Un ancien kidnappé par les bandes armées
syriennes témoigne
Homs : tout ce qui est raconté par les
médias est à l'envers
Silvia Cattori
Homs - Une
"image-document" publiée par
Shaam News de
l’opposition syrienne.
Dimanche 24 juin 2012
En nous
entretenant avec un habitant de Homs qui
observe ce qui s’y passe au jour le jour
dans son pays (*), nous avons appris que
les forces gouvernementales n’ont pas
bombardé la ville de Homs, ces dix
derniers jours, comme rapporté par la
presse internationale.
Ainsi, tout ce qui nous est raconté par
les médias est à l’envers. Il n’est pas
vrai que Homs est pilonnée par l’armée
gouvernementale. Il n’est pas vrai que
les autorités syriennes empêchent le
CICR d’accéder aux blessés et aux
malades. Il n’est pas vrai que Homs est
une ville assiégée par les forces
gouvernementales. Ce sont quelques
centaines de rebelles qui pilonnent, qui
massacrent, qui maintiennent une partie
de la ville de Homs et de sa population,
sous siège.
Silvia Cattori :
Les images que nos
médias nous présentent de Homs montrent
une ville fantôme. Nous sommes inquiets
pour vous. Que se passe-t-il dans votre
quartier ? Pouvez-vous sortir
normalement ?
Réponse :
Oui nous sortons tout à fait
normalement.
Silvia Cattori :
Ce n’est donc pas pour
vous à Homs la période la plus sanglante
depuis le début des troubles, comme
l’affirmait ce matin Valérie Crova sur
France Culture ?
Réponse :
Non ce n’est pas la période la plus
difficile car nous pouvons sortir, aller
acheter le pain, sortir de Homs,
voyager. Nous avons connu des périodes
bien plus dures où nous ne pouvions pas
sortir. Le plus dur et préoccupant c’est
ce que subissent les familles qui sont
séquestrées depuis des mois par les
forces rebelles de l’Armée libre
[Armée syrienne de
libération].
Silvia Cattori :
Alors nos médias mentent
quand ils affirment que Homs est
toujours soumise aux bombardements
intensifs de l’armée régulière [1]
? Ne vous sentez-vous pas en danger ?
Réponse :
Je ne me sens pas personnellement en
danger. Premièrement, dans notre
quartier tout est calme. Deuxièmement,
il n’y a pas à Homs de bombardements de
la part des forces du gouvernement. Il y
a des tirs à l’artillerie lourde mais ce
sont les rebelles qui tirent en
direction précisément des lieux où il y
a les forces de sécurité. Troisièmement,
l’armée régulière n’intervient pas.
Seules les forces de sécurité sont
présentes.
Silvia Cattori :
Nous avons vu, hier encore des images
impressionnantes de destructions
d’immeubles à Homs que l’on attribue aux
bombardements de l’armée ?!
Réponse :
Les vidéos que vous avez dû voir ne sont
pas des destructions récentes. Ce sont
des images d’immeubles qui ont été
détruits pour la plupart avant la prise
de Baba Amr. Ces destructions ne sont
pas dues aux bombardements des forces de
sécurité. Ce sont des destructions
faites par les rebelles selon un procédé
qu’ils utilisent depuis des mois. Ils
minent un immeuble, ils le font
exploser, ils allument des pneus, puis
diffusent ces images qui font croire que
l’armée du gouvernement bombarde en
permanence. [2].
Silvia Cattori :
Cela, ils le font
toujours ?
Réponse :
Ils font cela quotidiennement. En
réalité il y a des quartiers où les gens
vivent normalement. Par contre,
notamment dans les vieux quartiers du
centre de Homs où les rebelles se sont
mêlés à la population sunnite et
chrétienne, les gens pris en otage, sont
en grand danger. Cela représente un
carré qui n’est pas très grand mais
difficile d’accès pour les forces de
l’ordre. Les rebelles ont miné le
pourtour de ce carré. C’est pourquoi les
forces de sécurité ne se résolvent pas à
envisager une intervention pour ne pas
faire courir des risques aux familles
que les rebelles armés utilisent comme
boucliers. Ce carré comprend les
quartiers de Khaldiye, Warche, Bustan
Diwan, Akrama et Hamidieh, aujourd’hui
vidé de ses habitants en majorité
chrétiens, où les rebelles ont pris
leurs quartiers et ont vandalisé et
brûlé les églises [3].
Je tiens à préciser que nous n’avons pas
été élevés en Syrie dans le
confessionnalisme. Les forces de
sécurité sont embarrassées pour
intervenir car, lorsqu’elles
interviennent, les rebelles se vengent
sur les otages. Ils jettent les cadavres
à l’extérieur des quartiers qu’ils
maintiennent sous siège. Ils jettent les
corps…Ils jettent les cadavres des
victimes sur la voie publique. Les corps
sont ligotés avec des chaînes…
Silvia Cattori :
Cela s’est-il produit
récemment ?
Réponse :
Cela s’est produit trois fois la semaine
passée. Onze corps ont été trouvés en
une semaine.
