Syrie
Conversation avec le
Président syrien Bachar al-Assad
Foreign Affairs Magazine
Photo:
D.R.
Lundi 26 janvier 2015
[Texte intégral]
Le 20 janvier 2015, à
Damas, le Président syrien Bachar al-Assad
a accordé une entrevue à M. Jonathan
Tepperman, Rédacteur en chef du Foreign
Affairs Magazine. Voici le texte
intégral publié simultanément le lundi
26 janvier 2015, en anglais et en arabe,
par le magazine newyorkais, le site de
la Présidence syrienne et
l’Agence Arabe Syrienne
d’Information SANA. Nous l’avons traduit
à partir de la version anglaise. [NdT].
1. J’aimerais
commencer par vous interroger sur la
guerre. Elle dure depuis
près de quatre années
et vous en connaissez
les statistiques
: selon l’ONU,
plus de deux cent
mille personnes
tuées, un
million de
blessés et plus
de trois millions
de Syriens
ayant fui le pays.
Vos
forces
ont aussi subi de
lourdes pertes.
La guerre ne
peut durer éternellement.
Comment en voyez-vous
la fin ?
Partout dans monde, toutes les guerres
se sont toujours soldées par une
solution politique parce que la guerre,
en elle-même, n’est pas la solution. La
guerre est l'un des instruments de la
politique. Ainsi vous finissez par une
solution politique. Globalement, c’est
ainsi que nous la voyons.
2. Vous ne pensez pas que cette guerre
se réglera militairement ?
Non. Toute guerre se termine par une
solution politique.
3. Votre pays est de
plus en plus divisé. On pourrait parler
de trois mini-états : l’un contrôlé par
le gouvernement, l’autre contrôlé par
l’EIIL et Jabhat al-Nousra, puis un
autre contrôlé par l'opposition sunnite
et kurde plus laïque. Comment allez-vous
faire pour rassembler et réunifier la
Syrie ?
Tout d'abord, cette
image n’est pas exacte, parce que vous
ne pouvez parler de mini-états sans
parler des gens qui y vivent. Le peuple
syrien est toujours pour l'unité de la
Syrie et soutient toujours son
gouvernement. Les factions que vous avez
citées contrôlent certaines régions,
mais se déplacent d’une région à une
autre. Elles sont instables, sans lignes
de démarcation claires entre les
différentes forces. Parfois, elles
s’associent avant de se déplacer. La
question principale concerne la
population. Et la population soutient
toujours l’État indépendamment de son
soutien, ou non, à sa politique. Je veux
dire que la population soutient l'État
en tant que représentant de l'unité de
la Syrie. Donc, tant que le peuple
syrien croit en l'unité, tout
gouvernement et tout représentant
officiel peut unifier la Syrie. En
revanche, si le peuple est divisé en
deux, trois ou quatre groupes, nul ne
peut unifier le pays. Voilà comment nous
voyons les choses.
4. Vous pensez
vraiment que les sunnites et les Kurdes
croient encore en une Syrie unifiée ?
Si vous vous rendiez
à Damas aujourd’hui, vous constateriez
que les différentes couleurs de notre
société -disons le-ainsi- vivent
ensemble. En Syrie, les divisions ne se
fondent pas sur des bases
confessionnelles ou ethniques. Même dans
la région kurde dont vous parlez, nous
avons deux couleurs différentes : les
Arabes étant plus nombreux que les
Kurdes. Il ne s’agit donc pas d’une
question d’ordre ethnique, mais de
factions qui contrôlent, militairement,
certaines zones du pays.
5. Il y a un an,
l'opposition ainsi que les gouvernements
étrangers soutenaient que votre
destitution était la condition préalable
aux négociations. Ce n’est plus le cas.
Les diplomates sont maintenant à la
recherche d'une solution intermédiaire
qui vous permettrait de garder un rôle.
Aujourd'hui même, le New York Times a
publié un article concernant le soutien
appuyé des États-Unis en faveur des
initiatives de paix russe et onusienne.
L‘article souligne que : « L'Occident
n’exige pratiquement plus que le
président de la Syrie quitte
immédiatement le pouvoir ». Vu ce
changement d'attitude de la part de
l’Occident, êtes-vous désormais plus
ouvert à une solution négociée du
conflit menant à une transition
politique ?
Dès le tout début
nous étions ouverts. Nous nous sommes
engagés dans un dialogue avec chaque
partie en Syrie, qu’il s’agisse d’un
parti, d’un courant, d’une personnalité
et de n’importe quelle entité
politiques. Nous avons modifié la
Constitution et nous sommes ouverts à
toutes les discussions. Mais quand vous
voulez agir, vous ne le faites pas en
fonction de l’opposition ou du
gouvernement, mais en fonction des
Syriens. Il se trouve parfois que vous
ayez affaire à une majorité qui
n’appartient à aucun courant. Donc,
aussi longtemps que vous vous attaquez à
un problème national et que vous voulez
le changement, chaque Syrien a son mot à
dire. Ainsi, le dialogue ne peut se
résumer au gouvernement et à
l’opposition, mais doit s’instaurer
entre les différentes parties et entités
syriennes. Voilà comment nous
envisageons le dialogue. C’est là un
premier point. Le deuxième est que,
quelle que soit la solution que vous
adoptiez, vous devrez finalement revenir
vers le peuple par voie de référendum,
parce que vous parlez de Constitution ou
de modification d’un système politique.
Vous devrez consulter le peuple syrien.
Ce n’est pas la même chose que de
s’engager dans un dialogue et de prendre
des décisions. Le dialogue ne peut se
faire uniquement entre le gouvernement
et l'opposition.
6. Donc, vous êtes
entrain de dire que vous n’accepterez
aucune sorte de transition politique qui
n’ait été soutenue par voie
référendaire ?
Exactement. C’est au
peuple de prendre la décision et à
personne d'autre.
7. Est-ce que cela
signifie qu'il n'y a pas place pour les
négociations ?
