Entretien
Entretien
avec la secrétaire-générale adjointe du
Parti communiste libanais Marie Nassif-Debs
Dimanche 18 août 2013
Entretien avec Marie Nassif-Debs réalisé
par le magazine irlandais « Look left »
Traduction MA pour
http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
1 – Quelle
est l'analyse du Parti communiste
libanais (PCL) sur les origines des
troubles en Syrie?
Pour
comprendre la crise syrienne, il est
nécessaire, dans le même temps, de jeter
un coup d’œil à la situation intérieure
du pays et aux troubles qui font rage
dans la région depuis l'occupation de
l'Irak en 2003. En fait, la situation
intérieure syrienne connaît, depuis des
décennies, des formes d'opposition aux
politiques du parti Baas. Cette
opposition n'est pas unifiée.
Il y
a, tout d'abord, les démocrates et les
groupes de gauche qui ont toujours tenté
de créer, malgré la répression et
l'incarcération, un processus de
réformes sociales, économiques et
politiques contre la politique
dynastique, les abus de pouvoir, la
corruption et tout particulièrement les
politiques néo-libérales qui ont ravagé
l'économie syrienne, essentiellement
l'agriculture, mettant des centaines de
milliers de Syriens au chômage. Il y a
aussi l'opposition menée par les groupes
islamistes, avec une majorité sunnite,
qui essaient de prendre le pouvoir en
instrumentalisant la religion, ou plutôt
de prendre le pouvoir à la minorité
alaouite.
Dans
cette situation nationale instable, se
sont ajoutés des facteurs extérieurs, à
commencer par les tentatives américaines
de briser l'alliance entre la Syrie,
l'Iran et la Russie afin de mettre en
place son projet dit du « Nouveau Moyen-orient », un plan géo-stratégique
de la plus haute importance économique,
avec les réserves de pétrole et de gaz
que détient la région. Ils ont en outre
la soutien d'Israel, celui des forces
féodales du Golfe. Ils ont contribué à
créer des groupes islamistes et
salafistes qui se répandent dans tout le
monde arabe. A cet égard, il est
nécessaire de lire attentivement les
directives de la politique étrangère de
Washington, à commencer par le livre de
Z.Brzezinski « Le grand échiquier » qui
a inspiré la politique étrangère turque.
Bien
entendu, deux ans après le début de la
crise, les facteurs extérieurs sont
devenus dominants, ce qui permet de dire
qu'il y a une internationalisation du
conflit, et que les troubles en Syrie
vont hélas dans le sens d'une guerre
civile communautaire qui rappelle celle
qu'a connu le Liban entre 1975 et 1990.
Dans de telles circonstances, une guerre
aussi longue et destructrice ne pourra
conduire qu'à l'effondrement de la
Syrie.
2 –
Est-ce que l'extrémisme religieux et les
royaumes féodaux du Golfe ont désormais
l'ascendant dans le monde arabe ou
est-ce que les forces progressistes
peuvent triompher à terme ?
Ce qui se passe en Syrie est un peu
différent de la situation dans d'autres
pays arabes, y compris en Egypte et en
Tunisie. Les deux pays ont connu de
véritables révolutions et les forces
populaires qui en ont été à l'origine et
se sont appuyées sur un vrai programme
de changement et ce à tous les niveaux.
Il est vrai que ces révolutions ont été
détournées un temps par les « Frères
musulmans » et d'autres forces
politiques islamistes payées par le
Qatar et l'Arabie saoudite, mais la
résurgence du mouvement en Egypte (sous
le mot d'ordre du refus du règne de la
Charia) et les préparatifs pour une
révolte similaire en Tunisie font penser
que les forces politiques démocratiques
et progressistes sont bien ancrées dans
le mouvement populaire et, par
conséquent, peuvent triompher, et leur
triomphe, en particulier en Egypte,
influencera tout l'Orient arabe. Voilà
pourquoi nous croyons que les tentatives
des États-Unis, tout comme l'argent de
l'Arabie saoudite et du Koweit (plus de
12 milliards de $) ne pourront pas
empêcher le processus d'arriver à son
terme.
