Syrie
Texte intégral de
l’entrevue accordée par le Président
Bachar al-Assad à la chaîne américaine
NBC News
Vendredi 22 juillet 2016
En ce 14 juillet 2016, où
le peuple français a eu à souffrir du
même terrorisme qui déchire et bafoue
quotidiennement la Syrie depuis plus de
cinq ans, dans un contexte d’hypocrisie
meurtrière d’une grande majorité de
dirigeants régionaux et occidentaux, la
chaîne américaine NBC News a
publié un entretien accordé par le
Président syrien à son journaliste Bill
Neely.
Pour préparer
son questionnaire [1], M. Neely
nous dit qu’il a visionné les vidéos et
lu les transcriptions de presque tous
les entretiens accordés par le Président
syrien ces dernières années, en plus
d’avoir bénéficié des suggestions de
toute l’équipe de NBC News, « y
compris celles qui occupent l’esprit de
beaucoup de gens ». Il a retenu de
l’entretien : « Je lui ai dit qu’il
était un dictateur brutal avec le sang
de centaines de milliers sur les mains.
Il a répondu à cela. Il n’a pas flanché.
Je présume que c’est un homme qui avait
déjà entendu toutes ces questions ».
Quel scoop !
À lire les
points essentiels retenus par nos médias
aux ordres, nous pouvons nous demander
s’ils s’intéressent, un peu plus que M.
Neely, à ce qui préoccupe « l’esprit des
gens » et surtout s’ils écoutent les
vraies réponses aux sujets qu’ils
refusent d’aborder.
Admettront-ils, un de ces jours, que la
guerre des Syriens est de défendre la
Syrie contre le terrorisme, tandis que
la guerre des coalisés à Washington,
Paris et Londres, est de la détruire par
ce même terrorisme qu’ils ont
excellemment utilisé, nourri et soutenu,
avant qu’il ne se retourne contre eux ?
Retiendront-ils, contrairement à M.
Neely, que diaboliser le Gouvernement et
l’Armée nationale syrienne ne dissipera
pas la peur qui s’est emparée de nous ?
Ou bien se contenteront-ils de continuer
à nous servir des insanités du style des
rédacteurs de Libération ;
lesquels osent encore commenter, en ces
termes, la mort de plus de 120 civils,
ce 19 juillet, à Manbej, une ville au
nord d’Alep, par une supposée bavure
[2] : « Cette bavure de la coalition
internationale fait le jeu à la fois du
gouvernement syrien et de l’Etat
islamique, qui se sont rapidement
emparés de l’information pour leur
propagande... Selon des témoins sur
place en contact avec Libération,
l’implication de l’aviation française
serait fausse. Cette accusation du
régime syrien révèle tout de même sa
volonté de s’attaquer à la France. Et
pour Bachar al-Assad, d’appuyer sa
volonté de participer à la coordination
des frappes de la coalition
internationale » ? Rien que ça !
Nous aurons
compris qu’ils n’ont pas encore reçu les
ordres pour tenir compte du message
évident du Président syrien malgré
l’arrogance et le nombrilisme de M.
Neely : aidez-nous à combattre les
terroristes pour les empêcher de
retourner chez vous. Faites en sorte de
ne pas nourrir leur arsenal et surtout
leur idéologie.
Nous aurons
compris que nos dirigeants n’ont
toujours pas renoncé à leur projet
initial et que le « bon boulot », défini
initialement par Laurent Fabius,
consiste toujours à tuer plus de
Syriens.
Puissent les
blessés se remettre au plus vite.
Puissent les victimes innocentes, ici et
ailleurs, reposer en paix. Puissent
leurs familles surmonter la douleur de
leur absence [NdT].
Bill Neely
: Monsieur le Président, nous
vous remercions de nous avoir reçus et
de permettre à NBC de vous poser
quelques questions importantes.
Le
Président al-Assad :
Vous êtes les bienvenus à Damas.
1. Il y a
quelques semaines, vous avez dit devant
les membres du Parlement syrien que vous
reprendriez chaque pouce de la Syrie. Le
Département d'État américain a qualifié
cette déclaration de « délirante ». Vous
êtes loin de gagner cette guerre, n’est
ce pas, sans même parler de reprendre
chaque pouce de la Syrie ?
Le
Président al-Assad : En
fait, l'Armée syrienne a fait beaucoup
de progrès récemment, ce qui est le but
de toute armée ou de tout gouvernement.
Je ne pense pas que cette déclaration
des États-Unis soit pertinente. Elle ne
reflète ni le respect du droit
international et de la Charte des
Nations Unies, ni le respect de la
souveraineté d'un pays ayant le droit de
contrôler l’ensemble de son territoire.
2. Mais, à
votre avis, combien de temps vous
faudra-t-il pour gagner cette guerre ?
Le
Président al-Assad :
Vous parlez d’une question liée à nombre
de facteurs, le facteur le plus
important étant : « Combien de temps les
soutiens de ces terroristes vont-ils
continuer à les soutenir, en particulier
la Turquie, le Qatar et l'Arabie
saoudite, avec l'appui de certains pays
occidentaux, y compris les
États-Unis ? ». Si ce soutien cessait,
cela ne prendrait pas plus de quelques
mois.
3. Pas
plus de quelques mois ? Voyez-vous, je
me suis trouvé ici une dizaine de fois
et j’ai entendu vos responsables dire :
« Il faudra un mois pour reprendre Homs…
Il faudra six mois pour reprendre
ailleurs… » Cela prend toujours plus de
temps. Donc, d’un point de vue réaliste,
cela prendra des années. Non ?
Le
Président al-Assad :
Voilà pourquoi j’ai dit que cela dépend
de l’importance du soutien que les
terroristes vont continuer à recevoir et
de l’importance de leur recrutement en
Turquie grâce à l'argent saoudien, pour
toujours en expédier un plus grand
nombre en Syrie. Leur but est de
prolonger la guerre. Ils peuvent la
prolonger tant qu’ils le voudront et ont
déjà réussi à ce faire. Si bien que la
réponse dépend de votre question. Si
vous parlez du temps qu’il faudra pour
régler le conflit, en tant que conflit
syrien isolé, cela ne prendra pas plus
de quelques mois. Mais si vous en parlez
comme d’un conflit où interviennent
nombre de puissances régionales et
internationales, comme c’est le cas
aujourd’hui, cela prendra beaucoup de
temps et nul ne peut répondre à votre
question. Nul ne sait comment la guerre
va évoluer.
4. Il y a
un an, la guerre évoluait tout
autrement. Dans l’un de vos discours,
vous avez dit que vous étiez à court de
troupes et que vous aviez dû renoncer à
certaines zones à contrecœur. Qu’est-ce
qui a changé depuis ? Est-ce
l’intervention de la Russie ? Voilà la
vraie raison du tournant pris par cette
guerre, n’est-ce pas ? Le fait que la
Russie soit de votre côté.
Le
Président al-Assad :
Certainement, le soutien russe à l'Armée
syrienne a fait pencher la balance
contre les terroristes.
5. C’est
le facteur crucial ?
