Entretien avec la journaliste Anastasia
Popova
Syrie : « Le
rapport de la commission d'enquête
de l'ONU est unilatéral »
Silvia
Cattori
Anastasia
Popova
Lundi 11 mars 2013
Ayant eu l’occasion de rencontrer
Anstasia Popova à Genève, alors
qu’elle présentait son témoignage en
marge de la 22e session du Conseil
des droits de l’homme de l’ONU, et
ayant appris que, suite à cette
présentation, elle avait été invitée
à s’exprimer devant la Commission
d’enquête des Nations unies sur la
situation en Syrie, nous lui avons
demandé comment s’était déroulé cet
entretien.
Silvia Cattori
: La «
Commission d’enquête sur la Syrie »
vous a invitée à témoigner à l’ONU,
à Genève le 7 mars. Comment s’est
passée précisément cette entrevue ?
Vous a-t-on accordé assez de temps
pour dérouler votre argumentation
?
Anastasia
Popova : Nous avons été
invités [1]
[Anastasia Popova, Bahar Kimyongur
et Mère Agnès-Marie de la Croix –Ndt]
à rencontrer les enquêteurs de la
Commission d’enquête après notre
présentation à l’ONU. Après cela
nous avons pu rencontrer le
Président de cette commission M.
Paulo Pinheiro, Mme Carla del Ponte,
Mme Karen Koning Abu Zayd, et
d’autres membres. Ils nous ont dit
qu’ils avaient environ 20 minutes
mais notre conversation a duré
environ 50 minutes et a été à mon
avis très positive. Chacun de nous a
fait une courte déclaration.
Silvia Cattori
: Avez-vous
reçu une véritable écoute de la part
de ces hauts représentants de la
Commission d’enquête indépendante
des Nations Unies sur la Syrie ? Ou
aviez-vous le sentiment que cette
entrevue pouvait n’être, eu égard
des critiques que les allégations de
cette commission ont soulevé, qu’un
alibi permettant à la commission de
prétendre avoir œuvré de façon
neutre ?
Anastasia
Popova : À ma grande
surprise, la réunion s’est bien
passée. Les commissaires ont essayé
d’argumenter dans certains cas mais
ils ont surtout écouté en prenant
des notes. Ils ont demandé à chacun
de nous de fournir toutes les
informations dont nous disposions, y
compris des vidéos, aussi rapidement
que possible de sorte que certains
des cas mentionnés puissent être
inclus dans le rapport final. Ils
ont proposé une future coopération,
accepté de rencontrer les victimes
et les témoins des crimes commis par
les groupes armés pour rendre le
rapport plus équilibré.
Silvia Cattori
: Mais
cette entrevue, qui intervient alors
que le rapport de la commission est
déjà établi, avait-elle encore un
sens ? Dans ses entrevues avec la
presse Mme Carla del Ponte incrimine
au premier chef les forces du
gouvernement et non pas les groupes
terroristes [2]
qui entrent par milliers en Syrie
avec l’appui de la Turquie et autres
puissances ?
Anastasia
Popova : J’ai été surprise
de recevoir une lettre de Carla del
Ponte disant qu’elle avait regardé
mon documentaire et qu’elle est
intéressée par une coopération
ultérieure. À mon avis, c’était une
réunion très utile et j’espère voir
bientôt des résultats positifs.
J’ai lu le rapport et j’ai fait un
court résumé de tous les faits
douteux sur la base de ce que j’ai
vu moi-même et de ce que j’ai
entendu des témoins et des victimes
à l’intérieur de la Syrie. À mon
avis le rapport est unilatéral [3].
Très peu est dit sur les crimes
commis par les groupes armés, et les
choses qui figurent malgré tout dans
le rapport sont censées se produire
à une échelle très faible. Certaines
des méthodes utilisées dans les
combats sont décrites comme des
tactiques de l’armée, alors qu’elles
ne le sont pas. Le gouvernement est
accusé de certaines formes
spécifiques de tortures alors que
dans le clip vidéo que j’ai montré
dans The Syrian Diary on peut
clairement identifier le drapeau de
l’opposition. [On y voit des hommes
en uniforme, se faisant passer comme
appartenant à l’armée régulière
syrienne, en train de torturer des
civils, mais qu’un détail trahit -Ndt].
Nombres d’informations rapportées
dans ce rapport sont des mensonges
éhontés. Certaines ont été obtenues
à partir de sources non vérifiées
qui utilisent le mot PEUT dans leurs
témoignages mais les conclusions de
la commission blâment le
gouvernement en accordant pleine
confiance à ces témoignages douteux
!
