Sputnik
« Le Donbass ne refera jamais partie de
l'Ukraine »
Entretien avec Konstantin Dolgov
Mikhaïl Gamandiy-Egorov
© Sputnik.
Maxim Bilnov
Jeudi 2 avril 2015
Konstantin
Dolgov est co-président du Front
populaire de Novorossia.
Mikhail Gamandiy-Egorov,
Sputnik France: Vous venez d'arriver
de Donetsk. Comment se déroule la vie de
la population depuis les accords de
Minsk-2? Et globalement quelles sont les
nouvelles?
Konstantin
Dolgov: Le principal point positif
de la trêve que l'on observe depuis les
accords de Minsk 2 est que la population
civile ne soit pas tuée. Néanmoins, la
partie ukrainienne continue de violer
l'accord de cessez-le-feu même si et il
faut le dire cela se passe généralement
sur la ligne de contact des forces
ukrainiennes et de nos troupes. En ce
qui concerne Donetsk, la ville est en
train de revivre. On voit la
réapparition d'embouteillages sur les
routes. Et pour la première fois depuis
le début de la guerre, on observe sur
les points de contrôle des files
d'attente de gens qui rentrent chez eux
en République populaire de Donetsk
depuis la Fédération de Russie.
Globalement, la
situation reste très compliquée. L'un
des principaux problèmes est que les
retraités continuent de ne pas pouvoir
toucher leurs retraites et ce depuis le
mois de juillet de l'année dernière.
Depuis le moment que Kiev ait tout
simplement volé les retraites des gens.
La position de la partie ukrainienne se
résume au fait que puisque les habitants
de Donetsk ont choisi la voie de
l'indépendance, Kiev refuse donc de leur
payer leurs retraites. C'est une
approche véritablement hypocrite puisque
tous ces gens durant de bien longues
années avaient cotisé aussi bien au sein
de la République socialiste soviétique
d'Ukraine, puis au sein de l'Ukraine
dite indépendante. De leurs salaires ils
cotisaient au fonds de pension. L'argent
du fonds de pension se trouve à Kiev. En
conséquence de quoi, cet argent dû de
plein droit aux habitants est tout
simplement volé par Kiev et les
personnes touchées ne peuvent jusqu'à
présent pas toucher leurs retraites.
Cette situation peut être caractérisée
comme une catastrophe humanitaire. Nous
avons à l'heure d'aujourd'hui environ
1,5 million de retraités qui se trouvent
toujours sans retraites. Tout récemment
nous avons commencé à payer les salaires
aux employés de l'Etat, aux professeurs,
médecins mais il y a encore un manque
sérieux d'argent, en premier lieu cela
concerne la masse monétaire. C'est ce
qui a poussé le leadership de la
république à déclarer que nous devenons
une zone multi-devises où le rouble
russe, l'euro ou le dollar ont tous une
libre circulation au même titre que la
hryvnia ukrainienne.
A Donetsk, comme
dans nos autres villes, l'écho de la
guerre se fait beaucoup ressentir.
Beaucoup de gens ont été victimes dans
ce qu'on appelle désormais l'ex-Sud-Est
ukrainien. Et on le voit ne serait-ce
qu'au niveau de notre fondation
caritative Belaya kniga (« Livre blanc
»), que je dirige. Tous les jours nous
recevons des dizaines, et parfois même
des centaines, de demandes d'aide.
Directement de la part des personnes, ou
via leurs proches, qui ont été blessés
lors des attaques ukrainiennes.
Certaines de ces personnes sont
aujourd'hui handicapées. Ou encore de la
part de personnes ayant perdu leur foyer
après les bombardements ukrainiens.
Notamment le village de Peski se
trouvant non loin de Donetsk, qui a été
tout simplement détruit et rasé. Les
vétérans de la Grande guerre patriotique
à l'instar des autres retraités ne
touchent également pas ce qui leur
revient de droit. Ce dont Kiev a
l'obligation de payer mais qu'il refuse.
Les orphelinats aussi se trouvent dans
une situation très délicate, notamment
au niveau de l'approvisionnement en
produits de base, telle que la
nourriture. Il y a des orphelinats aussi
qui ont des problèmes de chauffage et
d'approvisionnement en eau. En ce qui
concerne les personnes devenues
handicapées, bien souvent ils ont besoin
de prothèses ou d'opérations couteuses.
Des centaines de personnes juste à
Donetsk.
Sputnik France:
Tous ces problèmes que vous venez de
mentionner, vont-ils pouvoir être réglés
dans un avenir prévisible?
Konstantin
Dolgov: Ils vont être réglés mais il
faut bien comprendre que nous nous
trouvons toujours en situation de
guerre. Bien que la trêve soit
globalement respectée, ce n'est un
secret pour personne que l'Ukraine se
prépare de nouveau à attaquer le
Donbass. Vraisemblablement ils utilisent
l'expérience du massacre opéré par la
Croatie en République serbe de Krajina.