Le
Président al-Assad : Il
l’est, sans aucun doute. En même temps,
la Turquie et l'Arabie saoudite ont
envoyé plus de troupes depuis que cette
intervention légale de la Russie a
commencé. Mais, malgré ce fait, ce fut
le facteur crucial, comme vous venez de
le mentionner.
6. Donc,
vous devez beaucoup au Président
Poutine.
Le
Président al-Assad :
Tout le monde sait quels sont ceux qui
se sont tenus à nos côtés : les Russes,
les Iraniens, et même les Chinois,
chacun à sa manière, qu’elle soit
politique, militaire ou économique, car
il ne s’agit pas d’une question à
facteur unique. Vous ne pouvez donc pas
parler uniquement de la puissance de feu
ou des ressources humaines. C’est une
question à plusieurs facteurs. Tous ces
pays ont soutenu la Syrie, à côté
d'autres pays qui l’ont soutenue à un
degré moindre.
7. Est-ce
que le président Poutine a exigé quelque
chose de vous ? Quel est le « deal » ?
Le
Président al-Assad : Il
n'a rien demandé.
8. Rien ?
Le
Président al-Assad :
Pour deux simples raisons : la première
est que leur politique est fondée sur
des valeurs, ce qui est très important ;
la deuxième est qu’actuellement nos
intérêts sont communs parce qu’ils
combattent les mêmes terroristes qu'ils
auraient à combattre en Russie. Nous
combattons des terroristes qu’il faudra
peut-être combattre en Europe, aux
États-Unis et partout ailleurs dans le
monde. Mais la différence entre le
Président Poutine et les autres
responsables occidentaux est qu'il le
voit clairement, alors que les autres
responsables en Europe, et plus
généralement en Occident en sont
incapables. Voilà pourquoi son
intervention repose à la fois sur des
valeurs et sur l’intérêt du peuple
russe.
9. Vous
vous parlez souvent ?
Le
Président al-Assad :
Quand il le faut. Nous nous parlons
directement ou par l’intermédiaire de
nos fonctionnaires réciproques.
10. Pour
exemple, combien de fois vous vous êtes
parlé cette année ?
Le
Président al-Assad : Je
ne les ai pas comptées. Nous nous sommes
parlé à plusieurs reprises.
11.
Comment décririez-vous votre relation
avec lui ?
Le
Président al-Assad :
Très franche, très honnête, respect
mutuel.
12. Mais
il ne vous a rien demandé, c’est bien le
cas ?
Le
Président al-Assad :
Rien du tout.
13. Parce
que le soupçon est que la Russie puisse
travailler de concert avec les
États-Unis. Le secrétaire d'État Kerry
devant rencontrer Vladimir Poutine ce
jeudi à Moscou, le soupçon est qu'ils en
viennent à une sorte de « deal » qui
pourrait porter de mauvaises nouvelles
pour vous.
Le
Président al-Assad :
Tout d’abord, concernant la première
partie de votre question, si Poutine
voulait me demander quelque chose, il me
demanderait de combattre les
terroristes, parce que c'est là que
résident ses intérêts en tant que
Président d’un pays tel que la Russie.
Ensuite, concernant cette allégation qui
revient de temps à autre afin de
suggérer que les Russes et les
Américains se sont réunis et se sont
entendus sur l’avenir de la Syrie, les
responsables russes ont déclaré
clairement, et à maintes reprises, que
la question syrienne dépend du peuple
syrien. Hier encore, le ministre Lavrov
a dit : « Nous ne pouvons pas nous
asseoir avec les Américains pour définir
ce que veulent les Syriens. C’est une
question syrienne et seul le peuple
syrien peut définir l'avenir de son pays
et comment résoudre son problème ». Le
rôle de la Russie et des États-Unis est
d’offrir l'atmosphère internationale
susceptible de protéger les Syriens de
n’importe quelle ingérence. Le problème
est que les Russes sont honnêtes, tandis
que les Américains n’ont rien offert
dans ce domaine ; mais cela ne signifie
pas qu’ils décident de ce que nous avons
à faire en tant que Syriens.
14. Donc,
juste pour être clair, ni le ministre
des Affaires étrangères Lavrov, ni le
Président Poutine, ne vous ont jamais
parlé de transition politique et du jour
où vous aurez à quitter le pouvoir ? Ce
n'est jamais arrivé ?
Le
Président al-Assad :
Jamais, parce que, comme je l'ai dit,
cela dépend du peuple syrien. Seul le
peuple syrien décide qui peut être
Président, comment il arrive au pouvoir
et quand il doit le quitter. Ils ne
m’ont jamais dit un seul mot à ce sujet.
15. Et
vous n'avez donc pas la moindre
inquiétude que la rencontre entre le
Secrétaire Kerry et Vladimir Poutine
aboutisse à une entente qui pourrait
vous obliger à quitter le pouvoir ?
Le
Président al-Assad :
Non, parce que contrairement à la
politique américaine, la politique russe
ne repose pas sur la conclusion
d’accords, mais sur des valeurs. C’est
en raison de ces principes différents
que je ne vois pas ce genre d’entente
entre les Russes et les Américains.
16.
Pourtant, il n'y a pas que la Russie qui
bombarde vos ennemis, ce qui est sûr est
que les États-Unis en font autant.
Accueillez-vous favorablement les
frappes aériennes américaines contre
l’EIIL [État Islamique en Irak et au
Levant] ?
Le
Président al-Assad :
Non, parce qu’elles ne sont pas légales.
17. Elles
ne sont pas légales pour la Russie non
plus. N’est-ce pas ?
Le
Président al-Assad :
Non. Premièrement, les Russes sont
invités légalement et officiellement par
le gouvernement syrien. Tout
gouvernement a le droit d'inviter tout
autre pays à l’aider dans n’importe quel
domaine. Par conséquent, les frappes
russes sont légales en Syrie, tandis que
les frappes américaines et évidemment
celles de tous leurs alliés ne le sont
pas. Deuxièmement, depuis l'intervention
russe, le terrorisme, disons-le, a subi
une régression ; alors qu’avant cela et
au cours de l'intervention illégale des
Américains et de leurs alliés, l’EIIL et
le terrorisme étaient en expansion et
s’étendaient sur de nouvelles zones
syriennes. Ils ne sont pas sérieux. Je
ne peux donc pas accueillir
favorablement leur manque de sérieux et
leur présence illégale en Syrie.
18. Des
milliers de missions, des centaines de
frappes aériennes, et les États-Unis ne
sont pas sérieux en Syrie ?
Le
Président al-Assad : La
question ne relève pas du nombre de
frappes, mais du résultat. Telle est la
question. La réalité du terrain dit que
depuis le début des frappes aériennes
américaines, le terrorisme s’est étendu
et s’est renforcé, non l’inverse. Il n’a
diminué que quand les Russes sont
intervenus. C’est cela la réalité. Nous
devons parler des faits et non seulement
des actions superficielles qui ont été
menées.
19. Donc,
les frappes aériennes américaines sont
inefficaces et contre-productives ?
Le
Président al-Assad :
Oui, d’une certaine façon. Lorsque le
terrorisme est en croissance, les
frappes sont contre-productives. C'est
exact.