Non, nous irons en
Russie, nous nous rendrons à ces
négociations, mais la question qui se
pose est : avec qui négocierons-nous ?
En tant que gouvernement, nous avons des
institutions, nous avons une armée, et
nous avons une influence, positive ou
négative, dans n’importe quelle
direction et à tout moment ; alors que
les gens avec lesquels nous allons
négocier : qui représentent-ils ? Là est
la question. Parler d’opposition
implique d’en préciser le sens. En
général, l'opposition dispose de
représentants dans l'administration
locale, au parlement, dans les
institutions, et ses représentants
doivent s’appuyer sur des racines
populaires qui les délèguent. Dans la
crise actuelle, vous devez vous poser
des questions quant à l'influence de
l'opposition sur le terrain. Vous devez
vous rappeler ce que les rebelles ont
déclaré publiquement et à plusieurs
reprises : « l'opposition ne nous
représente pas ». Si donc, vous
envisagez un dialogue fructueux, il
devra être entre le gouvernement et les
rebelles. Par ailleurs, l’opposition
signifie qu’elle est nationale,
c'est-à-dire de travailler dans
l’intérêt du peuple syrien. Il ne peut
s’agir de marionnettes du Qatar, de
l'Arabie saoudite, ou de n’importe quel
pays occidental dont les États-Unis,
payées par l’étranger. Elle doit être
syrienne. Nous avons une opposition
nationale. Je ne l’exclue pas ; je ne
dis pas que toute opposition est
illégitime. Mais vous devez distinguer
entre le national et les marionnettes.
Tout dialogue n’est pas fructueux.
8. Est-ce que cela
signifie que vous ne voulez pas
rencontrer les forces de l'opposition
soutenues par des pays étrangers ?
Nous allons
rencontrer tout le monde. Nous n’avons
pas posé de conditions.
9. Pas de
conditions ?
Pas de conditions.
10. Vous rencontrerez
tout le monde ?
Oui, nous allons
rencontrer tout le monde. Mais il faudra
demander à chacun : « Qui
représentez-vous ? ». C’est ce que je
veux dire.
11. Si je ne me
trompe, l’adjoint de l’Émissaire spécial
de l'ONU Staffan de Mistura est
actuellement en Syrie. Comme mesure
provisoire, ils proposent un cessez-le
feu et un gel des combats à Alep.
Accepteriez-vous cette proposition ?
Oui, bien sûr. Nous
l’avons pratiquée bien avant que de
Mistura n’ait pris ses fonctions. Nous
l’avons mise en œuvre à Homs, une autre
grande ville, et l’avons aussi
expérimentée à plus petite échelle dans
différentes banlieues, villages ou
autres. Elle a réussi. L’idée est donc
très bonne, mais dépend des détails. De
Mistura est venu en Syrie avec de gros
titres. Nous en avons accepté certains
et attendons son calendrier ou son plan
détaillé de A à Z. Nous en discutons
avec son adjoint.
12. Dans le passé,
vous avez exigé, comme condition
préalable au cessez-le-feu, que les
rebelles déposent leurs armes ; ce qui,
de leur point de vue, est évidemment
inacceptable. Est-ce toujours votre
pré-condition ?
Nous choisissons
différents scénarios ou différentes
réconciliations. Dans certaines régions,
nous leur avons permis de quitter les
zones habitées afin d'éviter des
victimes parmi les civils. Ils ont
quitté en emportant leurs armements.
Dans d'autres régions, ils ont déposé
leurs armes avant de quitter. Cela
dépend de ce qu'ils offrent et de ce que
vous leur proposez.
13. Je ne suis pas
sûr d’avoir compris votre réponse.
Exigez-vous qu’ils déposent leurs armes
?
Non. Je n’ai pas dit
cela. J’ai dit que dans certaines
régions, ils ont abandonné le terrain
sans déposer leurs armes.
14. Êtes-vous
optimiste sur les négociations de Moscou
?
Ce qui se passe à
Moscou ne correspond pas à des
négociations sur la solution; ce ne sont
que les préparatifs en vue de la
conférence.
15. Donc, des
négociations vers les négociations ?
Exactement, ou
comment se préparer aux négociations.
S’agissant d’une conférence, il s’agit
d’en déterminer les principes. Je
reviens vers le même point sur lequel
vous me permettrez d’être franc : comme
je l’ai déjà dit, certains groupes sont
des marionnettes manipulées par d'autres
pays et doivent mettre en œuvre leur
agenda. Je sais que nombre de pays,
telle la France par exemple, n’ont pas
intérêt à ce que cette conférence
réussisse. Ils donneront donc des ordres
pour qu’elle échoue. Vous avez d'autres
personnalités qui ne représentent
qu'eux-mêmes. Ils ne représentent
personne en Syrie, certains n’ayant
jamais vécu au pays ne connaissent rien
de la Syrie. Et, bien sûr, vous avez
d'autres personnalités qui travaillent
pour l'intérêt national. Donc, quand
vous parlez de l'opposition comme d’une
seule entité, il s’agit de savoir qui va
influencer l'autre. Là est la question.
Ce n’est pas clair pour le moment. Par
conséquent, l'optimisme serait exagéré.
Je ne dirais pas que je suis pessimiste.
Je dirais que nous avons espoir dans
chaque action.
16. Il semble que ces
derniers temps les Américains soient
devenus plus favorables aux pourparlers
de Moscou. Au départ, ils ne l’étaient
pas. Hier, le secrétaire d'État Kerry a
laissé entendre que les États-Unis
espéraient que les négociations avancent
et qu’elles réussissent.
Ils disent toujours
des choses, mais il s’agit de ce qu’ils
vont faire. Et vous savez qu’il y a de
la méfiance entre les Syriens et les
États-Unis Il suffit donc d’attendre ce
qui se passera lors de la conférence.