3 – Quelle est l'analyse que fait le
PCL de l'implication du Hezbollah en
Syrie ?
Le PCL a, dès le début de la crise
syrienne, adopté une position basée sur
l'analyse que je viens de développer.
Cette position repose sur trois refus,
et une affirmation : Non à la solution
militaire prônée par le régime, non à la
guerre civile communautaire défendue par
l'opposition salafiste, non à toute
intervention étrangère, oui à une
solution politique interne reposant sur
des changements radicaux.
Et quand nous parlons d'une solution
interne syrienne sans intervention
étrangère, cela signifie que nous sommes
contre l'intervention du Hezbollah mais
aussi des forces politiques libanaises
alliées aux Etats-unis et à l'Arabie
saoudite (et menées par l'ancien premier
ministre Saad Hariri) dans les affaires
intérieures syriennes. C'est pourquoi,
depuis mars 2011, nous avons appelé à
préserver le Liban et à donner à l'armée
libanaise un appui politique pour
empêcher que l'on utilise nos frontières
pour fournir des armes aux rebelles
syriens. Nous étions le seul parti
politique à déclarer que la politique de
« neutralité » adoptée par le
gouvernement ne mènerait qu'à l'impasse
dans le conflit au Liban, en raison des
divisions politiques et religieuses.
4 – Quels sont les principaux effets
de la crise syrienne sur le Liban ? Et
comment le PCL tente de traiter la
question de la division communautaire au
Liban ?
Etant
donné l'évolution du conflit syrien et
les divisions communautaires verticales,
qui ont toujours été à l'origine des
problèmes libanais et qui vont
aujourd'hui dans le sens d'un conflit
sunnite-chiite (encouragé par l'Arabie
saoudite mais aussi par l'Iran), nous
croyons que le Liban est menacé par une
nouvelle guerre communautaire, poussée
par les différentes factions de la
bourgeoisie libanaise qui ont construit
leur régime sur la base des quotas
communautaires. C'est ainsi que nous
lisons les explosions militaires parfois
à Tripoli, parfois dans le Bekaa,
parfois dans le Sud, à quoi s'ajoute le
retour des voitures piégées. C'est en ce
sens que nous voyons également le
développement des groupes salafistes, y
compris ceux dans les camps de réfugiés
palestiniens (avec le groupe « Al Nosra »,
un groupe proche d' « Al Qaeda »). Sans
oublier les centaines de milliers de
réfugiés syriens (certains liés à
l'Armée syrienne libre) entrant
légalement ou non dans le pays, avec
tout les problèmes militaires et sociaux
que cela soulève dans un petit pays
comme le Liban (4,5 millions de
personnes, dont 400 000 Palestiniens).
Par
conséquent, l'initiative prise par notre
parti consiste à créer un rassemblement
politique et social sous le mot d'ordre
de la préservation de la paix civile et
du travail pour un changement
démocratique, commençant par un appel à
une Conférence constitutionnelle
nationale.
Le but
de cette conférence est de remettre en
question les principes mêmes du système
politique confessionnel et d'en proposer
un nouveau sur les principes de la
démocratie et de l'égalité, à commencer
par des changements dans les statuts
personnels confessionnels sur les états
civils et en finissant par la
modification de la Constitution.
5 – Comment
êtes-vous entrée au Parti communiste ?
J'ai commencé ma vie de militante à
l'âge de 16 ans, quand nous avons
commencé à étudier le marxisme : j'ai
découvert que mes révoltes contre la
pauvreté et l'injustice avaient un nom
qui pouvait changer la société par
l'engagement politique.
J'ai donc commencé à lire mais aussi à
étudier sur ce qui s'était passé au
Liban et dans le monde arabe et à
analyser le problème des divisions
religieuses qui m'ont toujours gêné, en
particulier pendant les heures de
catéchisme où les musulmans n'étaient
pas autorisés à assister aux cours.