20. A qui
la faute ? Est-ce une faute militaire,
ou bien est-ce tout simplement le
Président Obama qui n’a pas été,
disons-le, suffisamment impitoyable ?
Le
Président al-Assad :
Non, il ne s’agit pas d’être
impitoyable, mais d'être authentique. Il
s’agit des intentions réelles. Il s’agit
du sérieux et de la volonté. Les
États-Unis n'ont pas la volonté de
vaincre les terroristes. Ils veulent les
contrôler et les utiliser en tant que
carte comme ils l'ont fait en
Afghanistan. Ce qui se reflète sur le
terrain militaire. Si vous comparez les
résultats de plus de 120 à 130 frappes
aériennes russes sur quelques zones en
Syrie, aux 10 à 12 frappes américaines
avec tous leurs alliés en Syrie et en
Irak, vous constateriez que leur
résultat est non significatif,
militairement parlant, et que cette
inefficacité militaire traduit leur
volonté politique.
21. Selon
votre propre expression, il y avait la
« volonté politique » de vous écarter du
pouvoir. Telle était la volonté de
Washington. Il semble que ce ne soit
plus le cas. Avez-vous une idée pourquoi
les États-Unis ont apparemment changé
d'avis sur votre avenir ?
Le
Président al-Assad :
Non, parce que le problème avec les
responsables américains est qu'ils
disent quelque chose, masquent leurs
intentions, et avancent dans une autre
direction. Ils disent quelque chose,
puis disent son contraire. Vous ne
pouvez donc pas parler de leurs vraies
intentions. Ce dont je suis sûr est
qu'ils n’ont pas de bonnes intentions à
l'égard de la Syrie. Peut-être sont-ils
en train de manœuvrer ou de modifier
leurs tactiques. Mais, ce que je crois
est que leurs intentions n’ont pas
changé.
22. Le
Président Obama voulait vous éjecter. Il
va bientôt quitter son poste, alors que
vous restez en place. Avez-vous gagné ?
Le
Président al-Assad :
Non, ce n'est pas entre lui et moi.
C’est entre moi et qui veut détruire ce
pays, surtout les terroristes sévissant
actuellement en Syrie. Notre victoire en
tant que Syriens se situe là où nous
pouvons nous en débarrasser et rétablir
la stabilité en Syrie. Sinon, nous ne
pouvons pas parler de victoire. Il est
vrai qu’ils n’ont pas réussi à exécuter
leur plan. Mais s’ils ont essuyé un
fiasco, cela ne signifie pas que nous
avons gagné la guerre. Je dois donc être
réaliste et précis dans le choix des
termes à cet égard.
23. Mais
l'un des principaux objectifs du
Président Obama, qui était de vous
éjecter du pouvoir, a clairement échoué.
Pensez-vous qu'il a échoué ?
Le
Président al-Assad :
Oui, je l'ai dit, il a échoué. Mais cela
ne signifie pas que je gagne, parce que
pour lui la guerre est de m’éjecter,
alors que pour moi la guerre est de
restaurer la Syrie, non de rester à mon
poste. Donc, vous parlez de deux guerres
différentes. Pour moi, il ne s’agit pas
d’une guerre personnelle. Ma guerre est
de protéger la Syrie. Je ne me soucie
pas de ce que veulent les autres
présidents. Je me soucie de ce que les
Syriens veulent. S'ils veulent que je
reste, je resterai ; s'ils veulent que
je parte, je partirai. Ce sont là des
situations différentes, complètement
différentes.
24.
Pensez-vous que les États-Unis ont
fondamentalement mal compris votre
guerre contre l’EIIL, contre ce que vous
pourriez désigner par l’ennemi commun ?
Le
Président al-Assad :
Encore une fois, ce n'est pas un ennemi
commun, parce que nous, nous sommes
sincères dans notre combat, non
seulement contre l’EIIL, mais aussi
contre le Front al-Nosra et toutes les
organisations terroristes affiliées à
Al-Qaïda en Syrie. Nous voulions nous
débarrasser de tous les groupes
terroristes. Nous voulions les vaincre,
alors que les États-Unis voulaient les
gérer afin de renverser le gouvernement
syrien. Vous ne pouvez donc pas parler
d’un intérêt commun, à moins qu'ils ne
veuillent vraiment les combattre et les
vaincre. Ce qu’ils n’ont pas fait. Ils
étaient présents en Irak en 2006, ils
n’ont pas cherché à les vaincre.
25. Mais
l'Amérique est très sincère en ce qui
concerne le combat contre l’EIIL. L’EIIL
est une menace pour le territoire
américain. Comment pouvez-vous dire que
l'Amérique n’est pas sérieuse dans la
lutte contre l’EIIL ?
Le
Président al-Assad :
Parce que l’EIIL a été mis en place en
Irak dès 2006 alors que les États-Unis y
étaient, non la Syrie. Il s’est
développé sous le contrôle des autorités
américaines qui n’ont rien fait pour le
combattre à l’époque. Pourquoi le
combattraient-elles maintenant ?
D’ailleurs, elles ne le combattent
toujours pas. Il a prospéré sous le
regard des avions américains, lesquels
auraient pu le voir exploiter les champs
pétroliers puis acheminer le pétrole
vers la Turquie. Ils n’ont même pas
essayé d’attaquer un seul convoi de
l’EIIL. Comment pouvaient-ils être
contre l’EIIL ? Ils ne pouvaient pas le
voir ? Ils ne voyaient pas ? Comment se
fait-il que les Russes l’ont vu dès le
premier jour et ont lancé leurs attaques
contre ses convois ? En fait,
l'intervention russe a démasqué les
intentions américaines concernant L’EIIL
et les autres groupes terroristes. C’est
évident.
26. Il y a
trois ans, le président Obama a menacé
de vous attaquer. Il a tracé une ligne
rouge, puis s’est retiré sans exécuter
sa menace. Qu’en pensez-vous ? Est-ce le
signe d'un président faible ?
Le
Président al-Assad :
C'est le problème avec les États-Unis.
Depuis des années, ils ont promu l’idée
qu’un bon président est dur, impitoyable
et va-t-en guerre, sinon ce serait par
définition un président faible ; ce qui
est faux. En fait, depuis la deuxième
Guerre mondiale, les administrations
américaines successives ont agi en
attisant le feu des conflits dans toutes
les parties de ce monde. Avec le temps,
elles sont devenues de plus en plus
pyromanes. Elles se différencient les
unes des autres par les moyens utilisés,
non par l’objectif. C’est ainsi que
l’administration Bush a continué à
engager ses propres troupes, que la
suivante a utilisé des mercenaires de
substitution et que la troisième a
travaillé par procuration. Rien n’a
changé, le cœur du problème est toujours
le même.
27.
Revenons à ce moment précis d’il y a
trois ans. Était-ce le signe d’une
faiblesse des États-Unis et de son
président ?
Le
Président al-Assad :
Non, parce qu’ils ont quand même mené
leur guerre par procuration contre la
Syrie. Ils n’ont pas combattu l’EIIL.
