Entretien
Syrie, une réalité
autre
Anastasia
Popova
Anastasia
Popova
Samedi 26 janvier
2013
Pressenza a
récemment posté un article publié par
Silvia Cattori qui faisait référence au
documentaire d’Anastasia Popova diffusé
sur la chaîne
Russia 24
. Cette publication a suscité éloges et
critiques sur le point de vue émis sur
la situation actuelle en Syrie, point de
vue différent de celui qui circule dans
les médias européens.
C’est la raison pour laquelle nous
avons décidé de poursuivre sur ce
sujet en discutant avec l’auteur du
rapport, une jeune journaliste qui a
couvert le Printemps
Arabe dans plusieurs pays et qui
a passé quelques temps en Syrie, au
contact de nombreuses personnes
impliquées dans le conflit.
Anastasia,
merci tout d’abord d’avoir accepté.
Combien de temps êtes-vous restée en
Syrie avec votre équipe ?
Nous sommes restés là-bas sept mois
au total, à partir d’août 2011 alors
que le pays n’était alors pas encore
en guerre, jusqu’à maintenant et la
guerre bat son plein. On peut donc
dire que les évènements se sont
développés sous nos yeux. En
moyenne, nous sommes restés à chaque
fois un mois en Syrie, entre Der’a,
Idleb et Alep, puis entre Lattaquié
située le long de la frontière
turque, al-Qamishli et Deir Ez-Zor
Quelles sont
vos impressions sur la situation
actuelle du conflit ?
Ce qui nous a frappé le plus lorsque
nous sommes arrivés en août et ce
jusqu’en décembre est la différence
entre ce qu’on nous disait de la
Syrie à l’extérieur du pays et ce
qui se passait réellement à
l’intérieur du pays. Parfois on
atteignait l’absurdité la plus
totale. Par exemple, nous recevions
un appel de nos rédactions pour nous
rendre dans tel ou tel square où une
manifestation contre le gouvernement
était réprimée par des blindés et
l’artillerie : nous y allions et il
ne s’y passait absolument rien, mis
à part quelques piétons présents et
un policier régulant la circulation.
Malgré nos tentatives, nous n’avons
jamais réussi à trouver les milliers
de manifestations contre le
gouvernement dont on a si souvent
parlé dans les médias occidentaux.
Nous avons discuté avec l’opposition
et ils nous ont dit qu’il était très
difficile de rassembler les gens
pour protester. Le seul lieu où ils
pouvaient éventuellement y réussir
était la mosquée : s’ils
réussissaient à faire sortir ne
serait-ce que 50 personnes pendant
quinze minutes pour les filmer,
c’était pour eux une victoire. La
grande majorité de la population
n’était tout simplement pas
intéressée.
Puis les provocations ont commencé,
des gens furent tués pour leur
appartenance religieuse. Ont
commencé les attaques armées sur les
bâtiments gouvernementaux et leurs
employés, sur les commissariats et
les tribunaux.
Cependant, le gouvernement répondait
aux demandes de paix. Les lois
furent modifiées. Une commission a
été créée pour un dialogue national
incluant presque tous les groupes
d’opposition. Grâce au travail de
cette commission et par référendum
national, une nouvelle Constitution
a été adoptée. Puis ont eu lieu des
élections et beaucoup de sièges au
Parlement ont été remportés par des
opposants politiques. Ainsi les
protestations en masse devinrent
discutables.
Mais pour les principaux acteurs
intéressés, ce n’était pas la fin de
l’histoire. Ils ont réuni ce qui
peut être nommé « l’opposition
étrangère », composée surtout de
gens qui avaient vécu en Europe
depuis plus de 40 ans. Cette
opposition n’avait évidemment aucune
chance de parvenir au pouvoir après
élection, étant donné le manque de
soutien en Syrie. Ils se sont donc
tournés vers l’unique alternative
qui leur était ouverte : renverser
le gouvernement en place avec des
armes.
Ils ont commencé à opposer les
confessions religieuses les unes
contre les autres, et en même temps
à envoyer des insurgés étrangers. On
peut en lire la preuve dans le
dernier rapport de l’ONU qui liste
des gens armés de 29 pays différents
qui se battent contre l’armée
syrienne !
Nous avons filmé les armes
étrangères qu’ils utilisent, armes
qui ne peuvent être achetées en
Syrie et que l’armée syrienne n’a
pas. Par exemple le fusil d’assaut
M16, des mitrailleuses européennes,
des missiles anti‑char et
anti‑aviation divers, des
équipements avancés de communication
satellite qui leur ont été
ouvertement fournis par certains
États occidentaux.
Ces armes sont tout d’abord envoyées
vers la Turquie, puis données aux
FSA par des officiers turcs à la
frontière. Une journaliste libanaise
a été témoin de cet échange et elle
a essayé de le filmer mais elle a
été arrêtée et détenue en Turquie 3
jours, et on lui a cassé sa caméra.
La frontière entre la Syrie et la
Turquie est contrôlée par l’armée
turque, suite à un accord signé
entre les deux pays en 1998. Il n’y
a pas de patrouille de frontière
syrienne. J’y suis allée et je l’ai
remarqué.
Par ailleurs, les États occidentaux
fournissent de l’argent à
l’opposition, qui est surtout
composée d’étrangers. A cause de
tout cela, il est difficile de
nommer ce qui se passe en Syrie
guerre civile. Même s’ils ont réussi
à diviser la population, et si dans
certaines familles une partie se bat
pour le gouvernement et l’autre est
contre.
Pensez-vous
qu’il y ait une solution de paix ?