Cette dernière était devenue un Etat à
part entière mais la Croatie avec le
soutien des instructeurs étasuniens et
de sociétés privées appartenant
également à de hauts gradés militaires
américains, s'était alors préparée à la
reconquête en mobilisant et en
modernisant ses forces armées. Et au
cours d'un « blitzkrieg » elle avait
écrasé ce qu'ils appelaient « le foyer
du séparatisme ». Kiev vraisemblablement
prépare le même type de scénario et nous
recevons bon nombre d'information
confirmant cette thèse. Kiev mobilise
ses citoyens. Bientôt leurs forces
armées atteindront le chiffre de 500 000
personnes: l'armée ukrainienne, les
soi-disant « bataillons territoriaux »,
la « garde nationale ». D'autre part, de
sérieuses discussions sont menées sur
les livraisons d'armes à l'Ukraine par
les USA. Mais de fait les armes
américaines s'y trouvent déjà et nous le
savons. Lorsque nous avons libéré
l'aéroport de Donetsk, nous y avons
trouvé les armes Made in USA. D'autre
part encore, l'Ukraine continue
d'appliquer ce qu'ils appellent l'impôt
militaire ou selon les termes officiels
« l'impôt pour l'opération
anti-terroriste » (1,5% de prélèvement
sur les salaires et revenus ukrainiens,
ndlr). De nouveaux véhicules blindés et
autres armements sont envoyés à
différents endroits, notamment dans les
directions de Kharkov-Izium, Izium-Slaviansk
et d'autres. Tout cela certainement pas
pour appliquer les accords de Minsk.
Evidemment dans
cette situation, il est encore difficile
d'assurer une vie normale aux citoyens
de la République populaire de Donetsk.
Nous sommes obligés de nous préparer à
la guerre qui très certainement aura
lieu. C'est une question de temps. Nous
allons assurer la défense des habitants
de Donetsk, Lougansk et de nos autres
villes. Cela nécessite évidemment
beaucoup d'efforts, aussi bien au niveau
du leadership de nos républiques
populaires, ainsi que de tous les
habitants. Et c'est ce qui rend
difficile la reconstruction pacifique
qui permettra de retrouver une vie
normale. Notre devoir est d'assurer la
sécurité de nos citoyens et le faire
sans des forces armées efficaces est
tout simplement impossible. Si l'Ukraine
réussit à réaliser ses plans pour le
Donbass et que nous ne puissions pas
assurer une défense digne de ce nom, le
nombre des victimes se comptera par
centaines de milliers. Néanmoins et
globalement la situation s'améliore
déjà. Et aujourd'hui on peut même dire
que dans certains domaines, la DNR et la
LNR, dépassent le niveau des territoires
ukrainiens, pourtant non touchés par la
guerre. En premier lieu cela concerne
les services publics. Les bâtiments
résidentiels sont chauffés et bien mieux
que dans le reste de l'Ukraine. D'autre
part, nous avons gelé les prix pour les
services publics alors que parallèlement
en Ukraine sur certaines positions ils
ont été augmentés de sept fois,
notamment en ce qui concerne le gaz…
Notre objectif est bien évidemment de
poursuivre le travail dans cette voie
afin que malgré la guerre et l'agression
de l'Ukraine contre nos républiques,
nous puissions assurer un niveau de vie
meilleur dans nos républiques qu'en
Ukraine. Il s'agit du meilleur argument
possible pour tous les habitants qui se
trouvent encore sur les territoires
occupés par le pouvoir autoproclamé
kiévien. Nous considérons que les 35
millions de citoyens de l'Ukraine qui se
trouvent de fait pris en otages par un
gang de criminels de guerre basé à Kiev,
par les Porochenko, Iatseniouk et
autres, représentent le véritable
potentiel de développement de Novorossia
auquel nous devons penser.
Sputnik France
: Donc selon vous la reprise des
combats est juste une question de temps,
c'est bien cela?
Konstantin
Dolgov : Oui. Et d'après les
informations que nous possédons, cela
peut arriver pratiquement d'un jour à
l'autre. L'Ukraine possède toutes les
possibilités de passer à l'offensive sur
certains endroits du front déjà
aujourd'hui. Bien que et il est
important de le mentionner,
l'application de Minsk 2 à la différence
de Minsk 1 est garantie par plusieurs
pays de la communauté internationale,
dont deux possèdent un statut de
puissances nucléaires: la Russie et la
France. Mais il faut toujours se
rappeler que la décision de violer
l'accord Minsk 2 par Porochenko ne va
pas être prise par ce même Porochenko,
mais bien à Washington. Compte tenu
d'une certaine stabilisation économique
que l'on observe actuellement en
Fédération de Russie: on voit que le
rouble se renforce par rapport au
dollar, que les sanctions appliquées par
les USA et l'UE n'ont pas eu l'effet
escompté sur la Russie, il est donc tout
à fait probable qu'afin de recréer une
situation de déstabilisation aux
frontières russes, Washington poussera
Porochenko à la reprise de la guerre
chez nous dans le Donbass. La météo
s'est détériorée en ce moment: un vent
très fort, avertissement de tempêtes, à
certains endroits fortes pluies et
neige. Un moment donc qui n'est pas
idéal pour lancer l'offensive. Mais les
prévisions météorologiques annoncent que
d'ici 10 jours, le temps deviendra
ensoleillé. Au Donbass nous avons les
steppes, qui sèchent rapidement. Donc
toutes les conditions seront réunies du
côté ukrainien pour un déplacement «
confortable » de leurs véhicules blindés
et donc pour attaquer nos villes. A
notre niveau ce que je peux dire c'est
que nous sommes prêts à contrer les
attaques qui nous visent.