Ils n’ont exercé aucune pression sur la
Turquie ou l'Arabie Saoudite afin
qu’elles arrêtent d'envoyer argent,
personnel et soutien logistique aux
terroristes. Ils auraient pu le faire.
Ils ne l'ont pas fait. Par conséquent,
ils mènent toujours leur guerre, mais
d'une manière différente. Ils n'ont pas
envoyé leurs troupes, ils ne nous ont
pas attaqués avec leurs missiles, mais
nous envoient des mercenaires. C'est ce
que j’ai signifié en disant que le cœur
du problème est toujours le même.
28.
Avez-vous été surpris qu'ils n'aient pas
attaqué ?
Le
Président al-Assad :
Non, non. Ce ne fut pas une surprise.
Cependant, je pense que ce qu’ils font
actuellement revient au même et qu’entre
nous expédier des mercenaires et nous
envoyer des missiles, cette dernière
option pourrait être plus efficace pour
eux.
29. Vous
êtes un leader. Pensez-vous qu’en ne
respectant pas la ligne rouge qu’elle a
elle-même tracée, l'Amérique a nui à sa
propre crédibilité, non seulement au
Moyen-Orient, mais dans le monde
entier ?
Le
Président al-Assad :
Pour être franc avec vous, cette
crédibilité n'a jamais existé pour nous,
au moins depuis le début des années
soixante dix. Depuis que nous avons
rétabli nos relations avec les
États-Unis en 1974, nous n’avons jamais
vu une réelle crédibilité quelle que
soit l’administration et sur tous les
sujets que nous avons eu à traiter. Je
ne peux donc pas dire que les États-Unis
ont nui à leur propre crédibilité.
Nombre de leurs propres alliés ne les
croient pas. Je pense que la crédibilité
américaine est au plus bas, généralement
en raison de leur politique, leurs
politiques dominantes, et non en
conséquence du cas que vous avez
mentionné. Telle est notre vision sur ce
sujet.
30. Au
plus bas, en termes de crédibilité dans
le monde ?
Le
Président al-Assad : En
général, oui. Et c’est dû à l’ensemble
de leur politique, non particulièrement
à celle adoptée contre la Syrie.
31. Vous
réjouissez-vous de la fin du mandat du
président Obama ?
Le
Président al-Assad :
Changer d'administration sans changer de
politique ne signifie rien pour nous.
C’est donc un problème de politique et,
en Syrie, nous n’avons jamais parié sur
un président qui vient ou s’en va, pour
la bonne raison que ce qu’ils disent au
cours de leur campagne est différent de
ce qu'ils mettent en pratique après leur
élection.
32. Vous
avez parlé des présidents qui se valent
et qui n’ont jamais changé de politique.
Il n’empêche que l’année prochaine, il y
aura un nouveau président aux
États-Unis. Espérez-vous une relation
différente ? Pensez-vous que ce soit
possible ?
Le
Président al-Assad :
Oui, bien sûr. Nous espérons toujours
que le prochain président serait plus
sage, moins pyromane, moins militariste
et moins aventuriste. Voilà ce que nous
espérons, mais que nous n’avons jamais
constaté ; la différence entre les
présidents successifs étant très
marginale. Donc, nous gardons l’espoir,
mais nous ne parions pas là-dessus.
33. Il y
aura un nouveau président aux États-Unis
où existent deux choix principaux, l'un
d'eux étant Donald Trump. Que savez-vous
de M. Trump ?
Le
Président al-Assad :
Rien. Juste ce que j'ai entendu dans les
médias, et pendant la campagne. Comme je
viens de le dire, nous ne devons pas
perdre notre temps à écouter ce qu’ils
disent pendant leur campagne et qu’ils
modifieront après leur élection. C’est
donc après la campagne que nous pourrons
évaluer le nouveau président, non
pendant.
34. Étant
à Damas, qu’entendez-vous dans les
médias au sujet de M. Trump ?
Le
Président al-Assad : Le
conflit entre les Américains auquel nous
ne prêtons pas beaucoup d'attention. Je
veux dire que même la rhétorique des
différents candidats change en cours de
campagne. Ce que vous entendez
aujourd'hui ne sera pas pertinent
demain. Nous ne pouvons donc pas
construire nos propres politiques sur
leur politique menée au jour le jour.
35. Mais
vous suivez cette élection ?
Le
Président al-Assad :
Pas vraiment. Parce que, comme je l'ai
dit, vous ne pouvez suivre un débat,
aujourd’hui encore, déconnecté de la
réalité. Il le deviendra après la prise
de fonction. Jusqu'à présent, il reste
rhétorique. Nous n’avons pas de temps à
perdre avec la rhétorique.
36.
Simplement rhétorique. Ainsi, par
exemple et concernant M. Trump, vous ne
croiriez pas que sa politique sera
nécessairement conforme à ses dires ?
Le
Président al-Assad :
Non, nous ne le pouvons pas. Je ne parle
pas de Trump, de Clinton ou de quelqu'un
d’autre. Je parle d’un principe général
s’appliquant à tout président américain
et dans toute campagne américaine.
37. Il a
fait très peu de commentaires sur la
Syrie ou le Moyen-Orient, mais il vous
décrit comme un « bad guy ». Cela vous
inquiète-il ?
Le
Président al-Assad :
Non. C'est son opinion. Il n'a
pas à me voir comme un bon gars. Pour
moi, la question est comment les Syriens
me voient, bon gars ou mauvais gars, non
l’avis d’un américain qu’il soit
citoyen, président ou candidat à la
présidence. Je ne me soucie pas de cela.
Disons que cela ne fait pas partie de ma
carte politique.
38. L'une
des choses qu'il a dite très clairement
est qu’il sera plus dur avec l’EIIL.
Cela devrait vous réjouir, puisque vous
venez de dire qu’Obama n’était pas
sérieux avec l’EIIL. Est-ce le cas ?
Le
Président al-Assad :
Vous n’avez pas à être plus dur. En
réalité, dans la vraie vie et en cette
région, ces mots n’ont aucun sens. Vous
devez combattre l’EIIL par différents
moyens. Il ne s’agit pas seulement de
combattants que vous devez frapper par
les bombes et les missiles les plus
perfectionnés. Le problème du terrorisme
est très compliqué et lié à une
idéologie. Comment pouvez-vous être dur
contre l'idéologie de l’EIIL ? Telle est
la question. Comment pouvez-vous être
dur à l’égard de son économie, de ses
finances et des dons qu’il reçoit ?
Comment pouvez-vous remédier à cela ?
39. Je
pense que M. Trump parle de dureté
militaire. Il veut…
Le
Président al-Assad : Ce
n’est pas suffisant. Vous devez être
intelligent. Il ne suffit pas d'être
dur. Pour commencer, vous devez avoir la
volonté et être authentique, puis vous
devez vous comporter avec intelligence.
Ce n’est qu’ensuite que vous devrez être
dur et militairement efficace. La dureté
est donc l’ultime option après avoir
rempli ces premiers critères.
40.
D'après ce que vous en savez, M. Trump
est-il suffisamment intelligent ?