17. Selon vous, quel
serait le meilleur moyen pour conclure
un accord entre toutes les parties
intervenant en Syrie ?
Ce serait de traiter
directement avec les rebelles, en
sachant que vous avez deux types de
rebelles. La majorité est représentée
par Al-Qaïda, c'est-à-dire l’EIIL,
Jabhat al-Nousra et d'autres factions
similaires, moins importantes, mais qui
appartiennent aussi à Al-Qaïda. Le reste
correspond à ce qu’Obama a désigné par
« fantasy » et qu’il a qualifié
d’opposition modérée. Ce n’est pas une
opposition. Ce sont des rebelles. La
plupart d'entre eux ont rejoint Al-Qaïda
et, récemment, certains ont rejoint
l'Armée. La semaine dernière, beaucoup
ont quitté leurs groupes pour la
rejoindre.
18. Ceux qui sont
revenus étaient des déserteurs ?
Oui, ils sont revenus
vers l'armée en disant : « Nous ne
voulons plus nous battre ». Ainsi, ceux
qui restent de ce groupe sont peu
nombreux. Au bout de ce compte,
pouvez-vous négocier avec Al-Qaïda et
ceux-là ? Eux ne sont pas prêts à
négocier. Ils ont leur propre plan. La
réconciliation que nous avions initiée
et que M. de Mistura va continuer est la
solution pratique sur le terrain. Ceci
est un premier point. Le deuxième est
que vous devez appliquer la Résolution
du Conseil de sécurité N° 2170, adoptée
il y a quelques mois, et relative à
Jabhat al-Nousra et à l’EIIL. Cette
résolution est très claire et interdit à
quiconque de soutenir ces factions
militairement, financièrement ou
logistiquement ; alors que la Turquie,
l'Arabie saoudite et le Qatar le font
encore. Si elle n’est pas mise en œuvre,
nous ne pourrons pas parler d'une
véritable solution, car les obstacles
persisteront tant qu’ils dépenseront
leur argent. C’est d’ailleurs par là
qu’il faudrait commencer. Le troisième
point est que les pays occidentaux
doivent ôter le parapluie couvrant ceux
qu’ils présentent comme une opposition
modérée. Ils savent que nous avons
principalement affaire à Al-Qaïda, à
l’EIIL et à Al- Nousra.
19. Seriez-vous prêt
à prendre des mesures pouvant renforcer
la confiance avant les pourparlers [de
Moscou] ? Par exemple : échanges de
prisonniers, arrêt de l’utilisation de
bombes à canon, libération de
prisonniers politiques, dans le but de
prouver au camp adverse que vous êtes
prêt à négocier de bonne foi ?
Il ne s’agit pas
d’une relation personnelle, mais de
mécanismes. En politique, on ne parle
que des mécanismes. Il n’est pas
nécessaire d’avoir confiance en
quelqu’un pour agir. Si le mécanisme est
clair, vous pouvez parvenir à un
résultat. C’est ce que veut le peuple.
La question est : quel mécanisme
pouvons-nous mettre en place ? Ce qui
nous ramène au même questionnement. Qui
sont-ils ? Qui représentent-ils ? Quelle
influence ont-ils ? Sur quel point
construire la confiance avec des gens
sans influence ?
20. Quand deux
parties se rejoignent, il est souvent
très utile que l’une des deux montre à
l'autre partie qu’elle souhaite vraiment
avancer, en prenant des mesures
unilatérales pour tenter de réduire la
fièvre. Les mesures que j’ai décrites
auraient cet effet.
Vous disposez d’une
chose concrète, et c’est la
réconciliation. Ils ont abandonné leurs
armes, nous leur avons donné l'amnistie,
ils mènent une vie normale. C’est un
exemple réel et c’est une mesure de
confiance. D'autre part, quel rapport
y’a-t-il entre cette opposition et les
prisonniers ? Il n’en y a aucun. De
toute façon, ces prisonniers ne sont
pas
des leurs et c’est donc une toute autre
question.
21. Ainsi, vous avez
offert l'amnistie aux combattants ?
Oui, bien sûr, et
nous l'avons fait à plusieurs reprises.
22. Combien ?
Avez-vous des chiffres ?
Je n’ai pas de
chiffres précis, mais il s’agit de
milliers de combattants et non de
quelques centaines.
23.Êtes-vous prêt à
dire à l'opposition, toute entière, que
si elle déposait les armes, elle serait
hors de danger ?
Oui. Je l'ai dit
publiquement dans un de mes discours.
24. Comment
pouvez-vous garantir qu’ils seront en
sécurité ? Parce qu’ils ont des raisons
de se méfier de votre gouvernement.
Vous ne pouvez pas.
Mais, en fin de compte, nous avons ainsi
obtenu plus de 50% de réussites, ce qui
est un succès dans de telles
circonstances. C’est ainsi. Rien n’est
absolu. Vous devez vous attendre à
certains aspects négatifs, mais ce n’est
pas l’essentiel.
25. Permettez-moi de
passer à un autre sujet. Le Hezbollah,
la Force Al-Qods d’Iran et les milices
chiites entraînées par les Iraniens
jouent désormais un rôle important dans
la lutte contre les rebelles ici, en
Syrie. Compte tenu de ce fait, êtes-vous
inquiet de l'influence de l'Iran sur le
pays ? Après tout, l'Irak et même le
Liban montrent qu'une fois une puissance
militaire étrangère installée dans un
pays, il peut être très difficile de lui
demander de repartir.