Sputnik France
: En ce moment on observe beaucoup
de discussions externes sur l'avenir de
la DNR et la LNR. Certains parlent d'une
« large autonomie » et qu'en tout cas
les républiques populaires vont rester «
au sein de l'Ukraine ». Pouvez-vous
aujourd'hui répondre à cette question et
mettre les points sur les « i »?
Konstantin
Dolgov : Ce que je vais dire sera
mon opinion personnel. Je parlerai de la
tendance générale que j'observe. Cette
tendance générale est simple: le Donbass
dans tous les cas ne refera plus partie
de l'Ukraine. Si c'était l'opposé, les
millions de personnes vivant dans nos
républiques ne le comprendront tout
simplement pas et ne pourront
l'accepter. Ils seront alors obligés de
partir massivement. Où? Bien évidemment
sur le territoire de la Fédération de
Russie, le seul pays qui assiste
véritablement Novorossia. En premier
lieu grâce aux convois humanitaires que
la Russie envoie dans le Donbass. Non,
le Donbass ne fera pas partie de
l'Ukraine. Nos habitants sont
catégoriquement opposés à toute idée de
retour au sein du pays qui massacrait
ses concitoyens d'hier. En parlant
d'indépendance, j'aimerai à ce titre
faire un retour aux événements du
printemps dernier, du printemps 2014
rentré dans l'histoire comme le «
Printemps russe ». Nous allons regarder
la vérité dans les yeux. Les gens qui
sont sortis dans les rues pour
manifester ne le faisaient pas pour la
DNR et la LNR. Oui, il y avait ceux qui
dès le départ réclamaient
l'indépendance, il y avait aussi ceux
qui prônaient la fédéralisation au sein
de l'Ukraine. Ces derniers étaient
certes bien minoritaires mais ils y
étaient aussi. Le fait principal est que
l'écrasante majorité des habitants des
régions de l'ex-Sud-Est ukrainien
voulaient suivre la même voie que la
Crimée. Mais ce qui nous réunissait tous
était le fait que nous réclamions la
tenue d'un référendum pour déterminer le
futur de notre terre dans la mesure où
un coup d'Etat anticonstitutionnel
venait d'avoir lieu à Kiev. Il n'y a
donc plus de pouvoir légitime ukrainien
au niveau de l'Etat. Le pouvoir passait
au niveau des autorités locales qui
devaient déterminer leur futur.
Certaines d'entre elles ont préféré
faire allégeance au gouvernement
putschiste autoproclamé à Kiev. Mais les
collectivités territoriales n'ont pas
disparu et à ce titre Donetsk, Lougansk,
Kharkov, Odessa et les autres régions
voulaient qu'une seule chose: un
référendum sur leur statut. Ce que je
peux dire une fois encore c'est que dans
toutes ces régions de l'ex-Sud-Est
ukrainien, l'écrasante majorité des
habitants souhaitaient suivre la Crimée
et rejoindre la Fédération de Russie. Et
même lorsqu'on a vu la formation des
Républiques populaires de Donetsk et de
Lougansk après le référendum du 11 mai
dernier qui devait justement valider
leurs indépendances, c'était vu par les
habitants comme un statut provisoire. Le
8 mai je suis sorti de la prison de
Kharkov et j'ai dû quitter le territoire
ukrainien pour éviter une autre
arrestation par les services spéciaux
kiéviens qui se profilait pour me
retrouver à Donetsk. Et en observant les
sentiments régnants, aussi bien à
Donetsk qu'à Lougansk, la création des
républiques populaires était perçue
comme une étape intermédiaire avant le
rattachement à la Fédération de Russie.
A ce titre, on se préparait à faire une
demande officielle. Puis le 26 mai les
premières bombes ukrainiennes sont
tombées sur Donetsk. L'aviation
ukrainienne a lancé ses bombardements.
Et la guerre se poursuit jusqu'à
aujourd'hui. Mais à titre personnel, je
suis convaincu qu'à un moment ou un
autre, la grande partie du territoire
appelé Ukraine, à l'exception
probablement des cinq oblasts de
l'Ouest, va demander à rejoindre la
Fédération de Russie, y compris Kiev.
Sputnik France
: Donc selon vous le projet
Novorossia va s'étendre bien au-delà des
Républiques populaires de Donetsk et de
Lougansk?
Konstantin
Dolgov : Je pense qu'un jour
on verra le drapeau de Novorossia en
qualité d'un des sujets de la Fédération
de Russie, au même titre que celui de la
Crimée qui a été rajouté au sein du
bâtiment du Conseil de la Fédération
regroupant tous les drapeaux de tous les
sujets composant la Russie. En fin de
compte, on y verra aussi le drapeau de
Novorossia.
|