Le
Président al-Assad : Je
ne le connais pas. Dans un face-à-face,
je pourrai le juger, mais je ne vois
cette personne qu’à la télévision, où
vous savez qu’on peut tout manipuler.
Vous pouvez vous préparer, vous pouvez
répéter ; ce qui fait que le problème
n’est pas là.
41.
Aimez-vous ce que vous voyez de M. Trump
à la télévision ?
Le
Président al-Assad : Je
ne suis pas les élections américaines
parce que, comme je l’ai dit, nous ne
parions pas là-dessus.
42. Il
semble respecter le président Poutine.
Est-ce que cela vous donne l’espoir d’un
homme avec lequel vous pourriez,
peut-être, faire des affaires ?
Le
Président al-Assad :
S'il est sincère. Je pense qu'il dit
vrai, car chaque personne sur Terre,
qu’elle soit d'accord ou non avec le
président Poutine, devrait le respecter
parce qu'il est respectable. Il se
respecte, respecte l'autre, respecte ses
valeurs, respecte les intérêts de son
peuple ; et il est honnête et
authentique. Alors, comment ne pas
respecter une telle personne ? Donc, si
Trump est sincère, je pense qu'il est
correct. Voilà ce que je peux en dire.
43. M.
Trump a également fait des commentaires
sur les Musulmans, proposant d’interdire
leur entrée aux États-Unis. Est-ce que
cela vous a dérangé ou mis en colère ?
Le
Président al-Assad :
Oui, d’autant plus que la Syrie est un
mélange de religions, de confessions et
d’ethnies. Nous pensons que cette grande
diversité est une grande richesse, non
l’inverse. C’est le comportement des
gouvernements et des forces influentes
qui peut en faire un problème ou une
source de conflit. Mais si vous faites
en sorte que des gens différents
s’intègrent véritablement et
harmonieusement, cette richesse
bénéficie à toute société, y compris aux
États-Unis.
44. Donc,
M. Trump n’aurait pas dû prononcer cette
sorte de commentaire à propos des
Musulmans ?
Le
Président al-Assad :
Nul ne devrait user d’un discours
discriminatoire dans aucun pays. Je ne
crois évidemment pas en ce genre de
rhétorique.
45. M.
Trump n'a aucune expérience en politique
étrangère. Cela vous inquiète-t-il ?
Le
Président al-Assad :
Qui avaient une telle expérience avant
lui. Obama, George Bush ou
Clinton ? Aucun d'entre eux n’en avait.
Tel est le problème avec les États-Unis.
Vous devez vous trouver un homme d'État
qui ait une réelle et longue expérience,
parce qu’avoir fait partie du Congrès
pendant quelques années ou, par exemple,
avoir été ministre des Affaires
étrangères, ne signifient pas que vous
possédez une telle expérience.
L’expérience des États exige beaucoup
plus de temps. Par conséquent, nous ne
pensons pas que tous les présidents des
États-Unis étaient suffisamment versés
en matière de politiques.
46. Ainsi,
un homme sans expérience en politique
étrangère, à la Maison Blanche, n’est
pas nécessairement dangereux de votre
point de vue ?
Le
Président al-Assad :
Toute personne qui n'a pas d'expérience,
que ce soit à la Maison Blanche, au
Palais présidentiel en Syrie, ou à la
tête de n’importe quel autre État, est
généralement dangereuse pour le pays.
Les États-Unis étant une grande
puissance, bien sûr que les
répercussions sont plus graves sur le
reste du monde. Mais il ne s’agit pas
uniquement d’un problème d’expérience,
puisqu’au final les institutions du pays
peuvent compenser. Il s’agit
d’intention. Cet homme aura-t-il une
bonne expérience, mais des intentions
militaristes, destructrices et ainsi de
suite ? Vous devez donc tenir compte de
plusieurs facteurs. Il ne suffit pas de
parler uniquement de l’expérience.
47.
Quelqu’un d’autre a plus d’expérience en
matière de politique étrangère et c’est
Hillary Clinton. Dans un certain sens,
vous la connaissez. Quelles seraient les
conséquences de sa victoire aux
élections ?
Le
Président al-Assad :
Une fois de plus, je dois vous répéter
la même réponse. Cela dépendra de sa
politique. Quelle politique va-t-elle
adopter ? Va-t-elle prouver sa dureté en
emmenant les États-Unis vers une autre
guerre ou plus d’escalades ? Dans ce
cas, ce sera mauvais pour tout le monde,
y compris les États-Unis. Si elle prend
une autre direction, ce sera mieux.
Mais, encore une fois, nous nous
concentrons plus sur les intentions que
sur l'expérience. L'expérience est
certes très importante, mais l'intention
est cruciale pour tout président. Par
conséquent, pourriez-vous leur poser la
question de savoir s’ils peuvent
vraiment dire au peuple américain, et au
reste du monde, quelles sont leurs
véritables intentions politiques ?
Vont-ils vers une escalade, ou bien nous
donneront-ils à voir plus de concorde en
ce monde ?
48. Il
existe une nette différence entre Mme
Clinton et M. Trump. Il semble que la
première soit déterminée à se
débarrasser de vous. C’est du moins sa
position déclarée. Le second dit vouloir
se concentrer sur l’EIIL en vous
abandonnant à votre sort. Ma question
est : pour vous-même, Hillary Clinton
représente-t-elle une plus grande menace
que Donald Trump ?
Le
Président al-Assad :
Non, parce que depuis le début de cette
crise, nous avons entendu à maintes
reprises la même litanie, « Assad doit
partir », de la part de presque tous les
officiels occidentaux, quel que soit
leur niveau de responsabilité. Nous ne
nous en sommes jamais souciés. Jamais.
Vous ne pouvez donc pas parler de cela
comme d’une menace. C’est une ingérence
dans nos affaires internes à laquelle
nous n’allons pas répondre. Tant que
j'ai le soutien du peuple syrien, je ne
me soucie pas de quiconque en parle,
qu’il s’agisse du président des
États-Unis, lui-même, ou de n’importe
qui d’autre. Pour nous, cela ne change
rien. Voilà pourquoi j’ai dit que ce
disent Clinton, Trump ou Obama n’a aucun
sens pour moi. Nous n’en tenons pas
compte sur notre carte politique. Nous
ne perdons pas notre temps avec ce genre
de rhétorique ou d’exigences.
49. Mais
si Hillary Clinton, élue présidente,
établissait une zone d'exclusion
aérienne sur votre territoire, au nord
de la Syrie par exemple, cela ferait une
énorme différence.
Le
Président al-Assad :
Bien sûr. C’est là que vous pouvez
parler de menace et voilà pourquoi je
vous ai dit que, pour nous, la politique
est d’une grande importance. C’est quand
ils ont commencé à soutenir les
terroristes dans le cadre de leur
projet, plan ou étape, que vous avez
observé plus de chaos dans le monde. Une
première question : les États-Unis
ont-ils intérêt à plus de chaos dans le
monde entier, ou bien ont-ils intérêt à
plus de stabilité ? Bien sûr qu’ils
peuvent créer le chaos. C’est ce qu’ils
n’ont cessé de créer dans le monde
entier les 50 à 60 dernières années. Ce
n'est pas nouveau. D’où une autre
question : vont-ils faire pire et plus
fort ? Il ne s’agit donc pas de moi et
cela ne concerne pas ma présidence. Cela
concerne la situation d'ensemble dans le
monde, parce que vous ne pouvez pas
séparer la situation en Syrie de celle
du Moyen-Orient, et que quand le
Moyen-Orient n’est pas stable, le monde
ne peut pas être stable.