À
mon avis il est difficile de faire
un rapport probant sur la base de
445 témoignages recueillis dans des
camps de réfugiés en dehors de la
Syrie alors qu’il y a 23 millions de
personnes vivant en Syrie, y compris
plus de 5 millions de personnes
déplacées à l’intérieur du pays. Le
manque d’accès au pays ne peut pas
être utilisé comme un argument ; il
y a différentes manières d’obtenir
des informations en dehors des
sources gouvernementales ; par
exemple les enquêteurs pourraient
utiliser du matériel fourni par des
journalistes ; ou ils pourraient
rencontrer des victimes hors de
Syrie, par exemple au Liban.
Silvia Cattori
: En effet,
votre documentaire « The Syrian
Diary », diffusé par Rossiya 24,
donne la parole aux Syriens de
toutes origines qui eux vivent
l’arrivée des groupes armés dans
leur quartiers dans l’effroi. Il
contraste singulièrement avec ce qui
est rapporté dans les reportages des
journalistes qui se font embarquer
dans les fourgons des « opposants »
armés. Avez-vous le sentiment qu’en
tant que journaliste russe, vous
êtes frappée d’une sorte
d’ostracisme en Occident raison pour
laquelle, votre témoignage aussi
honnête et remarquable soit-il, les
médias chez nous le censurent ? Cela
d’autant que votre pays avec la
Chine a mis le véto à l’ingérence
étrangère en Syrie ?
Anastasia
Popova : En ce qui concerne
le documentaire « The Syrian Diary
», je pense que les gens vivent
encore sous le stéréotype selon
lequel les médias occidentaux sont
les meilleurs, que c’est là qu’il y
a la liberté d’expression et le
respect des téléspectateurs ; et que
des icônes de l’information comme la
BBC ou CNN ne peuvent pas leur
fournir des informations non
vérifiées. Il leur est difficile de
reconnaitre qu’aujourd’hui des
nouvelles sont FABRIQUÉES par ces
mêmes journalistes qui étaient
autrefois objectifs. La différence
est que maintenant ils sont devenus
un instrument qui forme les opinions
en créant des histoires capable
d’orienter les téléspectateurs. On
peut ajouter un soutien Internet
massif et coordonné aux histoires
présentées. Les autres informations
non désirées sont supprimées ou
demeurent invisibles dans le tsunami
de celles qui sont fournies.
Le système médiatique en Russie
n’est pas aussi développé qu’en
Occident ; il n’est pas
instrumentalisé de cette façon et
nous pouvons de ce fait avoir la
liberté de présenter différents
points de vue. Par exemple en ce qui
concerne la Syrie, nous avons des
comptes rendu et des avis qui sont
complètement à l’opposé de ce qui
est dit par les uns et les autres.
De sorte que les gens peuvent
penser, analyser et se former leur
propre opinion. J’ai souvent entendu
dire qu’il y a un énorme manque
d’information « alternative » [qui
échappe à la pensée unique qui a
cours dans nos médias traditionnels
-Ndt] en Europe, qu’elle n’est pas
facile à trouver dans les médias.
J’espère que ce documentaire [The
Syrian Diary] montre au moins que
l’information « alternative »
existe, et qu’il faut juste
continuer à la chercher.
Silvia Cattori
: Je vous
remercie.
PS : Ce lundi à l’ONU à Genève, à la
réunion sur la Syrie, qui se
déroulait en présence de la
commission d’enquête, les
représentants des Etats occidentaux
ont loué le rapport de la commission
et s’y sont abondamment référés dans
leurs interventions. A méditer.
Silvia Cattori
[1]
Anastasia Popova, Bahar Kimyongur,
étaient initialement venus témoigner à
Genève à l’invitation de l’Institut
International pour la Paix, la Justice
et les Droits de l’Homme (IIPJHR) et du
Collectif des Syriens de Suisse (CSS),
dans le cadre de la Conférence qui s’est
tenue à Genève le 28 février 2013, en
marge de la 22e session du Conseil des
droits de l’homme de l’ONU
http://www.silviacattori.net/article4284.html.
Suite à cela, la commission d’enquête de
l’ONU, sans doute embarrassée par les
critiques l’accusant de faire la part
belle aux insurgés, leur a demandé de
revenir à Genève, ainsi qu’à Mère Agnès,
afin d’entendre leurs témoignages.
[2]
« Dans notre rapport on a établi que les
crimes du gouvernement sont majeurs »
affirmait Mme Carla del Ponte sur radio
France culture le 8 mars 2013
[3]
Voir :
http://www.silviacattori.net/article4282.html
Voir également :
http://www.silviacattori.net/article4283.html
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