-vous leur
initiative ? En préconisez-vous d’autres
?
Mourad Dhina: Nous
sommes contre un quatrième mandat de
Bouteflika mais nous tenons aussi à
rappeler que Bouteflika n'est qu'une
face du problème. Il ne faut pas oublier
que l'Algérie est toujours sous
l'emprise de « l'Etat-DRS » et nous
craignons que certains de ceux qui
s'opposent à Bouteflika ne le font que
pour tenter de sauver cet « Etat-DRS
». Nous, nous disons non à l' «
Etat-DRS » qui a mis en place le «
système Bouteflika » et qu'il faut
mettre un terme à cette situation dans
sa globalité. Nous ne soutiendrons que
les initiatives allant dans ce sens.
Notre souhait est de voir ceux qui
partagent cette vision se rassembler et
oeuvrer pour une période de transition.
Nous avons des idées claires à ce sujet
et nous souhaitons en débattre avec tous
les partenaires pour en finaliser les
objectifs et les modalités.
« Les
valeurs comme le travail, l’honnêteté ou
l'éducation sont discréditées dans la
pratique et mal vues par le régime »
Des troubles qui secouent
l’Algérie depuis quelques années, les
médias occidentaux ne retiennent que les
manifestations de chômeurs du sud
algérien et les émeutes au Mzab. Au-delà
du malaise profond qui parcourt la
société algérienne, pensez-vous que ces
mouvements peuvent être manipulés par
l’étranger ?
Mourad Dhina: Ceux
qui voient la « main de l'étranger »
à chaque crise qui secoue le pays
exagèrent et ils le savent bien car le
malaise en Algérie est réel et profond.
Les raisons de ces malaises sont
diverses et les revendications sont
souvent légitimes mais résultent parfois
de la devise « prendre sa part
maintenant ou jamais » qui est le fruit
des politiques du régime. Ces politiques
véhiculent le message que tout ce qui
est réalisé dans le pays – logements,
routes, etc… - est un bienfait du régime
ou de « fakhamatouhou »
(Bouteflika) alors que des valeurs comme
le travail, l’honnêteté ou l'éducation
sont discréditées dans la pratique et
mal vues par le régime car elles
affranchissent le citoyen de la tutelle
du pouvoir bienfaiteur, omniprésent et
qui ne peut donc être remplacé.
L'Algérien Lambda considère donc que cet
« Etat » doit lui donner tout
et tout de suite parce que « tout le
monde » et surtout les privilégiés
du régime se servent à leur guise. C'est
une façon de dire aux dirigeants : «
vous bouffez » sans impunité, nous
voulons aussi notre part ! Bien
évidemment il y a aussi des
revendications tout à fait légitimes
découlant d'injustices et de
dysfonctionnements d'un Etat sclérosé
qui repose sur le népotisme et la
médiocrité. Il y a aussi certainement
des conflits entretenus par le pouvoir,
soit par incompétence, par fourberie ou
manipulation. En ce qui concerne
l'ingérence étrangère, tout patriote ne
peut bien sûr pas l'ignorer mais je
pense qu'aujourd'hui l'ingérence
étrangère trouve sa voie en Algérie à
cause des crises au sommet, de la
corruption et du sentiment de vide
politique. L'apathie ou le gel des
instruments constitutionnels de
contrôle, comme le parlement ou la Cour
des comptes, rend encore plus facile
cette ingérence. Il est évident
aujourd'hui que celui qui ouvre la voie
à l'ingérence étrangère est justement ce
pouvoir et ses relais corruptibles. Les
« étrangers » ont des intérêts
et ils ne se priveront pas de profiter
de la situation tant que l'Algérie
continuera d'être gérée par un pouvoir
moribond et en rupture avec son peuple.
« Je
garde espoir que le rêve d'une Algérie
nouvelle, prospère, puissante et
garantissant à ses citoyens dignité et
liberté, est réalisable »
L’Algérie semble être une
nouvelle fois arrivée à un point de
rupture. Quels sont, pour votre pays,
les avenirs possibles à court et moyen
terme?
Mourad Dhina:
L'apogée d'une crise peut être un point
d'inflexion et se muer en opportunité.
J'espère que nous avons fini notre chute
et que nous ne trouverons pas un moyen
pour creuser plus profond et aller vers
l'éclatement de notre pays. Il est
évident que nous sommes dans une phase
importante : fin de l'ère Bouteflika,
discrédit du système DRS, ras le bol
généralisé vis-à-vis de la soit disant
légitimité historique dévoyée et échecs
moraux, sociaux et économiques patents.
Il y a aussi une prise de conscience
dans la société civile et les élites
politiques de la nécessité d'un
consensus et d'un compromis qui
ouvrirait la voie vers la construction
d'un Etat de droit et que c'est la
société qui doit en être le moteur et le
garant. J'ai la conviction que cette
perception est partagée y compris par de
très nombreux officiers de l'armée
algérienne qui devront participer à
cette nouvelle étape de réforme du
système de gouvernance en Algérie. Il
est en effet important que soit défini
de manière claire et contrôlable le rôle
de l'armée et des services de sécurité
et de renseignement dans le système
politique auquel nous aspirons. Je garde
espoir que le rêve d'une Algérie
nouvelle, prospère, puissante et
garantissant à ses citoyens dignité et
liberté, est réalisable.
*Mourad Dhina - physicien
algérien formé au MIT, ancien chercheur
au CERN et professeur à l’université
polytechnique de Zurich - est un
opposant algérien résidant à Genève où
il dirige Alkarama, une ONG
arabe des droits de l’homme. En 2007, il
a cofondé le mouvement Rachad
(« droiture » en français)
après avoir représenté le Front
Islamique du Salut (FIS) à
l’étranger. Il milite pour un changement
politique non-violent dans son
pays.
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© G. Munier/X.
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Publié le 28 février 2014 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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