50.
Permettez-moi de mesurer jusqu’à quel
point vous pourriez souhaiter une
nouvelle relation avec les États-Unis.
L’EIIL a son quartier général dans votre
pays, à Raqqa. Si jamais vous saviez que
l’EIIL était sur le point d'attaquer les
États-Unis, en avertiriez-vous
l'Amérique ?
Le
Président al-Assad :
Par principe, oui, parce que l’EIIL peut
s’attaquer à des civils et que je ne
peux pas blâmer des innocents, aux
États-Unis, du fait des mauvaises
intentions de leurs dirigeants. Et,
comme je l'ai dit à plusieurs reprises,
je ne considère pas les États-Unis comme
un ennemi direct tant qu'ils n'occupent
pas ma terre. En même temps, disons que
ce cas de figure n’est pas réaliste,
puisqu’il n’y a pas de relation entre
nous. Ce type d'information ou de
coopération sur la sécurité nécessite
une coopération politique. Nous n’avons
ni l’une, ni l’autre.
51. Je me
suis entretenu plusieurs fois avec votre
Vice-ministre des Affaires étrangères,
Dr Fayçal al-Miqdad. Il m’a décrit le
danger d’une explosion de la crise
syrienne, non seulement à travers le
Moyen-Orient, mais à travers le monde
entier. Ce qui est clairement arrivé.
Maintenant que l’EIIL est refoulé ou
brisé, y’a-t-il un danger que ses
combattants se dispersent ? Votre
victoire contre L’EIIL
constituerait-elle un danger pour les
États-Unis, lesquels deviendraient plus
vulnérables au terrorisme ?
Le
Président al-Assad :
Non, si nous vainquons l’EIIL, nous
aidons le reste du monde, parce que ces
terroristes viennent de plus d'une
centaine de pays, y compris les pays
occidentaux. S’ils ne sont pas vaincus,
ils retourneront dans ces pays plus
expérimentés, plus fanatisés, plus
extrémistes, et mèneront des attaques.
Donc, si nous les vainquons ici, nous
aidons tous les autres pays, y compris
les États-Unis.
52. Mais
les combattants de l’EIIL peuvent
quitter Raqqa et comme nous l’avons vu
avec les attaques terroristes en Europe,
ils viennent en France, ils viennent en
Belgique. Ils pourraient aussi bien
venir et mener des attaques aux
États-Unis. C’est un vrai risque, non ?
Le
Président al-Assad :
Oui, c’est de cela que je parle. J’ai
dit que si nous les vainquons ici, si
nous réussissons à les défaire dans le
sens où ils ne pourraient plus retourner
d’où ils viennent, nous aidons. S'ils
quittent, s’ils échappent, si vous
continuez à maintenir ce terrorisme,
c’est là que peut commencer
l’exportation de ces terroristes en
Europe, comme ce qui est arrivé
récemment en France. Donc, ce que vous
dites est exact, et c’est ce que je veux
dire. En les menant à leur défaite ici,
nous aidons les autres. S'ils repartent,
ils seront un danger pour le reste du
monde.
53. Comme
dans toute guerre, il y a deux côtés.
Vos forces ont été accusées de faire des
choses terribles. Je suis venu ici
plusieurs fois et j’ai vu quelques-unes
de ces choses terribles suite à des
attaques aériennes et des bombardements
de vos forces. Pensez-vous qu'un jour
vous ferez face à un tribunal
international ?
Le
Président al-Assad :
Tout d'abord, vous devez faire votre
travail de Président. Lorsque votre pays
est attaqué par des terroristes, vous
devez le défendre et c’est mon travail
selon la Constitution. Je fais donc mon
travail et je vais continuer à le faire,
peu importe ce à quoi je ferai face.
Soyons clairs à ce sujet. Défendre le
pays ne peut pas être mis en balance
avec l'avenir personnel du Président,
qu'il risque de passer devant une cour
criminelle ou équivalent, qu’il risque
la mort. Cela n'a pas d'importance. Si
vous ne voulez pas faire face à toutes
ces choses, quittez votre poste et
cédez-le à quelqu'un d'autre.
54. Mais
la raison pour laquelle les gens disent
que vous devriez passer devant un
tribunal pour crimes de guerre est qu’il
est clair que vous usez de n’importe
quel moyen. Je sais que vous ne
reconnaissez pas l’usage de barils
explosifs. Peu importe le métal, vous
attaquez avec une force et des armes non
discriminatoires dans des zones civiles.
C’est vrai, non ?
Le
Président al-Assad :
Premièrement, ces gens ont-ils des
critères concernant le genre de moyens
que vous devriez utiliser contre des
terroristes ? Ils n’en ont pas. La
question n’est donc pas pertinente. Elle
n’a pas de sens d’un point de vue
juridique, ni d'un point de vue
réaliste. Deuxièmement, aucune armée
n’userait d’un armement non
discriminatoire dans une telle situation
où les deux parties sont presque
entremêlées.
55. Sauf
votre respect, Monsieur le Président,
j’ai vu une bombe lancée à partir d'un
hélicoptère. C'était non
discriminatoire.
Le
Président al-Assad :
Disons que, techniquement parlant, le
problème n'est pas de savoir si le
lancement s’est fait d'un hélicoptère ou
d'un avion. Ce n'est pas la question.
Puisque vous parlez de précision, le
plus important serait de dire que nous
utilisons des armes dont la précision
est comparable aux drones et missiles de
haute précision utilisés par les
États-Unis en Afghanistan. Combien de
terroristes ont-ils tués jusqu'à
présent ? Ils ont tué beaucoup, beaucoup
plus de civils et d’innocents.
56. Même
si cela était vrai, cela ne n’implique
pas que vous faites bien.
Le
Président al-Assad :
Non, non, non. Je veux dire que le genre
d'armement que vous utilisez n’a pas de
rapport avec le sujet que vous soulevez.
Il ne s’agit pas de l’usage d’armes plus
ou moins précises. De tels critères
n’existent pas. Cela fait juste partie
de la campagne médiatique lancée
récemment. Ici, je parle du point de vue
légal. Nous avons le droit de nous
défendre.
57. Sauf
votre respect, il ne s’agit pas juste
d’une campagne médiatique. Comme vous le
savez bien, les Nations Unies ont parlé
de ce sujet ainsi que les associations
des droits de l'homme. Et il ne s’agit
pas uniquement de l’usage d'armes non
discriminatoires contre des civils,
puisque cette semaine l’ONU a parlé de
l’utilisation du siège et de la famine
comme armes de guerre à Alep et à
Darayya, près d'ici. Cela se passe en ce
moment même, tout près de nous, non ?