Silvia Cattori :
Des femmes, des enfants
?
Réponse :
C’étaient des hommes qui avaient été
enlevés dans divers quartiers par les
rebelles.
Silvia Cattori :
La population de Homs
n’est-elle pas impatiente de voir
libérés ces lieux et leurs habitants ?
Réponse :
Oui bien sûr. Nous, en tant
qu’habitants, nous sommes très perturbés
par le fait que les forces de sécurité
ne sont pas intervenues pour les déloger
depuis longtemps. On voudrait qu’elles
interviennent avec fermeté et que Homs
soit totalement débarrassée de ces
bandes armées. Si la décision était
prise d’intervenir, les forces de
sécurité pourraient les déloger en
quelques heures. Elles ne sont pas
intervenues jusqu’ici car elles courent
le risque de causer, par les échanges de
tirs avec les rebelles, des victimes
innocentes parmi les quelques huit cent
personnes qui servent de bouclier aux
rebelles. Chaque intervention peut
entraîner des victimes civiles, les
rebelles se vengent sur elles, les
exécutent.
Silvia Cattori :
Ces rebelles, combien sont-ils ?
Réponse :
Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est ce
qu’ils m’ont fait subir.
Silvia Cattori :
Vous avez été vous-même
enlevé. Comment aviez-vous pu en
réchapper ?
Réponse :
J’ai été libéré dans le cadre d’un
échange, deux mois après mon enlèvement.
Silvia Cattori :
Comment vous sentez-vous
aujourd’hui ?
Réponse :
Je porte toujours les traces des
tortures subies depuis qu’ils m’ont
relâché [nous ne donnons
pas la date pour protéger la sécurité du
témoin].
Question de
l’interprète :
Peut-on vous demander quel genre de
tortures ?
Réponse :
Au début c’était de la torture physique.
Ils me frappaient avec de gros câbles
électriques ; ils me cisaillaient le
cou, ils me menaçaient de m’égorger avec
un couteau, ils m’aspergeaient d’eau
froide, c’était l’hiver et il faisait
très froid. Puis ça a été de la torture
psychologique. J’avais tout le temps les
yeux bandés sauf quand ils
m’autorisaient à me rendre aux
toilettes. J’étais toujours seul. Une
seule fois j’ai pu voir un homme qui
avait été torturé ; on lui avait arraché
toute la peau du dos, il était
sanguinolent jusqu’au coude, je voyais
l’os sortir. C’était un simple employé
de la municipalité. Le simple fait qu’il
travaillait pour les autorités locales
faisait de lui un allié du gouvernement
el-Assad.
Silvia Cattori :
France Culture vient de
dire que « la Croix rouge regrette
l’intransigeance du régime syrien qui
interdit au CICR l’accès à la ville de
Homs où les blessés attendent des
secours depuis 10 jours ».
Frédéric Joli, porte
parole du CICR en France, interrogé par
France culture [22 juin, 12h30]
n’a pas précisé, comme
vous le faites, que les raisons qui
empêchent l’accès aux quartiers tenus
par les rebelles n’incombent pas aux
autorités [4].
Tout ce cela serait faux ?
Réponse :
Tout cela est totalement faux. Si le
gouvernement syrien ne voulait pas
laisser les secouristes intervenir,
pourquoi les aurait-il autorisés à
entrer en Syrie ? Ce n’est pas
uniquement à cause des mines placées aux
alentours des quartiers où des gens sont
pris en otage qu’il n’a pas été possible
d’entrer aux membres de la Croix rouge
internationale. Hier, j’ai vu les
véhicules du CICR et du Croissant rouge
endommagés par les tirs des rebelles.
Par ces tirs ils les ont obligés à
rebrousser chemin. Les autorités
collaborent étroitement avec la
délégation du CICR pour pouvoir accéder
aux familles prises en otages par les
rebelles.
Silvia Cattori :
Si je comprends bien, ce
dont la Syrie a le plus besoin ce n’est
pas de secouristes internationaux. Le
problème de votre pays est de savoir
comment en finir avec les actions
violentes des groupes armés ?
Réponse :
Oui, effectivement. Nous n’avons besoin
ni de la Croix rouge internationale, ni
d’observateurs, ni d’aucune ONG venant
de l’extérieur. En Syrie nous avons tout
ce dont la population a besoin. La seule
chose dont nous avons besoin, est que
des forces extérieures cessent de
ravitailler les rebelles de l’ASL,
qu’elles cessent de leur envoyer des
armes sophistiquées, des lunettes de
vision nocturne, etc. Si le soutien qui
est apporté aux rebelles depuis
l’extérieur cesse, les choses vont se
calmer. Le plus grand problème est que
notre gouvernement, que l’on a tant
accusé de blocage, ait accepté de
laisser entrer des ONG qui nous créent
plus de problèmes qu’autre chose. Il y a
sans doute des gens honnêtes mais il y a
aussi parmi eux des gens qui ne le sont
pas, et dont le témoignage trahit la
réalité et aggrave notre situation en
rapportant les choses de manière à
donner une image faussée du gouvernement
et de ce qui se passe en vérité ici. Au
milieu de tout cela, le plus dur pour
nous est de savoir que ce sont les
grandes puissances qui sont à l’origine
de nos souffrances ; ce sont elles qui
soutiennent la rébellion pour mettre à
exécution leurs visées sur la Syrie.