L'Iran est un pays
important dans cette région et il était
influent avant la crise. Cette influence
n’est donc pas liée à la crise. Elle est
liée à son rôle et à son positionnement
politique général. Différents facteurs
font qu’un pays donné est influent. Au
Moyen-Orient, notre région, vous avez
une même société, les mêmes idées,
beaucoup de choses qui se ressemblent,
et les mêmes tribus qui vont et viennent
à travers les frontières. Donc, si vous
pouvez influer sur un facteur, votre
influence franchira les frontières. Cela
fait partie de notre nature et n’est pas
source de discorde. Mais, il est évident
qu’en cas de conflits et d’anarchie, un
autre pays peut exercer un surcroit
d’influence sur le vôtre. C’est ce qui
arrive lorsque vous n’avez pas la
volonté d’être un pays souverain. Ceci
étant dit, la réponse à votre question
est que l’Iran n'a aucune ambition en
Syrie et nous, en tant que pays, nous ne
permettrons jamais à n’importe quel
autre pays d’influer sur notre
souveraineté. Nous ne l’accepterions pas
et les Iraniens ne le souhaitent pas non
plus. Nous acceptons la coopération. Si
nous acceptions de subir l’influence de
n’importe quel pays, pourquoi
refuserions-nous celle des États-Unis ?
Là est le problème avec les Américains
et avec l'Occident : ils veulent
l’influence, non la coopération.
26. Permettez-moi de vous
pousser un peu plus loin. La semaine
dernière, un commandant des forces
aérospatiales des Gardiens de la
Révolution islamique, le général
Hajizadeh, a déclaré que le Guide
suprême de l’Iran a ordonné à ses forces
de construire et d’exploiter des usines
de missiles en Syrie. Ceci suggère que
l’Iran est en train de jouer un rôle
plus important et le fait de son propre
chef.
Non, non. Jouer un
rôle par coopération est différent de
jouer un rôle par hégémonie.
27. Donc, tout ce que
l'Iran est en train de faire ...?
Bien sûr… c’est en
pleine coopération avec le gouvernement
syrien, comme toujours.
28. L’Iran est un
pays, mais vous avez des milices qui
sont des acteurs sub-étatiques plus
compliqués à gérer. Le problème
lorsqu’on travaille avec ces groupes est
que, contrairement à un gouvernement,
ils peuvent ne pas être disposés à
coopérer et il n’est pas toujours clair
à qui s’adresser. N’êtes-vous pas
inquiet de ne pouvoir les contrôler et
les freiner s’il le fallait ? Une
deuxième question étroitement liée :
cette semaine, Israël a attaqué les
forces du Hezbollah dans le Golan, les
Israéliens suggérant qu'ils l’ont fait
parce que le Hezbollah préparait une
attaque contre Israël à partir du
territoire syrien. Est-ce que cela ne
met pas aussi en évidence le danger de
laisser des milices ayant leurs propres
agendas, pas nécessairement les vôtres,
intervenir dans la guerre?
Vous parlez de
milices syriennes ou, plus généralement,
de toutes les autres ?
29. Je parle, plus
particulièrement, du Hezbollah et des
milices chiites irakiennes
Disons que,
normalement, seules les institutions
gouvernementales et étatiques sont la
garantie de la stabilité et de l'ordre.
Mais, dans certaines circonstances, tout
autre facteur qui jouerait un rôle
parallèle pourrait se révéler positif et
bénéfique, en sachant qu’il y’aura
toujours des effets secondaires
négatifs. Les milices qui soutiennent le
gouvernement sont un effet secondaire de
la guerre. C’est dans la nature des
choses. Elles sont là et vous tentez de
contrôler leurs effets, parce que tout
le monde sera plus tranquille si elles
coopèrent avec les institutions
gouvernementales, l'Armée, la police… Ce
qui s’est passé à Quneitra est
complètement différent. Depuis le
cessez-le feu de 1974, il n’y a jamais
eu d’opération contre Israël à partir du
Golan. Ce n’est jamais arrivé. Donc,
qu’Israël prétende avoir agi contre une
opération planifiée est fort loin de la
vérité, juste une excuse parce que les
israéliens ont voulu assassiner
quelqu’un du Hezbollah.
30. Pourtant, depuis
le début de la guerre, les Israéliens
ont été très attentifs à ne s’impliquer
que s’ils considéraient que leurs
intérêts étaient directement menacés.
Ce n’est pas vrai,
car ils lancent des attaques contre la
Syrie depuis près de deux années, sans
aucune raison.
31. Dans chaque
cas, ils ont déclaré que c’était à cause
des armes offertes au Hezbollah par
l’Iran et acheminées à travers la Syrie.
Ils ont attaqué les
positions de l'Armée [syrienne]. Quel
rapport entre le Hezbollah et l'Armée ?
32. Dans ces cas,
l’armée aurait été accidentellement
bombardée…
Ce sont de fausses
allégations.
33. Selon vous,
quel serait l’agenda d’Israël ?
Ils soutiennent
les rebelles en Syrie. C’est très clair.
À chaque fois que nous progressons
quelque part, ils lancent une attaque
dans le but de saper l'armée. D’où la
blague de certains Syriens : « Comment
pouvez-vous dire qu’Al-Qaïda ne dispose
pas d'une armée de l'air ? Elle dispose
de la force aérienne israélienne ».
34. Pour revenir à ma
question sur les milices, êtes-vous sûr
que vous serez capable de les contrôler
quand cette guerre prendra fin. Après
tout, la souveraineté effective de
n’importe quel gouvernement exige qu’il
ait ce que l’on appelle le monopole de
la force ; ce qui est très difficile
quand vous avez ces groupes armés
indépendants dans les parages ?
C’est évident :
l'État ne peut s’acquitter de ses
obligations envers la société s’il n’est
pas le seul maître de l'ordre.
35. Pourtant, vous
avez constaté combien c’est devenu
difficile, pour le gouvernement irakien,
de contrôler toutes les milices chiites
qui se sont renforcées pendant la
guerre.
En Irak, il y a une
raison très importante à cela : Paul
Bremer n'a pas créé une Constitution
pour l'État; il l’a créée pour les
factions. Alors qu’en Syrie, si l’armée
a tenu bon pendant quatre années en
dépit de l’embargo et de la guerre menée
par des dizaines de pays à travers le
monde, lesquels l’ont attaquée et ont
soutenu les rebelles, c’est parce
qu’elle dispose d’une réelle et
véritable Constitution laïque. En Irak,
la Constitution est sectaire. C’est dire
que ce n’est pas une Constitution.
