Entretien
«L'Azawad, nouveau
bourbier aux portes de l'Algérie»
Gilles
Munier
Gilles
Munier
Mardi 10 avril 2012
Entretien
avec Gilles Munier, réalisé par Fayçal
Oukaci
(Le
Courrier d’Algérie – 10/4/12)*
Quelle politique
concrète, l'Algérie peut-elle prendre
avec la coalition islamo-targuie, après
les derniers développements au Mali,
avec notamment l'enlèvement de sept
diplomates, dont le consul. Une
opération militaire était-elle
envisageable?
L'enlèvement des
diplomates était inacceptable. Une
opération militaire a certainement été
envisagée, pour le principe, mais elle
était loin d'être gagnée d'avance. Elle
aurait, d'ailleurs, été préjudiciable au
rôle modérateur que l'Algérie semble
jouer en coulisse.
Si la poussée
d'Al-Qaïda au Maghreb suit une
trajectoire prévisible, que dire de Iyad
Ag Ghali, un touareg de Kidal, qui a
travaillé en Algérie, dans
l'administration, et qui, devenu chef
d'une rébellion, était signataire des
«Accords d'Alger» de 2006, avant de
se voir envoyer par Bamako en tant que
consul du Mali à Riyad, en Arabie
saoudite. Peut-on voir, là, une
tentative de mainmise de l'islamowahabisme
pétrolier saoudien-qatari, aussi, sur la
région ?
La mainmise de
l'Arabie saoudite, je ne pense pas. Le
cheikh Iyad Ag Ghali a été expulsé
d'Arabie, en 2010, en raison des
relations qu'il entretenait avec des
partisans d'Oussama Ben Laden. Mais la
main du Qatar, très certainement, comme
partout où il y a des promesses de
pétrole et surtout de gaz.
L'émir Hamad Ben
Khalifa at-Thani, soutenu par la France,
voudrait jouer un rôle prédominant au
sein du Forum des pays exportateurs
de gaz (Fpeg), créé à l'image de l'Opep,
qui a tenu son premier Sommet, en
novembre dernier, à Doha. La réalisation
des rêves démesurés de l'émir passe par
la mise en orbite politique d'islamistes
qui se prêtent à son jeu dans les pays
arabes et sahéliens.
Juppé affirmait,
il y a quelques jours, que l'Algérie a
un rôle majeur à jouer dans le conflit
malien, au vu de son rôle traditionnel
de «négociateur» et de
«facilitateur» dans les conflits qui
se sont déroulés au Mali depuis 1991.
N'y a-t-il pas, là, une tentative de
pousser Alger dans un bourbier, d'où il
lui sera difficile de s'extirper ?
L'Algérie n'est pas
à l'abri des tentatives de
déstabilisation. Il faut savoir qu'en
France, aux États-Unis et en Israël, des
lobbies, écoutés, préconisent la
partition des pays qui, comme le Mali et
l'Algérie, seraient trop vastes pour
être administrés par les forces
politiques qui les composent. Ils
verraient bien la création de régions
autonomes - à l'image de celle du
Kurdistan en Irak - ou de
micro-États. C'est ce qui se passe en
Libye avec la déclaration d'autonomie de
la région pétrolière de Barqa
(Cyrénaïque), demain, sans doute, celle
du Fezzan, et avec l'apparition de
villes-États, comme Misrata. C'est aussi
ce qui s'est passé au Soudan, amputé de
sa partie sud, riche en pétrole, et
peut-être un jour du Darfour.
Le «principe fondamental de
l'intangibilité des frontières héritées
de la colonisation », rappelé
régulièrement par Jean Ping, président
de la Commission de l'Union africaine,
est à géométrie variable. Il ne
s'applique qu'aux pays qui n'intéressent
pas, économiquement ou
géostratégiquement, les Occidentaux. Les
revendications des minorités ethniques
opprimées et méprisées, comme c'était le
cas des Touareg au Mali, ne sont
entendues que lorsque leur sous-sol
renferme des richesses, dont
l’exploitation est devenue rentable.
Entraîner
l'Algérie, dans un bourbier pour la
déstabiliser, est une hypothèse qu'il ne
faut pas négliger, pas plus qu'il ne
faut prendre à la légère le projet de
fédération amazigh, regroupant l'Azawad,
les régions berbères du djebel Nefoussa,
et de Zouara qui deviendrait son
terminal pétrolier et gazier.
Le conflit au
Mali, les prodromes de la guerre civile
en Libye, la circulation d'armes lourdes
dans la région saharo-sahélienne, ce ne
sont pas, là, les legs de Kadhafi et qui
sonnent comme une bombe à retardement ?
Kadhafi vivant, les événements
n'auraient-ils pas suivi une autre
trajectoire, plus calme, moins
belliqueuse, grâce aux sommes d'argent
qu'il injectait pour les uns comme pour
les autres ?
Les armes de
Kadhafi… et, n'oublions pas celles
livrées par la France et le Qatar à ses
opposants. La France et l'Otan voyaient
d'un mauvais oeil la politique africaine
du colonel Kadhafi. C'est une des causes
de son renversement. Bien sûr, lui
vivant, les événements auraient suivi
une autre trajectoire. Il avait, aussi,
promis aux Touareg maliens la création
d'un État, mais à l'image de la
Jamahiriya, et cela Sarkozy et ses amis
n'en voulaient pas.
Les États-Unis
et la France ne semblent pas étrangers à
la détérioration de la situation au
Sahel. ATT, avant sa chute, accusait
Paris de soutenir la rébellion, le Mnla
reçu en catimini à l'Élysée, alors que
Washington a bel et bien dispensé des
entraînements militaires au chef des
putschistes aux États-Unis même, dans le
cadre de la lutte antiterroriste.Y
a-t-il un dessous de cartes que nous ne
connaissons pas ?
Le bassin saharien
de Taoudeni - du nom d'un
petit village malien - qui s'étend
de la Mauritanie au Nord du Mali et sur
une partie du Sud algérien est le
nouveau champ de bataille des pétroliers
et des chercheurs d'uranium occidentaux,
pour le plus grand malheur des Touareg
et des Maliens. Voilà pour le dessous
des cartes.
En janvier dernier,
dans son rôle de factotum des États-Unis
et de Nicolas Sarkozy, l'émir at- Thani
a carrément menacé le président
mauritanien, Ould Abdel Aziz, d'utiliser
El-Jazeera pour le renverser, s'il ne
portait pas au pouvoir un parti
islamique à la solde du Qatar. Congédié,
humilié, l'émir finance depuis un
simulacre de «Printemps arabes» à
Nouakchott.
Dernièrement, il est entré dans le
groupe pétrolier Total - un des
principaux intervenants au Nord-Mali
- en acquérant 2% de son capital pour
plus de deux milliards d'euros. L'avenir
du cabinet d'avocats du président
français, s'il n'est pas réélu le mois
prochain, est assuré…
*
http://www.lecourrier-dalgerie.com/avril/n2464.pdf
ou:
http://www.lecourrier-dalgerie.com/papiers/actualite.html#haut
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 10 avril 2012 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Le sommaire de Gilles Munier
Les dernières mises à jour
|