Elles savent que, compte tenu du refus
de ces visées par le peuple syrien qui
soutient sur ce point le gouvernement
el-Assad, elles ne pourront mettre à
exécution leur projet que si elles font
tomber ce gouvernement.
Image diffusée le
16 juin 2012 par l’opposition syrienne
montrant une épaisse fumée
au-dessus
d’une mosquée à Homs disant qu’elle
avait été bombardée par l’armée
(Shaam News Network/AFP).
En fait, cette
mosquée n’a pas été bombardée.
Silvia Cattori
(*) Entretien réalisé le 22 juin
2012 et traduit simultanément de
l’arabe en français par Mme Rima
ATASSI. Pour des raisons évidentes
nous ne révélons pas le nom de notre
témoin, un cadre indépendant, âgé de
61 ans, qui réside à Homs.
[1]
L’ensemble des médias montrent des
images de bombardements récents par les
forces d’el-Assad qui n’ont pas eu lieu.
Voir ici quelques exemples :
« Syrie : Homs toujours violemment
bombardée »,
Le Nouvel
Observateur, 14 juin 2012.
http://tempsreel.nouvelobs.com/video/xrjs6r.VID/syrie-homs-toujours-violemment-bombardee.html
« SYRIE. Homs de nouveau sous les bombes
de l’armée », par
Le
Nouvel Observateur avec
AFP, 17 juin 2012.
http://tempsreel.nouvelobs.com/la-revolte-syrienne/20120617.OBS8880/syrie-homs-de-nouveau-sous-les-bombes-de-l-armee.html
« Syrie : la ville rebelle de Homs de
nouveau pilonnée »,
Le
Monde.fr, 17 juin 2012.
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/06/17/syrie-la-ville-rebelle-de-homs-de-nouveau-pilonnee_1720009_3218.html
« Syrie : l’armée pilonne de nouveau la
ville de Homs »,
RTL.fr,
17 juin 2012.
http://www.rtl.fr/actualites/international/article/syrie-l-armee-pilonne-de-nouveau-la-ville-de-homs-7749629185
« Syrie : l’armée s’acharne sur Homs et
Deraa »,
Le Point.fr,
21 juin 2012 , un article de l’AFP
repris par de nombreux médias.
http://www.lepoint.fr/monde/syrie-l-armee-s-acharne-sur-homs-et-deraa-21-06-2012-1476209_24.php
[2]
Nous avons visionné quelques vidéos sur
la Syrie présentées par les médias
« d’amateurs » pour
tester la véracité du stratagème décrit
par notre témoin. Résultat : on comprend
qu’il s’agit de vidéos fabriquées par
des professionnels à des fins de
propagande. On voit toujours un immeuble
exploser, un panache de fumée, le tout
ponctué par Allah akbar et des tirs de
rafales. Voir :
« Syrie : Homs violemment bombardée »,
vidéo de l’afp, 8
juin, reprise par
Libération et de nombreux
quotidiens. Il est dit en arabe :
« À Homs…le quartier
rebelle de Khaldiyé a subi son
"bombardement le plus violent depuis le
début de la révolte", avec une moyenne
de 5 à 10 obus par minute depuis le
matin, selon l’opposition ».
http://www.dailymotion.com/video/xreq7w_syrie-homs-violemment-bombardee_news
Le commentaire dit :
«
Incendie des maisons suite aux tirs des
RPG, de l’artillerie, et des chars T72.
Allah akbar, le vieux Homs, Allah akbar…
la mosquée Khaleb bin al Walid est
bombardée. Allah akbar, ou sont les
observateurs ? Le vieux Homs, Khaldiye
sont bombardes par les RPG et les chars
». Le 18 06 2012. Tout est faux.
https://www.youtube.com/watch ?v=FCpvZjXtyiA&feature=player_embedded
« Syrie : la province de Homs toujours
pilonnée », 19 juin 2012,
France 24, montage
vidéo de date incertaine, mis sur
YouTube et repris
par l’ensemble des médias.
http://www.france24.com/fr/20120618-syrie-internet-pilonnage-province-homs[3]
Voir : « Églises vandalisées et
désacralisées à Homs », par Silvia
Cattori, 19 juin 2012 (dossier d’images
transmises par
Vox
Clamantis)
http://www.silviacattori.net/article3344.html
[4]
Voir :
« À Homs, le CICR attend que les
bombardements cessent pour accéder aux
blessés »,
france24.com,
21 juin 2012.
http://www.france24.com/fr/20120621-syrie-homs-comite-international-croix-rouge-croissant-bombardements-al-assad-insurges
Le sommaire de Silvia Cattori
Les dernières mises à jour
|