36. Mais que
ferez-vous face à ces milices, une fois
la guerre terminée ?
Les choses devraient
revenir à la normale, comme avant la
guerre.
37. Et vous êtes
confiant… ?
Oui. Nous n’avons pas
d'autre choix. C’est le rôle du
gouvernement. Cela va de soi.
38. Quel est l'impact
de la baisse des prix du pétrole sur la
guerre en Syrie ? Après tout, vos deux
plus proches alliés et soutiens, l'Iran
et la Russie, sont très dépendants des
prix du pétrole et ont subi de
considérables dégâts budgétaires ces
derniers mois, à cause de cette baisse.
N’êtes-vous pas inquiet qu’ils ne soient
plus en mesure de continuer à vous aider
?
Non, cela n’a pas
d’effets sur la Syrie parce qu'ils ne
nous donnent pas d’argent. Et quand ils
nous aident, c’est sous forme de prêts.
Nous sommes comme tout autre pays.
Parfois nous payons, parfois nous avons
recours à des prêts.
39. Mais leur soutien
militaire leur coûte de l'argent, et ils
disposent de moins d’argent pour payer
leurs propres forces armées, ceci ne
risque t-il pas de devenir un problème ?
Non, parce que quand
vous payez les armes ou toute autre
marchandise, vous n’avez pas de
problème.
40. Vous dites que
tout ce que vous obtenez des Russes et
Iraniens... ?
Jusqu'à présent, nous
n’avons pas constaté de changements. Je
ne peux donc pas répondre à votre
question concernant l’impact [de la
baisse des prix du pétrole] qu’ils
subissent.
41. Lors de
précédentes entrevues, vous avez dit que
vous, et votre gouvernement, aviez
commis des erreurs au cours de cette
guerre. Quelles sont ces erreurs ?
Y’a-t-il des choses que vous
regretteriez ?
Tout gouvernement et
toute personne commettent des erreurs.
Une fois de plus, c’est une donnée
évidente. Mais lorsqu’il s’agit
d’erreurs politiques, il faudrait que
vous reveniez sur les principales
décisions prises depuis le début de la
crise. Nous en avons pris trois
principales : premièrement, rester
ouverts à tout dialogue ; deuxièmement,
modifier la Constitution et la Loi dans
le sens souhaité par beaucoup
d’opposants qui prétendaient qu’elles
étaient autant de raisons de la crise ;
troisièmement, défendre notre pays pour
nous défendre nous-mêmes et combattre
les terroristes.
Je ne pense pas que ces trois
décisions aient été mauvaises et
puissent être présentées comme des
erreurs. En revanche, si vous parler de
pratiques, n’importe quel fonctionnaire,
n’importe où, est susceptible de
commettre des erreurs. Il y a donc une
différence entre les erreurs de pratique
et les erreurs de politique.
42. Pouvez-vous
décrire certaines erreurs de pratique ?
Pour cela, je devrais
revenir vers les fonctionnaires sur le
terrain. En cet instant, rien de précis
ne me vient à l’esprit. Je préfère
parler des politiques.
43. Pensez-vous qu'il
y a eu des erreurs de politique dont
vous seriez responsable ?
J’ai déjà mentionné
les principales décisions.
44. Mais vous avez
dit que ce n’étaient pas des erreurs.
Défendre le pays
contre le terrorisme ? Si j’avais voulu
vous dire que c’étaient des erreurs,
j’aurais dit qu’il serait préférable de
soutenir les terroristes.
45. Je demande
juste s’il y a quelque chose que vous
avez fait et que, rétrospectivement,
vous feriez autrement.
Concernant ces trois
principales décisions, elles étaient
bonnes, j’en suis sûr.
46. Concernant les
erreurs de pratiques commises à un
niveau inférieur, est-ce que les
responsables ont rendu des comptes pour,
par exemple, les violations des droits
de l'homme, l'usage excessif de la
force, le ciblage au hasard des civils,
et ce genre de choses ?
Oui. Certaines
personnes ont été arrêtées parce
qu'elles avaient violé la loi dans ces
domaines ; ce qui, évidemment, arrive
dans de telles circonstances.
47. En rapport avec
les civils et les manifestants. Est-ce à
cela que vous faites allusion ?
Oui, tout au début
des manifestations. Oui.
48. Depuis que les
États-Unis ont lancé leur
campagne aérienne contre l'État
islamique, eux et la Syrie sont devenus
d’étranges partenaires coopérant
effectivement dans ce combat. Voyez-vous
la possibilité d’une coopération accrue
avec les États-Unis ?
La possibilité est
certainement toujours là, parce nous en
parlons et que nous sollicitons une
coopération internationale contre le
terrorisme depuis trente ans. Mais cette
possibilité nécessite de la volonté. La
question que nous posons est : est-ce
que les États-Unis ont vraiment la
volonté de combattre le terrorisme sur
le terrain ? Jusqu'à présent, nous
n’avons pas constaté quelque chose de
concret malgré leurs attaques contre
l’EIIL dans le nord de la Syrie. Rien de
concret. Ce que nous avons vu est,
disons, juste une vitrine. Rien de réel.
Depuis le début de ces attaques, l’EIIL
a gagné plus de terrain en Syrie et en
Irak.
49. Qu'en est-il des
frappes aériennes sur Kobané ? Elles ont
été efficaces pour ralentir l’EIIL.
Kobané est une petite
ville d’environ 50 000 habitants. Cela
fait plus de trois mois que les frappes
ont commencé, et ils n’en ont pas
terminé. Des surfaces identiques
occupées par les mêmes factions
d'Al-Qaïda ont été libérées par l'Armée
syrienne en moins de trois semaines.
Cela signifie qu'ils ne sont pas sérieux
dans
leur lutte contre le terrorisme.