Je pense que c’est la seule solution
pour mettre fin à ce conflit. La
plupart des guerres entre pays ont
été arrêtées suite à la signature
d’un accord de paix. La situation
sur le terrain est la suivante : la
plupart des grandes villes est
toujours contrôlée par le
gouvernement. Après plus d’une année
de combats féroces, les groupes
armés en combat n’ont pas encore
réussi à créer de bastions ou à
prendre une majeure partie du
territoire. Ils ne font que se
diviser car certains ont perdu un
support financier, d’autres
finissent par piller, d’autres
encore ont déjà commencé à se battre
contre les insurgés étrangers,
certains ont rejoint Al-Qaïda qui se
bat également contre la Syrie et qui
est nommé officiellement « groupe
terroriste », si je puis me
permettre de vous le rappeler. Avec
qui pourraient-ils donc négocier ?
Même les contrôleurs de l’ONU n’ont
pu trouver un seul meneur de ces
groupes armés, et la tentative
d’obtention d’un cessez-le-feu a
échoué. Et pourtant, le président a
encore une fois mis l’accent sur son
empressement à négocier lors de son
dernier discours. Mais cette fois,
il a ouvertement fait référence aux
supports étrangers des militants.
Malheureusement, une solution
pacifique ne semble pas être à
l’ordre du jour : ils ont déjà
refusé cette hypothèse.
Pourquoi
avez-vous réalisé ce documentaire ?
Vos supérieurs vous l’ont-ils
demandé ou l’avez-vous fait de votre
propre chef ?
La décision d’origine qui était de
m’envoyer en Syrie a été prise par
mes supérieurs. Mais naturellement
au cours de ma mission là-bas, je me
suis fait des amis, et beaucoup
d’entre eux ont été tués. Je suis
partie en Syrie pour rapporter des
faits, mais j’ai pris conscience sur
le terrain que des hommes ne sont
pas des faits, ce sont des hommes,
et j’ai ressenti leurs douleurs dans
mon propre cœur.
J’ai décidé de monter ce film.
C’était une réponse émotionnelle aux
évènements que j’avais couverts. Je
l’ai réalisé pour rendre hommage à
mes amis tombés là-bas et au peuple
syrien, qui se moque de la politique
et qui veut juste pouvoir vivre en
paix. J’ai la chance que mon travail
me fournisse un exutoire pour
diffuser ce sujet à un grand nombre
de personnes. J’ai utilisé cette
opportunité, même si obtenir
l’accord de mes hiérarchiques sur ce
film n’a pas été facile.
Nous avons reçu
une critique sur Russia 24 : elle
serait une chaîne qui ne reflète que
la position du gouvernement russe.
Que pouvez-vous répondre à cela ?
Il est toujours facile d’attaquer le
messager quand vous n’aimez par le
message. Quand des gens lisent des
rapports écrits depuis de
confortables chambres d’hôtels au
Liban, citant des informations non
vérifiées d’activistes sur des
atrocités gouvernementales
supposées, ils scandent « Oui, Oui !
Tuez ce dictateur ! ». Mais lorsque
quelqu’un passe beaucoup de temps en
Syrie afin de comprendre ce qu’il
s’y passe, revient et dit : “eh oh,
les gens, ce n’est PAS DU TOUT comme
ça que ça se passe”, les gens le
catégorisent tout de suite comme de
la propagande du gouvernement. Que
puis-je répondre à cela ? Qu’un
billet pour la Syrie n’est pas si
cher que ça, que ses frontières sont
ouvertes. Plus de 300 représentants
de médias étrangers ont travaillé
là-bas, ont pu envoyer leurs
communications par Internet
librement et sans aucune censure de
la part du gouvernement syrien. Le
pays entier est couvert par la 3G.
Si vous ne me croyez pas, moi,
“jeune reporter d’une chaîne détenue
par l’État russe”, allez-y et voyez
vous-même. Mais ne soyez pas surpris
d’y découvrir une toute autre
réalité.
Voici un très bon exemple de
The Independent
: « Je suis maintenant à Damas
depuis 10 jours et je suis frappé
par l’énorme différence entre ce que
j’ai pu voir dans les diverses
régions de Syrie que j’ai visitées
et l’image qui est donné au monde
entier par les leaders étrangers et
les médias étrangers. »
(http://www.independent.co.uk/voices/comment/syria-the-descent-into-holy-war-8420309.html)
En voici un autre de
The Guardian :
FSA- « Il n’y a pas eu de réels
progrès sur les fronts et cela a
affecté nos sponsors qui ne nous
avaient pas envoyé de munitions…
Même les gens en ont marre de nous.
Nous étions des libérateurs mais
maintenant ils nous dénoncent et
manifestent contre nous. »
(http://m.guardian.co.uk/world/2012/dec/27/syrian-rebels-scramble-spoils-war)
Que pensez-vous
de l’attitude de la Russie vis à vis
de la situation en Syrie ?
Je pense qu’ils sont parfaitement
conscients de ce qui se passe sur le
terrain et ils insistent constamment
sur la paix avec des cessez-le-feu
immédiats et des dialogues incluant
tous les points. Que demander de
plus ?
Vous êtes sur
le point de prendre des vacances
bien méritées. Retournerez-vous en
Syrie ? Quels sont vos espoirs vis à
vis de ce pays ?
Ce n’était pas ma décision d’y aller
la première fois, j’y ai été envoyée
en tant que reporter spécial et je
faisais simplement mon travail. Ce
sont mes supérieurs hiérarchiques
qui décideront où je me rendrai la
prochaine fois. Mais s’ils me disent
la Syrie, je pense que j’accepterai.
Olivier Turquet
- Pressenza -
International Press Agency
11 janvier 2013.
Le
dossier Syrie
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