Deux années après, en 1967, j'ai rejoint
le Parti communiste libanais, pendant la
Bataille du Second congrès, comme nous
l'appelons. C'était la bataille pour
remettre le PCL dans la voie du
changement démocratique, car pendant 25
années l'ancienne direction avait
suspendu tout congrès. C'est aussi ce
Congrès qui a donné un nouveau souffle
au communisme au Liban et dans la
région, en corrigeant la ligne du PCL et
en insistant sur l'union de la lutte de
classe et de la lutte pour la libération
nationale, avec au premier plan le
problème palestinien comme problème
central du mouvement de libération
arabe.
6 – Quelle est la force du mouvement
communiste dans la vie politique et le
mouvement ouvrier libanais ?
Le mouvement communiste était et reste
la base du mouvement syndical. Les
militants syndicalistes du Parti
communiste libanais ont été, depuis la
fin de la Seconde guerre mondiale et
jusqu'à présent, ont été les
instigateurs de toutes les réformes en
matière sociale : le Code du travail
(1948), la sécurité sociale et médicale
(1963), la loi sur les retraites etc. En
outre, ce sont les militants communistes
qui ont créé le mouvement syndical chez
les enseignants (au début des années
1970) et, pendant 30 ans, nous avons
lutté pour le changement des statuts
dans la fonction publique, notamment sur
les libertés syndicales. Et n'oublions
pas le rôle des communistes dans
l'agriculture, parmi les ouvriers
agricoles et les pauvres paysans.
Le PCL est bien ancrée dans la classe
ouvrière libanaise. Le parti a mené la
lutte pour améliorer la situation à la
campagne. C'est le seul parti, ou
presque, qui travaille sur des bases
sociales non-confessionnelles. Pour
toutes ces raisons, il a une influence
non-négligeable parmi les masses. Les
statistiques nous donnent actuellement
un peu moins de 12% des voix des
électeurs, mais nous n'avons pas de
députés à cause du système électoral
confessionnel (sur la base de la
représentation des confessions
religieuses) que la bourgeoisie a adopté
afin de pouvoir continuer à monopoliser
le Liban. Voilà pourquoi nous, comme
nous l'avions dit précédemment, optons
pour la suppression complète du système
confessionnel derrière lequel se cache
la bourgeoisie. Elle l'utilise pour
diviser les travailleurs et les masses
populaires chaque fois qu'elle voit son
système menacé.
7 – Quelle est la situation du droit
des femmes au Liban comparé aux autres
Etats arabes ?
Les
luttes pour les droits des femmes
étaient une priorité du PCL depuis sa
création en 1924. Par ailleurs, le
mouvement des femmes au Liban est un des
plus anciens du monde arabe et la femme
arabe était une des premières dans cette
partie du monde à voir reconnu son droit
de vote et celui d'être éligible (1953).
Mais
le problème persiste dans le régime
libanais qui a donné ses prérogatives en
termes de statut personnel et politique
aux différents leaders confessionnels.
Les discriminations continuent ainsi à
peser lourd. Il est vrai qu'au cours des
12 dernières années, nous avons réalisé
un grand pas en avant dans les luttes,
nous avons contribué à faire changer les
lois, mais nous avons encore un long
chemin à parcourir, afin d'appliquer la
parité dans la fonction publique et un
quota de femmes dans les institutions de
pouvoir (au parlement, il n'y a
actuellement que 4 femmes sur 128
députés).
8 – Quels sont
vos espoirs pour le mouvement communiste
au Liban dans les années à venir ?
Nous espérons parvenir à imposer un
changement démocratique radical,
notamment un régime laic basé sur le
code civil. Nous espérons également
parvenir, par notre travail, à empêcher
que notre pays sombre dans la guerre
civile, et finalement, nous espérons
libérer le reste de notre territoire
sous occupation israélienne. Il reste un
objectif : réaliser l'unité du mouvement
de la gauche arabe (pour lequel nous
travaillons depuis trois ans) afin de
libérer des ressources et des richesses
du pillage impérialiste et de réaliser
le progrès social pour nos peuples sur
la voie du socialisme.
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