50. Donc, vous êtes
entrain de dire que vous voudriez que
les États-Unis s’impliquent plus dans la
guerre contre l’EIIL ?
Il ne s’agit pas de
plus d’implication militaire, parce que
le problème n’est pas seulement
militaire, mais politique. Jusqu’à quel
point les États-Unis veulent-ils agir
sur les Turcs ? Car si les terroristes
ont pu résister aux frappes aériennes
pendant toute cette période, c’est bien
parce que la Turquie continue à leur
envoyer des armes et de l’argent. Est-ce
que les États-Unis ont mis la pression
sur la Turquie pour qu’elle cesse de
soutenir Al-Qaïda ? Ils ne l’ont pas
fait. Il ne s’agit donc pas
d’implication militaire US uniquement.
Ensuite, concernant l’engagement
militaire, les responsables américains
admettent publiquement que sans troupes
au sol, ils ne pourront aboutir à rien
de concret. De quelles troupes au sol
disposent-ils ?
51. Vous suggérez
qu’il devrait y avoir des troupes US sur
le terrain ?
Pas des troupes US.
Je parle d’un principe, le principe
militaire. Je ne parle pas de troupes
US. Si vous dites que vous voulez faire
la guerre contre le terrorisme, il vous
faudra des troupes sur le terrain.
Alors, la question que vous devez poser
aux Américains est : sur quelles troupes
allez-vous compter ? Ce sera, sans aucun
doute, sur les troupes syriennes. C’est
notre terre, c’est notre pays. Nous en
sommes responsables. Nous ne sollicitons
aucunement des troupes US.
52. Alors,
qu’attendez-vous des États-Unis ? Vous
avez mentionné plus de pression sur la
Turquie…
Pression sur la
Turquie, pression sur l'Arabie saoudite,
pression sur le Qatar, pour qu’ils
arrêtent de soutenir les rebelles.
Deuxièmement, coopération légale avec la
Syrie en commençant par demander
l’autorisation de notre gouvernement
avant de mener ces attaques. Ils ne
l’ont pas fait. C’est donc illégal.
53. Je suis désolé,
je n’ai pas bien saisi. Vous voulez
qu’ils rendent légal… ?
Bien sûr, si vous
envisagez n’importe quel type d'action
dans un autre pays, vous lui demandez
une autorisation.
54. Je vois. Un
accord formel entre Washington et Damas
autorisant les frappes aériennes ?
La forme, nous
pouvons en discuter plus tard, mais vous
commencez par l’autorisation. Sous forme
d’accord ? Sous forme de traité ? C’est
une autre question.
55. Et vous seriez
prêts à franchir le pas pour faciliter
la coopération avec Washington ?
Avec tout pays qui
serait sérieux en ce qui concerne la
lutte contre le terrorisme. Nous sommes
prêts à coopérer, s’ils sont sérieux.
56. Quelles mesures
seriez-vous prêts à prendre pour prouver
à Washington que vous voulez coopérer ?
Je pense que c’est à
eux de prouver cette volonté. Nous nous
battons déjà sur le terrain. Nous
n’avons pas à le démontrer.
57. Les États-Unis
sont actuellement entrain de former 5000
combattants syriens et ont programmé
leur entrée sur le territoire syrien en
mai. Maintenant, le général américain
John Allen a été très prudent en
déclarant que ces troupes ne seront pas
dirigées contre le gouvernement syrien,
mais se focaliseront sur l’EIIL
uniquement. Que ferez-vous quand ces
troupes entreront dans le pays ?
Allez-vous leur permettre d'entrer ?
Allez-vous les attaquer ?
Les troupes qui ne
travaillent pas en collaboration avec
l'Armée syrienne sont illégales et
devraient être combattues. C’est très
clair.
58. Même si cela vous
amène à entrer en conflit avec les
États-Unis ?
Sans coopération avec
les troupes syriennes, elles sont
illégales et sont les pantins d’un autre
pays. Elles seront donc combattues comme
toute autre milice illégale se battant
contre l'Armée syrienne. Mais cela amène
une autre question à propos de ces
troupes. Obama les a qualifiées de « fantasy ».
Comment un fantasme devient-il réalité ?
59. Je pense que
c’est avec cette sorte de programme de
formation.
Mais vous ne pouvez
pas former un extrémisme modéré.
60. Il y a encore
quelques éléments modérés dans
l'opposition. Ils sont de plus en plus
faibles, mais je pense que le
gouvernement US tente, très
soigneusement, de s’assurer que les
combattants qu’il forme ne sont pas
radicaux.
Reste à savoir
pourquoi l'opposition modérée -vous les
appelez opposition, nous les appelons
rebelles- est de plus en plus faible ?
C’est bien en raison de l'évolution de
la crise syrienne. En ramener 5000 de
l'extérieur conduira à ce que la
plupart
d'entre eux fassent défection et
rejoignent l’EIIL ou d’autres groupes,
comme cela s’est produit au cours de
l’année dernière. C’est pourquoi j’ai
dit que c’était encore une illusion. Ce
ne sont pas les 5000, mais l'idée
elle-même qui est illusoire.
61. Ce qui rend
Washington si réticent à coopérer
officiellement avec vous, ce sont des
accusations de graves violations des
droits humains par votre gouvernement.
Ces accusations ne proviennent pas
uniquement du gouvernement US, mais
aussi de la Commission des Droits de
l’Homme des Nations Unies, et de la
Commission spéciale d’enquête
indépendante de l’ONU. Je suis sûr que
ces accusations vous sont familières.
Elles comprennent les refus d’accès aux
camps de réfugiés pour les groupes de
secours, les bombardements de cibles
civiles, les preuves photos d’un
transfuge syrien -ayant pour nom de code
César- présentées devant le Congrès
américain et montrant de terribles
tortures et abus dans les prisons
syriennes. Êtes-vous disposé à prendre
des mesures sur ces questions afin de
faciliter la coopération avec les
États-Unis ?