Le
Président al-Assad :
Nous parlerons du siège. Pour revenir
aux armes, la seule chose dont le
gouvernement ne peut pas faire usage est
ce qu’interdit le droit international.
N’importe quelles autres armes que vous
utilisez contre le terrorisme est un
droit. Il est donc de notre droit d'user
de n’importe quel autre armement pour
vaincre les terroristes.
58. Et
vous savez que vous êtes accusé d’avoir
utilisé des armes chimiques ? Ce que
vous niez.
Le
Président al-Assad :
Nous ne l'avons pas fait. Cela fait
trois ans que personne n’a avancé aucune
preuve à ce sujet. Que des allégations.
59. Il y a
beaucoup de preuves, mais vous les
rejetez.
Le
Président al-Assad :
Non, non. Il n’y a pas de preuve,
seulement des photos sur Internet et
chacun peut…
60.
Photographique, scientifique, témoin
oculaire...
Le
Président al-Assad :
Rien. Une délégation de l'Organisation
internationale des armes chimiques est
venue en Syrie et n’a trouvé aucune
preuve. Ses délégués ont recueilli
toutes sortes d’échantillons pour offrir
des preuves, mais rien. Il n'y a aucune
preuve. Nous n’avons donc pas utilisé
des armes chimiques, d’autant plus qu’il
n’y a aucune logique à un tel usage de
notre part.
61.
Parlons des méthodes utilisées par vos
forces, lesquelles isolent et assiègent
des milliers de civils qui meurent de
faim, tout près d’ici. Le
reconnaissez-vous?
Le
Président al-Assad :
Supposons que ce que vous dites soit
exact. Supposons. Vous parlez de
zones encerclées ou assiégées par
l'Armée depuis des années, non des mois.
Ces gens là manqueraient de nourriture
et de toutes les nécessités de base du
fait du gouvernement, mais en même temps
nous combattent depuis deux ans et nous
pilonnent de leurs mortiers tuant les
civils des régions voisines. Selon votre
récit, cela signifie, que nous leur
permettons d'être approvisionnés en
armement mais pas en nourriture. Est-ce
réaliste ?
62. C’est
ce que dit l'ONU. Par exemple, l'ONU dit
qu’à Madaya elle a réussi à acheminer
seulement quatre convois d'aide pendant
toutes ces années.
Le
Président al-Assad :
Comment les empêcherions-nous de
recevoir de la nourriture, alors que
nous n’avons pas pu les empêcher de
recevoir des armes pour nous tuer ?
Quelle est la logique dans tout cela ?
C’est contradictoire. Soit nous dressons
un siège contre tout, soit nous
autorisons tout. C’est le premier point.
Le deuxième qui prouve que ce que vous
dites n’est pas vrai, ce sont toutes les
vidéos qui montrent tous les convois,
envoyés par les Nations Unies,
atteignant ces mêmes zones. Cela fait
des années que l’ONU dit et répète à
l’envi cette même narrative, mais ces
gens sont toujours en vie Comment
auraient-ils pu vivre aussi longtemps
sans nourriture ?
63. Cibler
des civils est un crime de guerre. Tout
récemment, la famille de Marie Colvin,
une journaliste américaine, a lancé une
procédure aux États-Unis contre vous et
votre gouvernement qu’elle accuse de
l’avoir délibérément ciblée et tuée.
Vous connaissez Marie Colvin, c’était
une de mes amis.
Le
Président al-Assad :
Oui. Une journaliste, oui.
64. Vos
forces ont-elles ciblé Marie Colvin et
ses collègues dans l'intention de la
tuer ?
Le
Président al-Assad :
Tout simplement, non. Tout
d'abord, les Forces armées n’avaient
aucune idée de sa présence et nous ne la
connaissions pas. C’est la guerre. Elle
est entrée illégalement en Syrie et a
travaillé avec les terroristes. Étant
donné qu'elle est entrée illégalement,
elle a été responsable de ce qui lui est
arrivé. Deuxième…
65. Elle
est responsable de sa propre mort ?
Le
Président al-Assad :
Bien sûr, elle est venue illégalement en
Syrie. Nous pouvons être responsables de
chaque personne qui entre légalement
dans notre pays. Elle est entrée
illégalement et elle est allée du côté
des terroristes. Nous ne l'avons envoyée
nulle part, nous ne connaissions rien
d’elle.
66. Comme
vous le savez, cela n'explique pas
pourquoi les missiles ont frappé la
maison où elle se trouvait à Homs ?
Le
Président al-Assad :
Non, non, personne ne sait si elle a été
tuée par un missile, de quel type de
missile il pourrait s’agir, d’où il
venait et comment c’est arrivé. Personne
n'a la moindre preuve. C’est arrivé en
zone de conflit, en zone de guerre, et
vous savez que lorsque vous êtes pris
quelque part sous un feu croisé, vous ne
pouvez pas dire qui a tué qui. Ce sont
donc des allégations. Deuxièmement, des
centaines de journalistes sont venus en
Syrie, légalement et illégalement, et
ont couvert du côté des terroristes, non
de celui du gouvernement ; nous ne les
avons pas tués. Alors, pourquoi
aurions-nous sélectionné cette personne
afin de la tuer ? Il n'y a pas de
raison. Troisièmement, des dizaines de
journalistes travaillant pour le
gouvernement et le soutenant ont été
tués. Les avons-nous tués ? Nous ne
l'avons pas fait. Avez-vous jamais
entendu parler d'une bonne guerre ? Je
ne le pense pas. C’est une guerre. Vous
avez toujours des victimes innocentes
tuées dans diverses circonstances, sans
que personne ne puisse dire comment.
67.
Voyez-vous, Monsieur le Président, vous
donnez l'impression d'un homme qui ne
ressent aucune responsabilité pour les
choses terribles subies, en son nom, par
le peuple syrien. Vous avez un air de :
« Eh bien, cela n’a vraiment pas
d'importance ! ».
Le
Président al-Assad :
Vous portez uniquement la responsabilité
de la décision que vous prenez. Vous ne
portez pas la responsabilité de la
décision que vous n’avez pas prise.
68. Mais
certaines des décisions que vous avez
prises ont entraîné la mort de centaines
de milliers de personnes.
Le
Président al-Assad :
Comme ?
69. Les
attaques contre certaines zones, les
campagnes de frappes aériennes,
l'utilisation de certaines armes.
Le
Président al-Assad :
Les deux seules décisions que nous avons
prises depuis le début de la crise sont
de défendre notre pays contre les
terroristes et d’instaurer le dialogue
avec tous. Nous avons dialogué avec tout
le monde, y compris certains groupes
terroristes prêts à déposer leurs armes.
Nous sommes restés très souples. Nous
n’avons jamais pris la décision
d’attaquer une zone qui n’était pas
occupée par des terroristes ou d’où ils
bombardaient les villes adjacentes.
70.
Avez-vous jamais regardé, par exemple,
les images, photos et vidéos d'enfants
se trouvant dans les zones tenues par
les rebelles ? Si oui, je me demande ce
que vous ressentez. Le chagrin, le
regret, rien ?
Le
Président al-Assad : Ma
question est comment pouvez-vous
vérifier que ces enfants vus sur
Internet sont bien présents dans ces
zones ?
71. Vous
voyez, Monsieur le Président, vous voilà
reparti. Une telle réponse renforce tout
simplement le point de vue selon lequel
vous éludez votre responsabilité.
Le
Président al-Assad :
Non, non, non.
72. En
réalité, vous ne vous souciez pas des
gens de l'autre côté, que vos forces
tuent ?
Président
Assad : Cette question
pourrait recevoir une réponse si vous
répondez à la question suivante :
comment jugez-vous actuellement Bush
pour le million d'Irakiens morts depuis
la guerre d’Irak en 2003 ?
73. Je ne
suis pas ici pour parler de Bush. Je
suis ici pour vous interroger.
Le
Président al-Assad :
Non, non. Ici, je ne parle que de
principe. D’un même principe. Il a
attaqué un pays souverain, alors que je
défends mon pays. Si vous utilisez un
seul standard, c’est une chose, mais si
vous appliquez un double standard, c’est
autre chose.
74. Vous
ne me donnez toujours pas l’impression
de vous soucier vraiment beaucoup de
tout ceci.
Le
Président al-Assad :
Non, non. Je m’adresse à un public
américain et il nous faut établir une
analogie entre nos deux situations,
parce que c’est en rapport avec la
logique dont vous vous servez pour
expliquer quelque chose. Il ne s’agit
pas de ma réponse. Bush a attaqué un
pays souverain, alors que nous défendons
notre pays. Il a tué les Irakiens sur
leur terre, alors que nous nous
défendons principalement contre des
terroristes venus de différents pays à
travers le monde. Nous sommes donc dans
notre droit, et vous venez nous parler
d'une guerre propre sans victimes, sans
civils innocents tués ; ce qui n’existe
pas…
75. Est-ce
ainsi que vous expliquez la guerre, par
exemple, à vos enfants à la table du
petit déjeuner ? Je suis sûr qu'ils sont
très…
Le
Président al-Assad :
Bien sûr et je leur parle de la réalité,
des faits. Quant aux enfants tués, je
leur dis de qui sont-ils les enfants,
d’où ils sont, comment ils ont été tués.
Vous, vous parlez de la propagande, des
campagnes médiatiques et parfois de
fausses photos sur internet. Nous, nous
ne pouvons parler que des faits. Je ne
peux pas leur parler d’allégations.
76.
Avez-vous déjà pleuré à propos de ce qui
est arrivé en Syrie ?
Le
Président al-Assad :
Pleurer ne signifie pas que vous êtes un
homme bon ou que vous ressentez beaucoup
de compassion. Il s’agit de ce que vous
éprouvez dans votre cœur, non dans vos
yeux. Ce n’est donc pas une question de
larmes. Ensuite, en tant que Président,
il ne s’agit pas de ce que vous
ressentez, mais de ce que vous comptez
faire. Comment allez-vous procéder pour
protéger les Syriens ? Lorsqu’un
événement malheureux survient, ce qui
est quotidien, allez-vous continuer de
pleurer tous les jours, ou bien
continuer à travailler ? Chaque fois
qu’un incident malheureux arrive, je me
demande comment je pourrais en protéger
les autres Syriens.
77. Que
comptez-vous faire à l’avenir ?
Allez-vous poursuivre encore et encore
et encore ? Vous et votre père avez
occupé le pouvoir pendant quarante-six
ans, est-ce exact ?
Le
Président al-Assad :
Non, ce n'est pas exact, parce qu'il fut
un président et que je suis un autre
président. Votre description n’est
absolument pas exacte. Il a été élu par
le peuple syrien et j'ai été élu après
sa mort. Il ne m'a pas placé sur un
poste quelconque, de sorte que vous ne
pouvez pas faire cette liaison. Je suis
au pouvoir depuis seize ans et non
quarante-six.
78. Vous
êtes au pouvoir depuis seize ans, ma
question est : allez-vous y rester
encore et encore ?
Le
Président al-Assad :
S’il s’agit de mon poste, vous devez
interroger le peuple syrien. S'il ne
veut pas de moi, je dois partir de
suite, aujourd'hui même. S'il veut de
moi, je dois rester. Cela dépend de lui.
Je veux dire que je ne peux pas rester
contre sa volonté ; auquel cas, je ne
peux pas continuer, je ne peux pas
réussir. Je n’ai pas l’intention de ne
pas réussir.
79.
Comment pensez-vous que l'Histoire se
souviendra de vous?
Le
Président al-Assad :
Comment j’espère que l'Histoire se
souviendra de moi ? Je ne peux pas le
prédire, je ne suis pas devin. J'espère
que l'histoire me verra comme l'homme
qui a protégé son pays du terrorisme, de
l’ingérence, a sauvé sa souveraineté et
l'intégrité de son territoire.
80. Parce
que vous savez que le premier jet qu’a
retenu l’Histoire dit que vous êtes un
dictateur brutal, un homme avec du sang
sur vos mains et même plus de sang que
votre père.
Le
Président al-Assad :
Non. Une fois de plus je donnerai cet
exemple du médecin qui coupe un bras
gangréné pour sauver le patient. Vous ne
dites pas de lui qu’il est médecin
brutal. Il fait son travail pour sauver
le reste du corps. Par conséquent,
lorsque vous protégez votre pays des
terroristes, lorsque vous tuez des
terroristes et que vous défaites des
terroristes, vous n'êtes pas brutal,
vous êtes un patriote. Voilà comment
vous vous voyez et voilà comment le
peuple veut vous voir.
81. Et
voilà comment vous vous voyez ? Comme un
patriote ?
Le
Président al-Assad : Je
ne peux pas être objectif sur moi-même.
Le plus important est de savoir comment
les Syriens me voient. C’est là une
opinion vraie et objective, non ma
propre opinion.
Bill Neely
: Monsieur le
Président, merci beaucoup pour avoir
répondu aux questions de NBC et
d’avoir pris le temps de vous entretenir
avec moi. Merci beaucoup.
Le
Président al-Assad :
Merci à vous.
Docteur
Bachar al-Assad
Président de la
République arabe syrienne
14/ 07/ 2016
Sources :
SANA / NBC News
Texte
intégral de l’entrevue en anglais
http://sana.sy/en/?p=82569
Vidéo NBC
news
http://www.nbcnews.com/nightly-news/video/watch-full-exclusive-interview-with-syrian-president-bashar-al-assad-724734019921
Traduit de
l’anglais par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1] ‘He
Didn’t Flinch’: NBC’s Bill Neely on
Interviewing Syrian President Bashir al-Assad
http://www.adweek.com/tvnewser/he-didnt-flinch-nbcs-bill-neely-on-interviewing-syrian-president-bashir-al-assad/298950
[2] La
coalition internationale aurait tué au
moins 85 civils dans un village syrien
http://www.liberation.fr/planete/2016/07/20/la-coalition-internationale-aurait-tue-au-moins-85-civils-dans-un-village-syrien_1467386
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
Le
dossier Syrie
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