Le plus drôle chez
cette administration est que c’est la
première de l’Histoire à construire ses
évaluations, puis ses décisions, à
partir des médias sociaux. Nous
l’appelons la « social media
administration », ce qui n’est pas le
cas de la gestion des politiques. Aucune
des accusations que vous avez
mentionnées n’est concrète. Ce sont des
allégations. Vous pouvez présenter des
photos de n’importe qui et accuser de
torture. Qui a pris ces photos ? Qui
est-il ? Personne ne le sait. Il n'y a
aucune vérification. Ce sont des
allégations sans preuves.
62. Mais les photos
de César ont été examinées par des
enquêteurs européens indépendants.
Non, non. Il est
financé par le Qatar, et ils disent que
c’est de source anonyme. Donc rien n’est
clair ou avéré. Les photos ne montrent
pas clairement de qui il s’agit. Juste
des clichés montrant, par exemple, une
tête avec quelques crânes. Qui a dit que
c’est le fait du gouvernement et non des
rebelles ? Qui a dit que la victime est
syrienne et non quelqu’un d’ailleurs ?
Ainsi, des photos, publiées au début de
la crise, venaient d'Irak et du Yémen.
Ensuite, les États-Unis en particulier,
et l'Occident en général, ne sont pas en
position de parler des droits humains.
Ils sont responsables de la plupart des
tueries dans la région et spécialement
les États-Unis depuis leur invasion de
l’Irak, ainsi que le Royaume-Uni depuis
son invasion de la Libye ; de la
situation au Yémen ; de ce qui est
arrivé en Égypte en soutenant les Frères
Musulmans ; de ce qui est arrivé en
Tunisie en soutenant le terrorisme. Tous
ces problèmes ont eu lieu à cause des
États-Unis. Ils ont été les premiers à
fouler aux pieds le droit international
et les résolutions du Conseil de
sécurité, pas nous.
63. C’est peut-être
vrai ou pas, mais ce sont là des
questions distinctes, et cela n’exonère
pas votre gouvernement de sa
responsabilité.
Non, non. Les
États-Unis nous ont accusés, nous
devions donc répondre à cette partie de
la question. Je ne dis pas qu’en cas
d’atteinte et d’infraction violente aux
droits de l’homme, le gouvernement
[syrien] n'a aucune responsabilité.
C’est un autre sujet. La deuxième partie
de votre question porte sur des
accusations qui demeurent des
allégations. Si vous voulez une réponse,
je dois répondre à quelque chose de
concret, de prouvé et de vérifié.
64. Êtes-vous prêts à
nier catégoriquement qu’il y a torture
et mauvais traitements des prisonniers,
en Syrie ?
Si la vérification de
ces allégations pouvait se faire de
façon impartiale et équitable, bien sûr
que nous sommes prêts. Ce serait dans
notre intérêt.
65. Quel serait
l'impact d'un accord nucléaire
américano-iranien sur la Syrie ?
Nul. Parce que la
crise [syrienne] n'a jamais fait partie
des négociations, l'Iran a refusé qu’il
en soit ainsi. Et c’est une bonne chose,
car il n’y a pas de lien entre les deux.
66. Mais beaucoup aux
États-Unis prévoient que si l'Iran et
les États-Unis concluent un accord, il
facilitera la coopération entre les deux
pays. Dès lors, certains se demandent si
l’Iran ne réduirait pas son soutien à la
Syrie en tant que faveur accordée au
gouvernement US.
Nous n’avons jamais
eu d’information à ce sujet, jamais. Je
ne peux pas parler d’un sujet sur lequel
je n’ai aucune information.
67. Décrivez [la
guerre en Syrie], au cas où vous
penseriez qu’elle va dans le bon sens du
point de vue de votre gouvernement. Des
analystes indépendants ont suggéré que
votre gouvernement contrôle actuellement
45% à 50% du territoire syrien.
Tout d'abord, si vous
voulez une description de l’arène, ce
n’est pas une guerre entre deux pays,
entre deux armées, avec incursion et
perte d’une partie du territoire qu’il
vous faut reprendre. Ce n’est pas cela.
Nous parlons de rebelles qui
s’infiltrent dans les zones habitées par
des civils. Vous avez des terroristes
syriens qui soutiennent des terroristes
étrangers et les aident à se cacher
parmi ces civils. Ils lancent ce que
vous appelez des attaques de guérilla.
C’est la forme de cette guerre, de sorte
que vous ne pouvez pas la regarder comme
étant une question de territoire.
Ensuite, là où l'armée syrienne a voulu
pénétrer, elle a réussi, mais elle ne
peut être présente sur chaque kilomètre
du territoire syrien. C’est impossible.
Nous avons opérer quelques avancées ces
deux dernières années. Mais si vous me
demandez « Est-ce qu’elle va bien ? »,
je réponds que toute guerre est
mauvaise, car vous perdez toujours et
qu’il y a toujours de la destruction. La
principale question est : qu’avons-nous
gagné dans cette guerre ? Ce que nous
avons gagné est que le peuple syrien a
rejeté les terroristes ; qu’il a encore
plus soutenu son gouvernement et son
Armée. Avant de parler de gagner des
territoires, parlons de gagner les
cœurs, les esprits et le soutien du
peuple syrien. C’est ce que nous avons
gagné. Le reste est d'ordre logistique
et technique. C’est une question de
temps. La guerre va dans le bon sens,
mais n’empêche pas les pertes au niveau
national. Vous perdez des vies, vous
perdez votre infrastructure, et la
guerre elle-même a de très mauvais
effets sur la société.
68. Pensez-vous que
vous finirez par vaincre les rebelles
militairement ?
S’ils n’ont pas
d’appui extérieur et, disons-le, s’ils
ne sont pas alimentés par le recrutement
de nouveaux terroristes, il n’y aurait
aucun problème pour les vaincre. Même
aujourd'hui, nous n’avons pas de
problème militaire. Le problème réside
dans cette alimentation continue et,
principalement, en provenance de
Turquie.
69. Donc, la Turquie
semble être le voisin qui vous préoccupe
le plus ?
Exactement. Aussi
bien du point de vue logistique que du
point de vu du financement du terrorisme
par l'Arabie saoudite et le Qatar, à
travers la Turquie.
70. Blâmez-vous
Erdogan en personne ? Vous aviez
autrefois de bonnes relations avec lui.
Oui. Parce qu'il
appartient à l'idéologie des Frères
Musulmans qui est la base d'Al-Qaïda et
qui fut la première organisation
politique islamique à favoriser un Islam
politique violent au début du XXème
siècle. Il y est fortement ancré et est
un farouche partisan de ses valeurs. Il
est très fanatique, et c’est pourquoi il
soutient toujours l’EIIL. Il est
personnellement responsable de ce qui
est arrivé.
71. Voyez-vous
d’autres partenaires potentiels dans la
région ? Par exemple, le général
Al-Sissi en Égypte ?
Je ne voudrais pas
parler de lui personnellement, mais
aussi longtemps que l'Égypte, son armée
et son gouvernement, combattront le même
genre de terroristes -comme en Irak-
nous pouvons certainement considérer ces
pays comme susceptibles de coopérer à
notre combat contre un même ennemi.
72. Deux questions
finales, si vous le permettez.
Pouvez-vous imaginer un scénario où la
Syrie reviendrait au statu quo d’avant
les combats, il y a près de quatre ans ?
Dans quel sens ?
73. Dans le sens
où la Syrie est à nouveau unie, non
divisée, contrôle ses frontières,
commence sa reconstruction dans un pays
en paix où prédomine la laïcité.
Si vous regardiez la
carte militaire actuelle, vous verriez
que l'Armée syrienne est présente
partout. Pas en tout lieu, ni en tout
coin, mais au nord, au sud, à l’est, à
l’ouest, et au centre. Si le
gouvernement n’avait cru en une Syrie
unifiée qui retrouverait sa position, il
n’aurait pas déployé l'Armée. Si le
peuple n’y avait cru, vous auriez vu les
gens isolés dans des ghettos, en
fonction de leur ethnie, de leur
confession ou religion. Tant qu’il en
est ainsi, que les gens continuent à
vivre ensemble, que l'Armée est partout
en sachant qu’elle est composée de
toutes les couleurs du tissu social
syrien, cela signifiera que nous
croyons, tous, que la Syrie redeviendra
ce qu’elle était. Nous n’avons pas
d'autre choix. Dans le cas contraire,
tous les pays voisins seront affectés.
S’agissant d’un même tissu, l’effet
domino s’étendra de l'Atlantique
au Pacifique.
74. Aujourd’hui, si
vous deviez adresser un message au
Président Obama, quel serait-il ?
Je pense que,
normalement et partout dans le monde,
l’on s’attend à ce qu’un fonctionnaire
travaille dans l’intérêt de son peuple.
Alors, les questions que j’aimerais
poser à tout Américain sont : Que
gagnez-vous à soutenir les terroristes
dans notre pays, dans notre région ?
Qu'avez-vous obtenu en soutenant les
Frères Musulmans, il y a quelques
années, en Égypte et dans d'autres pays
? Qu'avez-vous obtenu en soutenant
quelqu’un comme Erdogan ? Il y a sept
ans, l’un des représentants de votre
pays m’a demandé à la fin d’une réunion,
en Syrie : « Comment pensez-vous que
nous pourrions résoudre le problème en
Afghanistan ? ». Je lui avais répondu :
« Vous devriez être capables de traiter
avec des fonctionnaires qui ne sont pas
des marionnettes et qui peuvent dire non
». Donc, que les États-Unis cherchent
uniquement des responsables marionnettes
et des états clients, n’est pas le moyen
de servir les intérêts de votre pays.
Vous êtes la plus grande puissance dans
le monde d’aujourd'hui, vous avez
beaucoup de choses à propager dans le
monde entier : la connaissance,
l'innovation, l’intelligence
artificielle avec ses effets positifs.
Comment pouvez-vous être les meilleurs
dans ces domaines et les pires en
matière de politique ? C’est
contradictoire. Je pense que le peuple
américain devrait analyser et se poser
ces questions. Pourquoi avez-vous échoué
dans toutes les guerres ? Vous pouvez
créer la guerre, vous pouvez créer des
problèmes, mais vous ne pouvez en
résoudre aucun. Vingt ans que dure le
processus de paix en Palestine et en
Israël et vous ne pouvez rien y faire,
bien que vous soyez un grand pays.
75. Mais dans le
contexte de la Syrie, à quoi
ressemblerait une meilleure politique
[US] ?
À celle qui préserve
la stabilité au Moyen-Orient. La Syrie
est le cœur du Moyen-Orient. Tout le
monde sait cela. Si le Moyen-Orient est
malade, le monde entier sera instable.
Lorsque nous avions commencé le
processus de paix, en 1991, nous avions
beaucoup d'espoir. Maintenant, plus de
vingt ans après, les choses ne sont même
pas au point de départ, mais bien
en-deçà. Donc, la politique US devrait
aider à la paix dans la région, à
combattre le terrorisme, à promouvoir la
laïcité, à soutenir le secteur
économique, à la progression de l’esprit
et de la société comme c’est le cas dans
votre pays. Telle est la mission
supposée des États-Unis, non celle de
déclencher des guerres. Déclencher la
guerre ne fait pas de vous une grande
puissance.
Dr Bachar al-Assad
Président de la
République arabe syrienne
26/01/2015
Texte traduit de
l’anglais par Mouna Alno-Nakhal
Source : Foreign Affairs Magazine
http://www.foreignaffairs.com/discussions/interviews/syrias-president-speaks
Le
dossier Syrie
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
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